Anne-Sophie Cruque (Publicis Media) "Dans une société où tout devient inédit, on ne peut plus maintenir son mix média comme avant"

L'instabilité internationale et l'économie ralentie suscitent des interrogations chez les annonceurs. Anne-Sophie Cruque, chief operating officer chez Publicis Media, analyse la situation.

JDN. Nous vivons un moment délicat économique et géopolitique. Vos clients annonceurs coupent-ils les budgets d'achat média ?

Anne-Sophie Cruque est chief operating officer Publicis Media. © Publicis Media

Anne-Sophie Cruque. Il est évident que tout le monde se pose des questions. Tous les secteurs sont concernés par ce qui se passe, tous s'interrogent sur le bon modèle d'investissement marketing et média. Les réactions ne sont pas homogènes. Et même s'il peut y avoir ici et là quelques sursauts, nous observons dans l'ensemble assez peu de gros mouvements de coupe des investissements. Nous sommes très loin de mars 2020. L'heure est surtout à la vigilance, à l'attention et à l'agilité.

Quelle est votre analyse du contexte français, européen et mondial ?

Nous avons assisté à une reprise économique assez spectaculaire en 2021 sur une grande majorité de secteurs. Cette dynamique est encore bien présente, même si la guerre en Ukraine met en évidence l'interdépendance des marchés mondiaux. Au-delà des différentes réactions et sanctions prises à l'égard de la Russie, ce conflit est venu accentuer les difficultés d'approvisionnement qui étaient déjà bien présentes pour de nombreux secteurs d'activité. Ceci étant, la demande étant toujours là, des chemins alternatifs se forgent selon les secteurs et les acteurs.

Les situations ne sont pas les mêmes d'un secteur à un autre, d'une entreprise à une autre. Ce qui est sûr, c'est que le marché publicitaire se tient toujours bien, même si, de marque à marque, de groupe à groupe, des questions se posent sur ce que l'avenir nous réserve. Nous avons une vision assez représentative des tendances du marché, puisque nous gérons près de 30% des investissements médias bruts en France. Comme en plus notre portefeuille d'annonceurs est très diversifié, nous sommes beaucoup moins assujettis à des baisses d'activité. Publicis Media est toujours dans une dynamique assez vertueuse de croissance.

"Une autre tendance forte est l'essor des modèles d'efficacité, tournés vers les résultats business"

Vous êtes donc bien placés pour observer finement les réactions des uns et des autres. La maigre croissance de 0,25% au deuxième trimestre et la stagnation du PIB observée au premier trimestre par l'INSEE associées à la hausse des prix ont sans doute un impact sur la manière dont les annonceurs projettent l'année, non ?

Malgré le contexte, la demande est toujours bel et bien là, grâce à une dynamique de consommation qui se maintient, même si certains foyers contraints et impactés par les hausses de prix sont obligés de faire des arbitrages. On est par conséquent globalement beaucoup plus dans le questionnement et l'analyse des différents scénarios possibles que dans la prise de décisions. C'est aussi pour les marques l'occasion de revisiter leur stratégie, de privilégier une relation directe avec les consommateurs et de stimuler des dynamiques économiques. En ce sens la crise sanitaire a préparé le terrain. Nous sortons de deux ans où tout était inédit : une crise sanitaire sans précédent, les confinements, une reprise spectaculaire, la pénurie de certaines matières premières, la guerre en Ukraine… Les marques ont appris à évoluer dans une logique d'agilité plutôt que dans le schéma traditionnel du stop and go. Il leur faut réagir en temps réel pour chercher les consommateurs là où ils se trouvent. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles nous n'observons pas de vent de panique chez les annonceurs.

La stratégie et la planification des investissements médias en sortent-elles modifiées ?

Sans doute. Dans une société où tout devient inédit, on ne peut plus maintenir son mix média comme avant. Le maître mot, c'est l'agilité, c'est-à-dire la capacité à adapter sa stratégie d'investissements sur des temps plus courts. Puisque plus rien n'est prévisible, comme c'était le cas autrefois, il faut être capable d'agir extrêmement vite dans un sens comme dans l'autre et de faire pivoter sa stratégie en cours d'année. Et tant mieux. Plus ça pivote plus on se pose des questions et plus le rôle des agences média prend tout son sens. Différents scénarios sont aujourd'hui mis sur la table, pensés, analysés. Ils débouchent sur différents plans d'action. Cela suppose d'être clair sur son mix produit, les cibles à adresser et ses objectifs. Une autre tendance forte est l'essor des modèles d'efficacité, tournés vers les résultats business, et cela concerne aussi bien les pure players que les acteurs de la grande consommation. D'où la montée en puissance des stratégies e-commerce et du recours à la data.