L'État mise 410 millions sur les supercalculateurs d'Atos pour préserver la souveraineté numérique

L'État mise 410 millions sur les supercalculateurs d'Atos pour préserver la souveraineté numérique Menacée par une restructuration lourde, l'activité supercalculateurs d'Atos va passer sous contrôle public. Une décision motivée par leur rôle dans la dissuasion nucléaire.

Considérée pendant des années comme une pépite de la tech européenne, Atos traverse désormais une crise majeure. Sous forte pression financière, le groupe doit réagir vite. Il prévoit ainsi de céder à l'État certains de ses actifs les plus sensibles. Parmi eux, les supercalculateurs, essentiels à la souveraineté numérique. L'objectif de l'État est double : préserver un outil stratégique et protéger un savoir-faire national menacé.

L'État cible le cœur technologique de la dissuasion

Le rachat des supercalculateurs d'Atos a été officiellement confirmé ce 2 juin d'après Reuters. L'offre ferme de l'État français porte sur 410 millions d'euros et concerne uniquement l'activité "Advanced Computing", qui regroupe notamment les puissants calculateurs destinés à la simulation nucléaire. Ces machines, utilisées par le CEA, jouent un rôle central dans la stratégie de dissuasion de la France depuis la fin des essais réels.

Cette division comprend plus de 2 500 salariés, majoritairement en France, notamment à Angers où sont assemblés les supercalculateurs BullSequana. Selon les prévisions de Bercy, elle pourrait générer un chiffre d'affaires proche de 800 millions d'euros en 2025. L'achat a été validé par le conseil d'administration d'Atos, qui voit là une porte de sortie partielle à ses difficultés.

Le périmètre de la transaction a toutefois été restreint par rapport aux discussions initiales de novembre 2024. Les solutions d'analyse vidéo basées sur l'IA, regroupées sous la branche Vision AI, resteront finalement dans le giron du groupe. Leur intégration dans la filiale Eviden a été confirmée par Atos.

Un fleuron technologique en grande détresse

Atos n'est plus le champion technologique qu'il était il y a dix ans. En 2021, sa valorisation dépassait les 10 milliards d'euros. Aujourd'hui, elle peine à sortir d'un cycle de restructuration entamé dès 2023. Acculée par une dette massive, l'entreprise a dû réorganiser ses activités, se délester de plusieurs branches, et chercher de nouveaux partenaires.

Les négociations avec l'État sur le rachat des supercalculateurs d'Atos ont duré plus de six mois. Elles s'inscrivent dans une stratégie plus large de sécurisation des infrastructures critiques françaises. En 2024, l'État avait déjà repris ASN, fabricant de câbles sous-marins, pour 350 millions d'euros. L'achat des supercalculateurs représente une étape supplémentaire dans cette logique de nationalisation ciblée.

L'enjeu est autant industriel que politique. En s'emparant de cette activité, l'État français s'assure de garder la main sur une technologie sensible, à la fois civile (météo, IA, climat) et militaire. Le ministre de l'Économie, Éric Lombard, a rappelé l'importance de garantir la pérennité de ces compétences pour la sécurité du pays, selon Le Monde.

Nationalisation partielle, mais haute surveillance stratégique

Le transfert ne concerne que les supercalculateurs. D'autres actifs sensibles comme les produits de cybersécurité ou les systèmes embarqués militaires – y compris ceux liés au Rafale – restent chez Atos. Mais l'État a conservé une action de préférence dans la structure. Elle lui confère des droits renforcés, allant jusqu'au veto sur certaines décisions critiques.

Ce choix de recentrage répond aussi à l'absence d'industriels intéressés par une reprise plus large. En avril 2024, Bercy avait envisagé de s'appuyer sur des partenaires privés pour reprendre d'autres segments stratégiques. Mais aucune proposition sérieuse n'a émergé.

Le calendrier prévoit une prise de contrôle complète d'ici mi-2026, après finalisation des procédures juridiques. D'ici là, l'État devra aussi déterminer si ces supercalculateurs seront adossés à un industriel ou resteront sous contrôle public. Pour l'heure, aucune discussion en ce sens n'est officiellement engagée.

Ce rachat des supercalculateurs d'Atos marque donc un tournant dans la gestion des actifs technologiques critiques en France. À l'heure où l'intelligence artificielle, le climat et la défense dépendent de plus en plus de la puissance de calcul, l'État entend reprendre la main sur des infrastructures devenues vitales.