Bruxelles soupçonne le rapprochement entre OpenAI et Microsoft d'étouffer la concurrence

Bruxelles soupçonne le rapprochement entre OpenAI et Microsoft d'étouffer la concurrence Bruxelles se penche actuellement sur le partenariat commercial entre les deux sociétés qui octroie au cloud de Microsoft l'exclusivité sur les algorithmes d'OpenAI.

La Commission européenne poursuit ses enquêtes sur les pratiques anticoncurrentielles des Gafam. Cette fois-ci, c'est au tour de Microsoft d'être passé au peigne fin pour sa relation avec OpenAI, le champion de l'intelligence artificielle générative, qui se trouve derrière ChatGPT. 

La Commission a dans un premier temps examiné si le rapprochement entre les deux entreprises n'était pas une fusion déguisée, dossier qui a finalement été classé. Elle cherche désormais à déterminer si les liens étroits qui unissent les deux sociétés constituent une menace pour la concurrence sur le marché de l'IA générative, actuellement en plein essor. "Nous souhaitons comprendre si certaines clauses d'exclusivité pourraient avoir un effet négatif sur les concurrents", a ainsi déclaré Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la concurrence. Une enquête qui pourrait déboucher sur une procédure antitrust. 

Microsoft est-il en train de tuer la concurrence dans l'œuf ?  

Microsoft a investi pas moins de treize milliards de dollars dans l'entreprise de Sam Altman, principalement sous la forme de crédits cloud. OpenAI a, en effet, besoin d'une puissance informatique colossale pour entraîner ses algorithmes d'IA générative, qu'elle se procure en louant de la capacité de calcul sur les serveurs informatiques d'Azure.

En échange de ses investissements tous azimuts dans OpenAI, le géant de l'informatique contrôle désormais 49% du capital de la société. Surtout, Microsoft a décroché un accord d'exclusivité avec le spécialiste de l'IA générative qui lui permet d'être le seul à proposer les algorithmes d'OpenAI à ses clients cloud. Cette mainmise de Microsoft sur la technologie d'OpenAI suscite l'inquiétude de la Commission européenne, qui craint qu'elle ne limite la capacité d'entreprises concurrentes à entrer sur le marché de l'IA générative. 

"Microsoft semble une fois de plus retomber dans ses vieux travers, à savoir la fermeture de sa technologie et la captation de sa clientèle, en proposant uniquement ses solutions ou celles de ses partenaires privilégiés. Ce qui suscite des inquiétudes légitimes en matière de diversité de l'offre autour de l'IA au sein de la Commission. Avec également un aspect souveraineté, puisque l'Europe est en retard sur cette technologie, et pâtirait donc d'une telle entrave à la concurrence, qui l'empêcherait de faire émerger ses propres acteurs", décrypte Eric Le Quellenec, avocat chez Simmons & Simmons, spécialisé dans le droit du numérique.  

S'il est encore trop tôt pour se prononcer sur la qualification juridique qui pourrait être retenue par les autorités européennes anti-monopole, l'avocat estime qu'il pourrait s'agir soit d'un abus de position dominante, soit d'une entente sur les prix pour s'assurer un haut niveau de revenu contre toute forme de concurrence. Si elle se confirme, l'enquête antimonopole devrait durer plusieurs années. En cas de condamnation, Microsoft risque une amende allant jusqu'à 10% de son chiffre d'affaires mondial. Si l'impact financier serait non négligeable pour la firme de Redmond, l'enquête aboutirait vraisemblablement trop tard pour empêcher Microsoft de bloquer la concurrence sur le marché de l'IA générative. 

Les "aqui-hires" également dans le viseur de la Commission

Si la Commission a décrété que l'investissement de Microsoft dans OpenAI ne constituait pas une fusion déguisée, Margrethe Vestager a affirmé qu'elle allait également se pencher plus attentivement sur les "aqui-hire", ces investissements massifs dans des entreprise dont le seul but est de recruter des ingénieurs. Une technique particulièrement en vogue sur le marché de l'IA générative, que Microsoft a récemment mise en œuvre en investissant 650 millions de dollars dans Inflection AI, en échange d'un accord de licence. Le géant de l'informatique a ensuite recruté une bonne partie du personnel de la jeune pousse, y compris Mustafa Suleyman, l'un des cofondateurs de DeepMind, jeune start-up britannique rachetée par Google en 2014 et à l'origine du logiciel AlphaGo. Amazon a récemment fait de même avec Adept AI. 

A l'heure où la guerre des talents fait rage sur le marché de l'IA générative, mettre la main sur de bons ingénieurs n'a pas de prix. Ces pratiques pourraient toutefois causer des ennuis aux entreprises concernées si la Commission juge qu'elles constituent des entraves à la concurrence.

Microsoft également dans le collimateur des autorités américaines et britanniques

La Commission européenne n'est pas la seule à surveiller de près le rapprochement entre les entreprises de Satya Nadella et de Sam Altman. En décembre dernier, la Competition and Markets Authority (CMA), le gendarme britannique de la concurrence, ouvrait une consultation publique sur les liens entre les deux entreprises, étape préalable à l'ouverture d'une enquête antitrust. La CMA suspecte notamment que l'investissement massif dans OpenAI constitue une fusion en vertu de la loi britannique. 

Les choses commencent également à s'accélérer outre-Atlantique. Le 7 juin dernier, le Département de la Justice et la Federal Trade Commission (FTC, gendarme américain de la concurrence), ont annoncé l'ouverture potentielle d'une enquête sur le rôle dominant que Microsoft, OpenAI et Nvidia (dont les cartes graphiques sont nécessaires à l'entraînement des modèles d'IA générative) jouent dans l'industrie de l'IA. L'antitrust américain a pris un tour plus musclé depuis l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, avec la nomination à des postes clefs de personnalités tenantes d'une ligne dure contre les Gafam, comme Lina Khan à la FTC et Jonathan Kanter à la tête de la division antimonopole du département de la Justice.