Mesure cross-média de la télévision : les échanges s'annoncent vifs cette année
Adoptée par le marché pour les chaînes historiques, la mesure cross média de la télévision entrera en vigueur en 2024. Tout est encore à construire et il faudra obtenir l'adhésion des plateformes numériques.
2023 sera une année décisive pour le succès de la mesure dite cross média que Médiamétrie prépare avec la participation des chaînes TV, leurs régies publicitaires, les agences et les annonceurs. Ce gros chantier technique et participatif est déjà en cours et devrait aboutir à la fin du premier semestre 2024 à une mesure unifiée télévision et replay diffusés via les box opérateurs uniquement pour s'étendre ensuite, dès 2025, aux écrans télé digitaux. L'objectif à terme : unifier le comptage des audiences exposées à la publicité vidéo et télé où que la diffusion se passe – sur l'offline, les box, en numérique, en linéaire et en replay. L'intérêt ? Simplifier l'achat média en facilitant la comparaison des différents inventaires avec les mêmes critères de qualité et en étant capables de dédupliquer ces audiences.
Cette convergence est nécessaire mais complexe à mettre en œuvre pour au moins trois raisons : les critères appliqués à la télévision pour définir un contact publicitaire sont bien plus exigeants que ceux utilisés sur le digital ; ces échanges suscitent déjà des débats animés sur la manière dont ces inventaires seront commercialisés : en CPM ou en GRP. Puis, la suite logique pour que cette mesure soit utile à tout le marché, annonceurs comme broadcasters, est la participation des plateformes digitales comme Youtube et les services SVOD, qui devront pour cela accepter de relever leur niveau d'exigence et de transparence concernant la manière de calculer leurs audiences et contacts publicitaires.
"Aujourd'hui, pour des contenus équivalents, la qualité d'une impression digitale ne vaut pas la qualité d'une impression télé"
"Nous attendons depuis longtemps la mesure cross-média puisqu'elle nous permettra enfin de tout mesurer selon les mêmes normes et d'arrêter de bricoler chacun dans son coin entre ce qui relève du digital et de la télévision", déclare Christophe Ligeron, directeur du multiscreen chez Publicis Media. "Aujourd'hui, pour des contenus équivalents, la qualité d'une impression digitale ne vaut pas la qualité d'une impression télé. La raison est que cette dernière est pondérée par le temps passé devant la publicité, ce qui n'est pas le cas en digital", ajoute-t-il. De fait, deux secondes visionnées d'une publicité de 30 secondes vaudra une impression publicitaire en digital si au moins 50% de la création est visible. En télé, le calcul est proportionnel : si on visionne 15 secondes d'un spot qui en fait 30, on comptera un demi-contact.
Sur ce point tous semblent plutôt d'accord : le marché doit déterminer une manière de calculer les impressions sur une base juste et équivalente. La bonne nouvelle, c'est qu'il pourra s'inspirer des standards proposés par le Media rate council (MRC) pour le cross média pour relever le niveau d'exigence concernant le numérique. "Le MRC décrit deux standards complémentaires : un contact publicitaire est défini à partir de deux secondes de visionnage et 100% de visibilité à l'écran, et surtout, il deviendra obligatoire de pondérer les contacts par la durée de visionnage, ce qui se rapproche de la manière dont les contacts sont comptabilisés en télévision", explique Julien Rosanvallon, directeur général adjoint de Médiamétrie.
GRP ou CPM ?
Le consensus semble moins évident en revanche quand il s'agit d'évoquer le recours au CPM (coût pour mille), monnaie de la publicité digitale, pour commercialiser également les inventaires télé, aujourd'hui achetés en GRP (gross rating point), une initiative déjà prise par quelques régies dont notamment TF1 Pub. "Le CPM n'est pas un KPI : ce n'est qu'une addition d'un nombre de contacts sans déduplication et sans le calcul de la couverture sur cible. En achetant au CPM dans le cadre d'un plan consolidé sur différents environnements et sites dans une approche multiscreen, je ne peux pas savoir ni quelle cible j'ai eue ni combien de fois je l'ai eue", résume Anne Thetier, directrice générale en charge du trading tous médias chez Omnicom Media Group France et présidente de la commission trading de l'Udecam.
"Certaines agences médias craignent que les chaînes profitent d'un passage au CPM pour augmenter leurs prix en télévision"
Standard clé pour la commercialisation et le media planning en télévision, le GRP enseigne aux acheteurs le pourcentage de contacts touchés sur la cible recherchée en tenant compte de la répétition et de la visibilité publicitaire. Le CPM ne donne pas ce type de précision, seulement l'ensemble d'impressions achetées dans le cadre de la campagne. "Le GRP est un KPI de media planning très utile, il n'a jamais été question pour nous de le mettre à la retraite", rassure Laurent Bliaut, directeur général adjoint marketing et R&D de TF1 Pub. "Ce que nous proposons, c'est d'avoir les deux : le GRP, pour le media planning de la télévision, et le CPM, qui est une monnaie de trading". Il poursuit : "Le GRP est construit sur la base de données certifiées par un organisme officiel, en l'occurrence l'Insee pour les cibles sociodémographiques. Mais il ne s'adapte pas aux cibles intentionnistes data du digital. Il est donc important d'avoir les deux."
Même si TF1 Pub se montre rassurant sur les outils qui pourront être mis à disposition des agences pour leur faciliter le travail sur ces deux métriques, la commission trading de l'Udecam semble bien décidée à combattre cette idée et à défendre la généralisation du GRP au numérique, et non l'inverse. "La commercialisation de la TV est déjà très complexe : nous ne souhaitons pas de double pilotage GRP/CPM", insiste Anne Thetier.
Bien sûr, ce débat va encore animer les échanges cette année, d'autant qu'il enferme un autre enjeu clé : le prix des inventaires. Ce n'est une surprise pour personne sur ce marché que, ramenés au CPM, les prix des inventaires TV sont au ras des pâquerettes comparés à ceux du digital et du replay, notamment sur des cibles larges (le CPM sur une cible large sera de 3 euros en TV et pas loin de 20 euros en replay ou sur Youtube). "Certaines agences médias craignent que les chaînes profitent d'un passage au CPM pour augmenter leurs prix en télévision, qui sont de fait très bas comparativement à ceux pratiqués en digital sur les cibles larges", convient Hortense Thomine-Desmazures, directrice générale adjointe en charge du digital, du marketing et de l'innovation chez M6 Publicité. "Même si nous pensons en effet que le passage au CPM sera un moyen de rééquilibrer le marché car la télé, média très qualitatif, n'est pas aujourd'hui achetée à sa juste valeur, le but n'est pas de relever les prix, mais bien de disposer d'un indicateur commun pour comparer de manière transparente tout le monde : Youtube, 6Play, la TV, Netflix, etc.", précise la spécialiste. Sachant que la généralisation du CPM comme référentiel commercial de la télévision n'a pas encore été tranchée chez M6.
A quand les Gafam et les services SVOD ?
Même si la mesure cross média publicitaire voyait le jour dans les délais escomptés, elle n'aura pas de sens à long terme sans la participation des Gafam et des services SVOD qui s'ouvrent à la publicité. "On aura besoin de données, en plus de nos panels, afin de présenter les audiences de chaque campagne ciblée de manière plus fine, explique Julien Rosanvallon. Il nous faudra par conséquent collaborer avec les acteurs pour accéder aux données qui passent via les ad serveurs et les box télé, que nous allons combiner avec nos panels. Pour cela nous collaborons déjà avec Orange, SFR, Bouygues et Canal+ pour construire ces futures mesures hybrides. Tout cela est encore au stade de la R&D et du prototype".
A en croire Médiamétrie, les plateformes Gafam et SVOD ne boudent pas ces discussions, bien au contraire. "La mesure d'audience est un jeu participatif. Depuis l'annonce de notre partenariat stratégique avec Nielsen et Kantar pour faire évoluer nos mesures en tenant compte des mutations de la consommation vidéo et audio, nos contacts avec les grandes plateformes vidéo se sont multipliés. Et plusieurs d'entre elles, dont Netflix, ont publiquement témoigné leur souhait d'y participer. Par ailleurs, nous avons une relation historique avec Youtube, dont on mesure les audiences sur les écrans Internet depuis plusieurs années", conclut-il confiant. Pour beaucoup d'acteurs que nous avons consultés, l'adoption de la mesure cross média pour la télévision aura pour effet d'accélérer l'adhésion des plateformes numériques.