Bruxelles sous pression : l'AI Act face à la fronde des géants européens
À l'approche de l'entrée en vigueur de plusieurs dispositions de l'AI Act, un groupe de dirigeants d'entreprises européennes a demandé à la Commission européenne de suspendre temporairement le processus. L'appel émane notamment de figures de grandes sociétés comme Airbus, BNP Paribas, Siemens, Mistral, Carrefour, Philips, Mercedes-Benz ou encore ASML, qui s'inquiètent des effets d'un texte qu'ils jugent inapplicable en l'état.
Des règles à venir jugées floues et complexes
Adopté en 2024, l'AI Act établit un cadre réglementaire pour encadrer le développement et l'usage de l'intelligence artificielle au sein de l'Union européenne. Il prévoit une entrée en application progressive de ses dispositions jusqu'en 2026, avec une première échéance fixée au 2 août 2025 pour les modèles dits "à usage général", ou GPAI (General Purpose AI).
Ces modèles devront se conformer à des obligations de transparence et de sécurité : documentation technique, traçabilité des données utilisées pour l'entraînement, évaluation des biais et des risques, tests de robustesse, et information sur l'efficacité énergétique. Les systèmes classés à risque systémique devront également faire l'objet d'une surveillance accrue, incluant des rapports à la Commission européenne en cas d'incident majeur.
Toutefois, plusieurs entreprises signalent leur difficulté à s'y préparer faute d'éléments concrets. Le document d'accompagnement essentiel, le Code de conduite, qui devait être publié en mai, n'a toujours pas été finalisé. Dans une déclaration adressée à la Commission, 45 entreprises réunies dans l'initiative EU AI Champions ont demandé un "stop-clock" de deux ans pour laisser le temps aux développeurs de comprendre et appliquer les exigences. Cette demande a été relayée dans une lettre ouverte, rapportée par Reuters, où il est écrit : "Pour remédier à l'incertitude créée par cette situation, nous demandons instamment à la Commission de proposer un 'gel' de deux ans de la loi sur l'IA avant l'entrée en vigueur des obligations clés".
Selon les signataires, les définitions juridiques des acteurs impliqués dans le développement de l'IA — notamment les termes "fournisseur" et "déployeur" — restent insuffisamment claires. Cette imprécision juridique complique la tâche des entreprises pour se situer dans le périmètre réglementaire, comme l'a expliqué Hugo Weber, vice-président affaires publiques chez Mirakl, cité dans Sifted : "Ce qui fait de vous un fournisseur et non un déployeur, c'est une modification substantielle d'un système d'IA, mais personne n'est en mesure de définir ce que signifie une modification substantielle".
Une inquiétude partagée par l'industrie technologique et les gouvernements
Parallèlement aux groupes industriels européens, des entreprises du numérique comme Meta, Alphabet (Google) ou Mistral ont également exprimé leurs réserves sur la faisabilité du calendrier fixé. Elles pointent notamment l'absence d'harmonisation entre les États membres, qui laisse présager des interprétations variables du texte d'un pays à l'autre.
Dans un article publié par Silicon Angle, il est précisé que des discussions ont eu lieu à Bruxelles entre représentants de l'Union et dirigeants de grandes entreprises technologiques américaines, autour d'un projet de version simplifiée du Code de conduite, dont la publication est désormais annoncée pour la fin de l'année.
Le débat a également pris une tournure politique. Le Premier ministre suédois Ulf Kristersson a publiquement qualifié les règles européennes sur l'IA de "déroutante", et s'est rallié aux appels à une suspension du texte. La commissaire européenne Henna Virkkunen a déclaré qu'une décision sur un éventuel report sera prise dans les semaines à venir.
L'AI Act est parfois qualifié par les entreprises concernées comme un "bombe à retardement", selon les termes utilisés dans une autre lettre ouverte signée par une trentaine de start-up européennes et rapportée par Financial Times. Les signataires alertent sur le risque que des sociétés ne puissent plus utiliser les modèles développés par les grandes entreprises américaines, en raison de divergences réglementaires, ce qui pourrait réduire leur efficacité technologique dans un contexte de forte concurrence internationale.