Damien Geradin (Avocat) "La Commission européenne n'adoptera pas de décision avant l'année prochaine dans sa procédure antitrust contre Google"
Le marché s'attendait à une décision imminente de la CE au sujet d'un possible comportement anticoncurrentiel de Google dans le secteur des adtech. Mais l'avocat Damien Geradin confie au JDN que la CE préfère attendre la décision du procès en cours en Virginie, aux Etats-Unis.
JDN. Le marché attend une décision imminente de la Commission européenne dans sa procédure antitrust contre Google. Mais selon vos informations, cette décision ne sortira pas avant l'année prochaine. Pourquoi ?

Damien Geradin. J'avais l'espoir que la Commission européenne adopte une décision soit avant soit juste après l'été. Mais elle ne le fera pas parce qu'elle préfère attendre le jugement de l'affaire qui oppose le DOJ (ministère de la Justice américain, ndlr) à Google. C'est ce que la Commission a fait comprendre à mon client, l'European Publishers Council (l'EPC a déposé auprès de la CE une plainte contre Google au sujet de ses pratiques publicitaires en février 2022, ndlr). On peut donc s'attendre à ce qu'aucune décision ne sorte avant courant 2025. Or, cela est inédit : la Commission européenne n'avait jamais attendu les Américains pour prendre des décisions contre les Gafam jusque-là.
La nature inédite et l'ambition de ce procès en cours en Virginie aux Etats-Unis peuvent-elles expliquer ce changement d'orientation de la Commission européenne ?
Les autorités européennes souhaitent très probablement s'aligner à la décision du juge américain, qui dans un premier temps va décider de la culpabilité de Google (pour pratiques anticoncurrentielles et monopole sur le marché des ad servers et des places de marché publicitaires, ndlr). Si le jugement est favorable au DOJ, tout le monde pourra alors se mettre d'accord sur le fait que le comportement de Google est anticoncurrentiel et qu'il faudra adopter des remèdes structurels pour y mettre fin.
La discussion qui compte vraiment, celle sur les remèdes à appliquer, ne commencera qu'à ce moment-là. Et cela prendra des mois. Si vous regardez l'affaire concernant le monopole de Google dans la recherche en ligne (dans laquelle Google a été reconnu coupable le 5 août dernier, ndlr), ils vont seulement maintenant commencer à se pencher sur les remèdes à appliquer. On peut regretter qu'en attendant la décision du juge américain pour se prononcer sur la culpabilité de Google, la CE perde totalement la maîtrise du calendrier. Or, les faits sont déjà totalement établis. Vous avez désormais quatre Autorités de la concurrence qui font les mêmes constats après des enquêtes qui ont duré plusieurs années disposant d'un volume de donnée extraordinaire : en étant présent de manière hégémonique sur tous les maillons de la chaîne, Google a mis en place des pratiques de selfpreferencing.
L'hypothèse du démantèlement n'est-elle pas suffisamment forte pour que l'on préfère que la décision vienne des Etats-Unis d'abord ?
En effet. Les Européens préfèrent peut-être laisser au juge américain la responsabilité d'imposer un remède d'une telle nature, comme l'obligation pour Google de se défaire d'une partie de ses technologies publicitaires. C'est logique. Il faut également noter que le contexte a changé : depuis l'administration Joe Biden, les Américains sont autant, voire plus stricts que les Européens, à l'égard des pratiques anticoncurrentielles des Gafam. C'est complètement nouveau : pendant 30 ans, depuis leur émergence, les Gafam n'avaient jamais fait l'objet d'aucune poursuite aux Etats-Unis. Si la Commission peut se permettre d'attendre, c'est parce qu'il se passe enfin des choses décisives de l'autre côté de l'Atlantique.