David Leclabart (AACC & AustralieGAD) "La production et la post-production des agences créatives sont complètement chamboulées par l'IA"
Coûts réduits, montée en puissance du juridique, compétences des séniors valorisées... David Leclabart, coprésident de l'AACC et président d'AustralieGAD, explique la nouvelle organisation des agences créatives avec l'IA.
JDN. Près de trois ans après les premiers tests avec l'IA générative dans la publicité, où en sont les agences ?

David Leclabart. Les agences se sont très vite emparées de l'IA générative et tout particulièrement les équipes créatives, mais de manière très variée et à différents niveaux, selon qu'il s'agit de l'UX, de l'éditorial ou de la direction artistique. La différence en trois ans est que nous ne fonctionnons plus en mode exploratoire généralisé, mais dans une logique plus efficiente qui consiste à se servir de l'IA là où elle peut être véritablement transformative.
Pensez-vous qu'il y aura un changement radical dans la taille des équipes des agences vu que désormais l'IA assume beaucoup de tâches ?
La production et la post-production sont complètement chamboulées. A titre d'exemple, nous avons produit l'hiver dernier un film qui auparavant aurait coûté facilement plus d'un million d'euros et demandé six mois de préparation. L'IA nous a permis de le réaliser en seulement trois semaines à Paris pour un coût divisé par huit. Ceci étant, les équipes sur place étaient toutes des seniors avec plus de 25 ans d'expérience en direction artistique et en retouche. En somme, des professionnels qui savent ce qu'ils devaient demander à la machine.
Le recours à l'IA pose aussi plein de questions juridiques inédites. Ce sujet est central dans notre métier, au point que disposer d'un service juridique spécialisé en IA est devenu indispensable.
Les aspects juridiques freinent-ils les annonceurs comme il y a encore quelques mois ?
Nos clients se posent encore plein de questions notamment en rapport avec le droit d'auteur. Mais il arrive que de nouveaux clients souhaitent foncer et là c'est notre service juridique qui doit imposer des cadres de production pour que les lois qui existent ne soient pas transgressées. En France, l'IA est encore une zone grise.
Quelles autres conséquences observez-vous dans votre secteur ?
L'IA augmentera le niveau moyen des réalisations, y compris des petites entreprises et start-up qui peuvent désormais diffuser des publicités d'une grande qualité. C'est quelque chose d'inédit pour elles car elles ne disposent pas de moyens pour payer des agences. Ceci étant, l'adoption généralisée de l'IA générative dans la publicité mettra encore plus en valeur l'importance de la créativité humaine vu que, une fois que tout le monde aura monté en compétence vis-à-vis de ce sujet, tout aura tendance à se ressembler. Seule la singularité créative fera la différence.
Concrètement y aura-t-il plus d'opportunités ou de menaces pour votre secteur ?
Il y aura des opportunités pour les nouveaux entrants qui vont s'appuyer sur l'IA pour se lancer et se développer. C'est ce qui se passe à chaque innovation technologique. En média, les trading desks ont beaucoup prospéré avec l'avènement du programmatique alors que ce métier n'existait pas. Désormais, ces derniers sont challengés par l'IA et vont devoir se réorganiser. Au final, il y aura de la perte de valeur pour ceux qui ne bougent pas. Ce qui complexifie les choses en France c'est l'asymétrie concurrentielle avec d'autres pays. Le système social français, que je ne critique d'ailleurs pas, rend difficile la tâche pour les entreprises françaises de se réformer. Un nouvel acteur qui se lance a beaucoup plus de liberté que les agences établies, tout comme un concurrent basé à l'étranger.
Ceci étant, la bonne nouvelle avec l'IA sur la partie créative, c'est que les meilleurs sont les professionnels expérimentés, les seniors. Un senior dirige l'IA comme un réalisateur va diriger des comédiens. La raison est qu'ils ont fait ce métier à une époque où la photo était omniprésente et le processus assez long. Ils promptent en photographe de manière très technique et ils disposent d'une culture générale et artistique poussée avec des références indispensables. Enfin, la force des vrais créatifs, c'est d'être connectés à leur époque et de ne pas se répéter. C'est tout le contraire des IA. L'IA est bluffante parce qu'elle imite parfaitement l'intelligence, mais ce sont des perroquets qui s'appuient sur tout ce qui a été fait pour sortir la meilleure réponse d'un point de vue statistique. De son côté, un créatif ne veut surtout pas réaliser quelque chose qui a déjà été fait. L'IA va surtout l'aider à faire comprendre plus rapidement aux clients et parties prenantes son idée.
Pensez-vous que l'IA ne pourra pas concurrencer l'homme dans la définition de l'idée créative ?
L'IA a déjà gagné aux échecs et au jeu de Go. Elle définit déjà l'idée créative. Mais de là à ce que son idée soit primée entre autres pour sa singularité… pour l'instant je ne pense pas que ce soit possible. Même si demain on peut tout imaginer…