Comment valoriser vos données ?

La pratique est récente, mais il est possible de valoriser ses data comme on valorise sa société. Aujourd'hui l'actif que représentent les data ne sont pas pris en compte. Cette nouvelle méthodologie permettrait d'améliorer les valorisations de nos entreprises.

Depuis plus de 10 ans, on entend que la data est l’or noir, que la valeur d’une entreprise réside aussi dans la donnée. On voit des chefs d’entreprise dire qu’ils sont assis sur un tas d’or car en possession de nombreuses données de qualité. Oui, mais quand on demande à ces mêmes chefs d’entreprise "combien", combien valent ces données, il est rarissime qu’ils répondent et encore plus rare qu’ils donnent un chiffre. Comment valoriser les données d’une entreprise ?

1. Quelles données ?

Une entreprise dispose de très nombreuses catégories de données. Même si de nombreux data analysts et marketeurs estiment que ce découpage est inapproprié, la loi européenne (et plus généralement les réglementations partout dans le Monde) a catégorisé les données notamment de la manière suivante :

  • Données personnelles (règlement du 26 avril 2016 – « RGPD ») / données non personnelles (règlement du 14 novembre 2018)
  •  Données publiques (régies, en droit français, notamment par le code des relations entre le public et l’administration) et données privées (régies notamment par la loi du 6 janvier 1978)

Chaque catégorie peut être divisée en sous-catégories. Par exemple, les données personnelles peuvent être sous-divisées en données sensibles / données non-sensibles. Les données publiques peuvent être catégorisées en données qui peuvent / doivent être communiquées au public en open data / données confidentielles ou non-communicables (par exemple, secret défense).

Ce panorama n’est pas exhaustif et pourra évidemment être discuté par de nombreuses professions tant ce découpage est effectivement très juridique. Il n’en reste pas moins que c’est la loi.

Si l’on accepte de tenir compte de ces catégories de données, on pourrait estimer raisonnablement qu’une entreprise est avant tout intéressée par des données personnelles (propres à un prospect, un client, un partenaire) plutôt de nature privée (B2B ou B2C). A ce titre, il semble que ce type de données ait une utilité plus évidente pour le business (pour des finalités de prospection, connaissance client, optimisation des outils, etc…) que des données techniques non-personnelles par exemple.

2. Quelle valorisation ?

Même s’il est plus aisé de valoriser des données personnelles de prospects et clients qui peuvent être directement étudiées et utilisées, tout set de données peut être valorisé.

Malgré l’avancé des travaux au niveau des normes IAS et IFRS, force est de constater qu’à ce stade, aucun consensus sur la valorisation des données n’existe. Si les règles d’immobilisation des moyens de constitution de bases de données existent depuis longtemps, la data en elle-même ne fait pas l’objet de règles comptables de valorisation. En d’autres termes, il n’existe pas de règle reconnue de tous, de valorisation des données. Les raisons sont multiples, mais sont principalement dues au fait qu’il n’existe que peu de matérialisation et de documentation de cet actif. Les professionnels auraient ainsi peur de valorisations totalement fantaisistes, sur des bases irréelles et uniquement fondées sur des fantasmes du comptable ou chef d’entreprise.

En revanche, rien n’interdit de procéder à une « valorisation financière », c’est-à-dire à la valorisation d’un actif, un produit ou un service, sur un marché déterminé dépendant simplement de l’offre et la demande. La valorisation financière est donc le prix qu’un acteur du marché est prêt à payer pour obtenir ledit actif. C’est exactement ce que font les actionnaires d’une société quand ils souhaitent faire une levée de fonds ou de cession : une valorisation de leur entreprise. Cette valorisation financière n’a pas d’aspect comptable et n’existe pas au sein du bilan.

Très concrètement et formellement, la valorisation financière est un document émanant soit d’une profession réglementée (expert-comptable, etc…) si on veut que la valorisation soit opposable soit d’une entreprise non réglementée si on n’a pas besoin d’opposabilité de la valorisation. Il en sera exactement de même pour la valorisation de données.

3. Quelles étapes de raisonnement ?

Pour pouvoir faire une valorisation d’une entreprise, il faut suivre un certain raisonnement et une certaine méthodologie. Pour les données, c’est exactement la même chose.

Concrètement, pour valoriser financièrement un set de données, il faut chronologiquement :

A. Valider que l’entreprise a le droit d’avoir les données concernées

Si l’entreprise n’a pas le droit d’avoir ces données, elles ne valent rien pour elle. Cette étape peut paraitre évidente, sans aucun intérêt, etc… mais en pratique, 1 entreprise sur 3 utilise certaines données en parfaite violation de la loi. Par exemple, pour des données personnelles de clients destinés à la prospection, il faut valider si un opt-in a été régulièrement obtenu. Ce travail de validation de la légalité de la collecte des données repose sur principalement sur les conditions de collecte :

  • sur un site ou u
  • app, les Conditions Générales et le texte de collecte (notamment les mentions RGPD et l’opt-in ou le texte pour les cookies) ;
  • par un tiers, les termes du contrat ou les Conditions Générales contractuelles.

B. Déterminer ce que l’entreprise a le droit de faire des données

Si l’entreprise a des données dont elle n’a rien droit de faire, elles ne valent rien pour elle. Cette étape consiste à déterminer les possibilités d’utilisation des données, et notamment au regard :

  • des lois applicables, par exemple, le code de commerce pour les données couvertes par le secret des affaires ou le code de la défense nationale pour les données couvertes par le secret défense, ou plus simplement, par le RGPD et d’autres textes pour des données personnelles de prospects / clients ou des données commerciales ;
  •  pour les données personnelles, des textes (privacy statement / Conditions Générales / mentions RGPD) qui doivent obligatoirement préciser la finalité de la collecte des données.

Plus on peut utiliser les données collectées largement, plus elles auront de la valeur. C’est d’ailleurs notamment à ce titre qu’il faut faire très attention à ces textes juridiques.

C. Confirmer la qualité de vos données

Comme tout actif, il aura d’autant plus de valeur qu’il est de qualité. Pour les données, elles doivent répondre au minimum aux critères suivants :

  • être complètes, exactes, lisibles, cohérentes ;
  • être fraiches / récentes ;
  • être structurées et disponibles ;
  • être traçables, avoir une historisation documentée ;
  • être sécurisées, n’être accessibles que par le personnel autorisé.

Ces points doivent être validés, idéalement par des data scientists qui ont des capacités techniques, notamment au regard des technologies de stockage et de bases de données ;

D. Définir enfin la valorisation financière du set de données considéré

En fonction de la validation des points suivants et sous réserve que toutes les vérifications aient été positives, il est enfin possible de déterminer la valorisation du set de données en tenant compte des paramètres suivants :

  • Les finalités et cadres autorisés d’utilisation des données définissent les marchés sur lesquels les données peuvent être valorisées (par exemple, le marché du crédit bancaire utilise plus de données, que ce soit à des fins de prospection, de connaissance client, de lutte contre la fraude, que le secteur des avocats) ;
  •  Les acteurs de ces marchés et leur appétence à la data, en fonction des finalités utilisées (par exemple, si un set de données identification / email / revenus / besoins ne peut pas être utilisé à des fins de prospection, il aura beaucoup moins de valeur que s’il le peut) ;
  •  Les garanties juridiques et structurelles sur le set de données accordées contractuellement par le fournisseur de données permet de donner une base légale à la valorisation.

Ce travail de valorisateur réclame donc des compétences juridiques et techniques, mais permet de dégager, sur une base concrète et opposable, une vraie valorisation d’un actif concret pour les start-up comme les plus grands groupes…