Nicolas Rieul (Alliance Digitale) "Il ne faut pas que le maintien des cookies tiers par Google génère une nouvelle forme d'iniquité dans l'industrie publicitaire"
Le secteur de la publicité digitale s'inquiète de la manière dont Google souhaite orchestrer le choix des utilisateurs. Les explications avec Nicolas Rieul, président de l'Alliance Digitale.
L'Alliance Digitale salue la décision de Google de ne plus supprimer les cookies tiers. Pourquoi ?

Il est important de saluer le fait que Google a su reconnaître que la Privacy Sandbox ne fonctionne pas. Ce n'était pas une décision facile à prendre pour Google. Les tests le démontrent : l'alternative proposée par Google aux cookies tiers ne fonctionne pas et les suggestions envoyées par le marché pour l'améliorer n'ont pas été prises en compte par le groupe.
Que la Privacy Sandbox ne fonctionne pas, c'est une chose. Revenir sur la décision de supprimer les cookies tiers en est une autre. En quoi cette décision de maintenir les cookies tiers vous parait-elle légitime ?
Le péché originel de Google a été double. Tout d'abord, d'annoncer la fin des cookies tiers sans disposer d'une solution robuste et aussi performante pour les remplacer, dans une démarche "nous trouverons une solution". Ensuite, de ne jamais expliquer quel était le problème posé par les cookies tiers qu'il cherchait à résoudre.
La fin des cookies tiers renforcerait la position des plus gros acteurs dont Google tout en enlevant à l'open web la capacité à bien faire son travail. Google aurait enlevé au marché la capacité à opérer du ciblage et de la mesure au niveau individuel au sein de Chrome, mais cette règle ne s'appliquerait pas au tracking effectué au sein de son univers fermé. En effet, Google continuera de cibler et de mesurer à un niveau individuel au sein de ses propriétés. Le sujet concurrentiel est par conséquent clé : la position dominante de Google serait très probablement renforcée avec la fin des cookies tiers.
Pensez-vous que la coexistence entre les cookies tiers et la Privacy Sandbox va réduire les inquiétudes du marché et de l'autorité britannique de la concurrence, la CMA, quant aux risques de renforcement de la position dominante de Google ?
Tout dépendra de la manière dont Google va proposer la gestion du consentement des utilisateurs. Anthony Chavez, VP Privacy Sandbox, indique dans son billet de blog textuellement que Google va proposer une nouvelle approche sur Chrome qui "renforcera le choix des utilisateurs", une "nouvelle expérience qui permettrait aux utilisateurs de faire un choix éclairé qui s'appliquerait à l'ensemble de leur navigation sur le web".
Or, le choix des utilisateurs ne peut pas être imposé de façon binaire et globale à l'ensemble des sites au niveau du navigateur sans aucune distinction. L'exemple d'Apple pour les applications avec son App Tracking Transparency (ATT) ne doit pas être répété. C'est une hypothèse extrêmement dangereuse qui aurait un impact catastrophique sur l'économie de l'open web, à l'instar de ce qu'ATT a généré sur iOS. En France et plus largement en Europe nous disposons d'une règlementation déjà stricte et forte, le RGPD, qui encadre la collecte du consentement aux cookies, aux différents traceurs et à la publicité ciblée. Cette dernière se fait au niveau de chaque site.
Chez Alliance Digitale nous resterons par conséquent extrêmement vigilants et attentifs à ce que Google entendra proposer pour le choix des utilisateurs et nous nous opposerons à toute approche qui viendrait s'additionner à la réglementation existante et défavoriser l'open web. Il ne faut pas que cette nouvelle annonce génère de l'iniquité entre les différents acteurs de l'industrie en renforçant davantage les capacités de Google à l'intérieur de son écosystème. Cet aspect, nous le suivons de très près. Nous réunissons notre groupe de travail "cookieless", dédié à ces questions, pour en parler.
Beaucoup d'adtech reprochent aux annonceurs de ne pas encore avoir adopté les alternatives aux cookies tiers par facilité puisque les cookies tiers existent toujours. Ne craignez-vous pas que toutes les solutions développées par le marché pour remplacer les cookies tiers perdent de leur intérêt avec le maintien de ces derniers ?
Je ne pense pas. Toutes ces solutions nous permettent de devenir plus indépendants. Or, le problème central de notre marché est la concentration et la dépendance que cela génère à l'égard d'une poignée de solutions. L'existence de différentes méthodes, c'est très positif d'autant que les écosystèmes sont très fragmentés et le cookieless déjà une réalité sur Safari.