Pierre Calmard (Dentsu) "Le marché de la publicité connait des baisses de budgets en ce début d'année"
Décrivant un contexte inédit d'attentisme, le PDG du groupe Dentsu en France s'attend à ce que la consolidation se poursuive dans le secteur de la communication
JDN. Quel est l'état d'esprit du marché en ce début d'année en France ?

Pierre Calmard. Le secteur de la communication est à l'image du reste du pays : dans l'expectative. L'instabilité politique majeure que nous traversons en France engendre un contexte économique défavorable en ce début d'année. Personne n'ose prévoir quand le pays sortira de ce tunnel. Une forme d'attentisme a gagné le marché et cela est inédit : il n'y a pas de catastrophisme, mais pas d'enthousiasme ou de positivité non plus.
Observez-vous des coupes de budgets ?
Il y a en effet des secteurs avec des budgets en baisse. Je peux vous citer l'automobile, pourtant pilier historique du marché publicitaire, et les banques, par exemple. Dans les discours personne n'est catastrophiste, les annonceurs reconduisent leurs budgets. Mais en pratique, le marché constate que les enveloppes prévues ne sont pas consommées. Plus on avancera dans l'année, plus cet écart entre les discours et les pratiques va devenir problématique.
Qu'attendre de 2025 dans une telle perspective ?
Les trois maîtres mots de 2025 seront plateformisation, mondialisation et consolidation. Le marché des médias, historiquement très national, se mondialise avec la plateformisation de la planète. La totalité de la croissance de ce marché est captée par les acteurs internationaux (référence aux Gafam et à TikTok, ndlr). La force des Américains et des Chinois a été de penser global dès le départ, contrairement aux Européens, qui en négligeant l'ambition mondiale ont commis une faute majeure qui signe leur effacement progressif du marché de la communication. Ceci étant, certains acteurs français tentent de s'internationaliser. Si Canal+ est désormais coté à la bourse de Londres, c'est bien parce qu'ils n'ont pas d'autre choix que de s'internationaliser pour concurrencer des acteurs comme Netflix. TF1 vise quant à lui la francophonie, un bassin de 250 millions de personnes, bien plus vaste que le seul marché français.
Vous parliez aussi de consolidation…
Le marché de la communication va continuer de se consolider en 2025 en effet, et cela est déjà une réalité au niveau des agences. En France, le marché reste très concentré. Les indépendants n'arrivent pas à atteindre une taille critique raisonnable, contrairement à ce qui se passe dans les marchés anglo-saxons : ils se font racheter avant. Le contexte économique défavorable de surcroît ne peut que favoriser la concentration du marché français en 2025.
Que vous inspire l'annonce du projet d'acquisition d'IPG par le groupe Omnicom ?
C'est un mouvement tout à fait logique. La publicité était jusque-là un marché à six protagonistes, dont trois acteurs mondiaux très gros que sont Publicis, IPG et Omnicom. WPP, une holding financière dont la cohérence me paraît questionnable, est un géant déchu, puisqu'il passera à la troisième place à la suite de la fusion d'IPG et d'Omnicom. On trouve ensuite Dentsu et Havas dont les stratégies sont totalement différentes. La logique serait que l'on arrive à une forme de big 4 et non plus de big 6. C'est ce qui pourra arriver potentiellement.
Qui sera le quatrième alors ?
Je me garde de faire des prévisions. Je constate cependant que si Vincent Bolloré a décidé de faire coter Havas en propre à la place d'Amsterdam, c'est bien pour lui ouvrir de nouvelles perspectives.
Le groupe Dentsu envisage-t-il des acquisitions ou des rapprochements ?
Pour le moment non, le groupe se concentre sur sa croissance organique. Dentsu est la seule alternative qui soit à la fois mondiale et qui porte une proposition de valeur différente. Nous sommes moins gigantesques que les trois premiers mondiaux tout en disposant d'une offre beaucoup plus cohérente car moins éclatée. Les grosses holdings passent beaucoup de leur temps à se concentrer sur leur organisation interne et à procurer les retours promis à leurs actionnaires en bourse, ce qui ne se fait généralement pas sans casse sociale avec des incidences directes sur la qualité de ce qui est proposé aux clients. Dentsu mise beaucoup sur ses talents et se donne pour mission d'innover pour accompagner le changement positif de la société. En France, Dentsu (1000 employés, 450 clients en France, ndlr) est le seul groupe de communication à avoir adopté le statut de société à mission.
Quelles sont vos priorités en 2025 chez Dentsu France ?
En 2024, notre activité s'est très bien portée, avec une hausse de 15% des investissements médias de nos clients, c'est deux fois plus que nos concurrents. En 2025 nous savons que le contexte est beaucoup plus tendu ce qui renforce la pertinence de mon combat pour une plus juste rémunération des métiers d'agence en France.
Notre priorité reste d'accompagner nos clients à adopter le monde de demain. Nous venons de lancer Canopy, un cabinet de conseil pour accompagner nos clients dans leur transformation sur les sujets RSE. Nous allons nous intéresser davantage cette année à la création de dispositifs de marketing d'influence responsable. Enfin, nous allons continuer de développer Mercury, notre solution basée sur un panel propriétaire de près de 20 000 personnes qui permet de déterminer des cibles marketing sur des critères de centres d'intérêt et de les activer sur les différentes plateformes.