Alex Schultz (CMO de Meta) "L'IA va donner des super-pouvoirs aux PME et forcer les grandes agences pub à se réinventer"

Le CMO de Meta, Alex Schultz, détaille au JDN comment l'IA et l'automatisation vont transformer la création publicitaire et redéfinir le rôle des agences, tout en créant des opportunités pour ceux qui sauront maitriser ces outils.

JDN. Avec ses campagnes TV et billboards, Meta semble vouloir dépasser son statut de pure entreprise technologique. Confirmez-vous cette stratégie ?

Alex Schultz est chief marketing officer et VP Analytics de Meta. © Meta

Alex Schultz. En réalité, nous réalisons ces investissements depuis longtemps et, proportionnellement, je dirais que nous investissons moins aujourd'hui dans les panneaux publicitaires et la télévision qu'il y a cinq ans. Pour autant, il est vrai que des partenariats, comme celui mené avec Ray-Ban, permettent à Meta de ne plus être uniquement associée à la catégorie technologie et d'entrer dans celle de la mode.

Les partenariats menés avec les marques Oakley et Ray-Ban sont gagnant-gagnant : Meta apporte son expertise technologique et bénéficie en retour d'un capital mode que l'entreprise n'avait pas. Cette union de marques est bénéfique des deux côtés

Vous avez conclu un partenariat stratégique avec EssilorLuxottica cet été, qui comprend une prise de participation par Meta à hauteur de 3%. Sur quels critères choisissez-vous les marques pour vos lunettes IA ?

Avec Luxottica, nous réfléchissons beaucoup aux marques avec lesquelles des partenariats pour ces lunettes IA font sens. Il y a ainsi eu énormément de réflexion au préalable pour sélectionner Ray-Ban et Oakley. Nous sommes ravis d'avoir Luxottica comme partenaire et de pouvoir bénéficier de son expertise. Je pense que l'association de marques comme Ray-Ban avec celle de Meta fonctionne très bien. Meta est également une marque forte, qui reprend un mot issu du grec ancien signifiant "au-delà". D'ailleurs, je ne pense pas que des lunettes baptisées "Ray-Ban Facebook" ou "Ray-Ban Instagram" auraient été des marques aussi fortes.

Mark Zuckerberg a annoncé vouloir automatiser de plus en plus la création publicitaire grâce à l'IA. Qu'est-ce que cela implique concrètement pour les annonceurs ?

La première chose à comprendre est que l’intégration de l’IA dans la création publicitaire va donner des super-pouvoirs aux PME. Je crois que Mark avait fait ce commentaire affirmant qu’il serait possible de donner un objectif et d’acheter des publicités avec sa carte de crédit. Ce qui est certain est que l’IA va permettre aux PME, qui n’ont pas toujours les moyens de payer les services d’agences, de faire beaucoup plus qu’auparavant. Ce qui devrait également contribuer à créer des emplois.

Cette automatisation par l'IA pourrait profiter aux annonceurs, mais quel sera l'impact sur les emplois dans les agences publicitaires ?

Les grandes agences publicitaires vont continuer d'exister, mais celles-ci devront se transformer. Cette nécessité de se réinventer a d’ailleurs toujours été une constante dans le monde des agences. Il y a une vingtaine d’années, lorsque j'ai commencé ma carrière dans cette industrie, les investissements étaient orientés vers la TV et la radio, et la principale source de revenus des agences était les honoraires en contrepartie du travail de création. Depuis, les agences ont pivoté et les médias représentent aujourd’hui une énorme partie de leur activité. Dans 20 ans, les agences auront sans doute pivoté à nouveau.

Concrètement, à quoi ressembleront les agences publicitaires de demain selon vous ?

Je prends le pari que celles-ci auront des outils d'évaluation et de mesure cross-plateforme mais aussi des outils IA ou des API leur permettant de se connecter à un grand nombre de plateformes. Elles auront mis en place des systèmes leur permettant de vérifier que l'IA n'hallucine pas et que la technologie restitue le rendu souhaité. En clair, je pense qu’à l’avenir les agences disposeront de toute une série de nouveaux outils qui seront incroyablement précieux pour leurs clients. Pour autant, ces agences seront bien différentes de celles d’aujourd'hui, tout comme les agences actuelles n’ont pas grand-chose à voir avec celles d’il y a 20 ans.

A terme, doit-on s’attendre à ce que la majorité des publicités que nous verrons en ligne soient générées par l'IA ?

Oui, je pense que c'est ce qui va se produire. Nous devrions aussi voir des publicités beaucoup plus ciblées, pour chaque individu ou groupes d’individus. Pour autant, il y aura toujours des publicités créées par des humains et les deux cohabiteront. Même si, au final, les publicités générées par l'IA représenteront sans doute une très grande partie de ce que nous verrons sur le Web.

Concrètement, que recommanderiez-vous à des étudiants en marketing aujourd'hui afin de se préparer au mieux à cette évolution des métiers ?

De se familiariser avec ces outils pendant leur période universitaire ! Si vous vous intéressez à la création, vous pouvez déjà les prendre en main pour générer des milliers de vidéos pendant votre temps libre, en dehors de l’université. Devenez brillant en prompt engineering afin d’obtenir exactement le rendu souhaité et tirer parti de plateformes telles que Nano Banana, Runway, Sora, Vibes et les autres. Pour ceux qui souhaiteraient évoluer, dans l'analytique, devenez familier avec Claude Code et apprenez à vibe coder et vibe analyser avec l'IA pour écrire des requêtes SQL ou des pipelines de données, etc.

Si vous voulez devenir excellent en copywriting, il peut être intéressant de passer du temps sur des outils comme ChatGPT, etc. En bref, mon conseil est de savoir tirer profit de ces outils d’IA qui nous donnent, à tous, des super-pouvoirs. Car, comme beaucoup le répètent souvent, ce n’est pas l’IA qui va prendre votre emploi à l’heure actuelle, mais quelqu’un qui sait tirer le meilleur de cette technologie.

Comment la publicité va-t-elle, selon vous, s'intégrer dans les grands modèles de langage ? Quel sera le modèle publicitaire de l'ère de l'IA générative ?

La question que je me pose est plutôt : en quoi ces publicités seraient-elles fondamentalement différentes de ce que l’on connait déjà ? Les publicités diffusées sur les plateformes vidéo telles que Vibes de Meta, ou Sora d'OpenAI, devraient être assez similaires aux publicités que l’on peut voir aujourd'hui sur les plateformes sociales. Je pense qu’il en sera de même pour les publicités diffusées via des LLMs comme Gemini ou ChatGPT, avec quelques adaptations. Celles-ci ressembleront sans doute beaucoup aux publicités que l’on voit sur les moteurs de recherche ou les réseaux publicitaires retail. En clair, il s’agira selon moi d’une évolution de ce que nous connaissons déjà, mais pas forcément d’une révolution.

Alex Schultz est, depuis 2020, chief marketing officer et VP of Analytics chez Meta. Depuis son arrivée chez Meta en 2007, il a joué un rôle déterminant dans la croissance de Facebook, Instagram et Messenger, permettant à chacune de ces applications de dépasser le milliard d'utilisateurs. En 2021, il a notamment mené la transformation de la marque Facebook en Meta. Il est l'auteur de l’ouvrage “Click Here: The Art and Science of Digital Marketing and Advertising” (Wildfire). Alex Schultz est titulaire d'un master en sciences naturelles du Magdalene College de Cambridge.