Pourquoi le Digital Fairness Act menace la publicité personnalisée

Pourquoi le Digital Fairness Act menace la publicité personnalisée Sujet sur toutes les lèvres, la première mouture de ce projet de règlement sera rédigée cette année suite à une consultation publique au printemps

Il tient en trois mots : Digital Fairness Act (DFA). Sujet sur toutes les lèvres en France et à Bruxelles, il émerge plus sérieusement en 2025 car c'est cette année qu'une première mouture de ce futur règlement européen sera rédigée. Son objectif : mettre fin aux pratiques commerciales trompeuses et manipulatrices des dark patterns, en encadrant davantage le marketing d'influence sur les réseaux sociaux ou les places de marché non-européennes ou en ciblant le design addictif. Imaginé pour harmoniser et protéger davantage les consommateurs, ce nouvel embryon de projet de règlement européen s'attaque en pratique à la communication et à la publicité personnalisées. Et c'est là que le bât blesse pour le secteur de la pub.

"Le document de travail du DFA s'intéresse notamment aux conséquences de la personnalisation de contenus commerciaux et publicitaires sur les consommateurs et principalement sur les mineurs et les 'personnes vulnérables'. Mais qu'est-ce qu'une personne vulnérable ? D'après ce document, tout le monde pourrait être vulnérable à un instant T. Il suffirait par exemple d'être sollicité sur un sujet qui fasse sens ou qui intéresse l'internaute pour qu'il soit considéré comme 'vulnérable' commercialement. L'interprétation que fait ce document est très proche de celle adoptée par le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc)", déclare Pierre Devoize, directeur général adjoint de l'Alliance Digitale. "On se retrouverait face à une situation surréaliste où n'importe quelle personnalisation de contenu deviendrait interdite en ligne. Et c'est pour cela que les acteurs de notre marché évoquent le risque de la fin de la publicité personnalisée", poursuit Pierre Devoize. "Cette crainte est tout à fait légitime vu que la notion de vulnérabilité n'est pas suffisamment précisée à ce stade", ajoute Fayrouze Masmi-Dazi.

Ce sujet est entre les mains du Commissaire européen à la Justice, Michael McGrath. Son équipe s'appuie sur un document de travail qui est le fruit de consultations publiques menées de 2022 à 2024. "Le document de travail du futur DFA part du principe que la réglementation actuelle ne suffit pas pour sécuriser et garantir le droit des consommateurs européens. Les discussions sur ce texte n'auront pas lieu avant 2026 mais c'est bien maintenant que tout va se jouer car sa première mouture sera rédigée cette année. Il est difficile de dire à date et si on se retrouvera face à un simple ajustement du droit des consommateurs pour réduire les zones grises ou à une véritable révolution, notamment avec l'influence du Parlement européen", poursuit Pierre Devoize.

Un texte qui va (encore) favoriser les Gafam ?

"Ce projet, s'il est maintenu en l'état, va accélérer la domination des Gafam et surtout fragiliser davantage les médias français", déplore Maïté Dailleau, partner chez Oliver Wyman."Interdire la publicité personnalisée reviendrait à empêcher le développement d'offres alternatives et concurrentielles sur le digital. Le barrage à la personnalisation générerait des manques à gagner que les plus petits acteurs (dont les médias de l'open web) ne pourraient pas compenser. La première conséquence à cela sera la raréfaction de l'inventaire de publicité personnalisée pourtant nécessaire à la maîtrise de la répétition, bénéfique aux utilisateurs, et à la performance des campagnes. Or, il est tout à fait possible de concilier publicité personnalisée et respect de la vie privée", analyse pour sa part Laureline L'Honnen-Frossard, directrice des affaires publiques et juridiques de l'Union des Marques.

Face à une telle menace, nul doute que tout le marché entend se mobiliser, risquant fort d'influer sur les résultats. D'autant qu'une première étude d'impact sur le fondement de ce document sera soumise à consultation publique au printemps. "Une notion si extensive de la vulnérabilité remettrait en question le fonctionnement du marché publicitaire tout entier. Je ne suis pas certaine que se soit le but recherché. Cette nouvelle phase de consultation publique et la mobilisation du marché aura pour effet d'aboutir à une version plus précise tenant compte des textes existants", tempère Fayrouze Masmi-Dazi. "Dans tous les cas notre secteur est mobilisé pour que soit préservée la cohérence et la compatibilité de ce texte avec le cadre juridique existant, principalement le RGPD et toutes les interprétations des autorités de protection de données sur ces sujets", conclut Pierre Devoize.