Bruno Bonnell (France 2030) "France 2030 n'observe pas de baisse d'intérêt des investisseurs étrangers pour la France"

Bruno Bonnell est secrétaire général pour l'investissement en charge du plan France 2030. Il fait le point pour le JDN sur l'état des investissements en France après les résultats des législatives.

JDN. Comment l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale influence-t-elle le climat des affaires dans le pays ? Quels sont les effets potentiels sur les décisions d'investissement en France ?

Bruno Bonnell est secrétaire général pour l’investissement en charge du plan France 2030. © TRISTAN REYNAUD

Bruno Bonnell. Nous observons deux tendances paradoxales. D'une part, une augmentation significative des dossiers sur les relèves d'appels à projets précédents, ce qui témoigne d'une montée en puissance de France 2030. Le niveau d'excellence s'élève, et nous pourrions bientôt ne retenir qu'un dossier sur quatre, tant la qualité et la quantité des propositions augmentent. C'est très satisfaisant.

D'autre part, comme tout le monde, nous constatons une baisse importante de l'investissement privé, ce que je regrette car il est indispensable en complément de l'investissement public. Cette tendance, observée depuis le début de l'année 2024, s'est accentuée avec la dissolution. L'investissement privé semble rechercher une rentabilité à court terme, alors que nous nous intéressons à des projets à moyen et long terme. Cette situation est probablement liée à l'incertitude actuelle.

Mais en réalité, rien n'a changé pour nous. J'ai pris mes fonctions en février 2022, et dès mai, nous avions déjà une Assemblée nationale sans majorité absolue. Cela ne nous a pas empêchés de mettre en place le plan France 2030 et d'engager 31,5 milliards d'euros sur les 54 prévus, convaincant plus de 6 500 bénéficiaires. Tous les engagements ratifiés en conseil stratégique et validés par les experts avant le 9 juin ont continué d'être traités. Nous avons poursuivi la signature des engagements formels jusqu'au mercredi 17 juillet, date à laquelle la démission du gouvernement a été acceptée. En tant que délégataire de signature du Premier ministre, je ne peux plus signer aujourd'hui.

Dans ce contexte, les 15 milliards d'euros de promesses d'investissements annoncés lors de Choose France seront-ils maintenus ?

A l'heure actuelle, je n'ai aucune raison de penser que ces 15 milliards ne seront pas maintenus. Je n'ai reçu aucun signe d'inquiétude à ce sujet, du moins pour les investissements dont j'ai la responsabilité. Personne ne m'a contacté pour dire "on arrête tout".

Je pense que ce sont principalement l'opposition et les extrêmes qui entretiennent l'idée d'un décrochage ou d'une situation critique. En tant que personne directement impliquée dans ces processus, je peux vous assurer que s'il y avait des signes inquiétants, je serais le premier à tirer la sonnette d'alarme. Ce que j'observe, ce sont des reports de décisions, pas des annulations. J'ai moi-même reporté des décisions de quelques mois lorsque j'étais chef d'entreprise face à des situations complexes, sans pour autant remettre en question les projets.

Le seul point sur lequel nous ne devons pas baisser la garde, ce sont les investissements français dans l'innovation. C'est crucial. Pour le reste, c'est du business. On ne remet pas en question l'implantation d'une usine qui durera 30 à 40 ans pour un délai de trois mois. Les investisseurs nous disent qu'ils attendent un peu, et c'est compréhensible. A mon avis, il faudra attendre le prochain Choose France pour vraiment évaluer si notre attractivité a été affectée ou non.

Que vous disent aujourd'hui les investisseurs étrangers ? Comment observent-ils l'instabilité politique actuelle ?

Les investisseurs étrangers attendent de voir qui sera nommé, mais ils ont l'habitude de ce genre de situation. La période d'incertitude actuelle de trois mois correspond à la durée moyenne de formation des gouvernements dans les pays sans majorité claire. En Allemagne, par exemple, cela prend environ trois mois. Les investisseurs étrangers ont une vision globale et ne se focalisent pas uniquement sur la France. Ils comprennent que ce délai est normal et qu'il ne bouleverse pas fondamentalement la donne.

La France reste dans le peloton de tête. Il ne faut pas prêter attention aux voix alarmistes qui prétendent que nous décrochons à cause du retard dans la nomination d'un Premier ministre. Je ne pense pas du tout que les investisseurs étrangers soient affolés. J'en ai d'ailleurs discuté avec Laurence Boone. Nous n'observons pas de baisse d'intérêt des investisseurs étrangers pour la France. Il y a simplement des reports de décisions qui me semblent normaux, car ils attendent de voir comment la situation va évoluer.

Comment expliquez-vous la baisse de l'investissement privé ?

Je l'explique par le court-termisme des capitaux privés, qui recherchent des rentabilités et des taux de retour sur investissement à des horizons de 2, 3 ou 4 ans. Or, des projets comme le nucléaire, l'hydrogène, le développement spatial ou la bioproduction nécessitent des perspectives de retour au-delà de cinq ans. C'est une approche adoptée par tous les pays du monde.

Prenons l'exemple du projet Ariane 6. Il a fallu 10 ans pour qu'il aboutisse, avec des hauts et des bas. Cette durée n'est pas disproportionnée par rapport à l'objectif de remettre l'Europe dans la course spatiale. Actuellement, nous avons 6 startups dans le domaine du "new space" qui développent des micro-lanceurs. Il est logique qu'elles prennent également 7 à 10 ans pour atteindre véritablement leurs objectifs de performance. Pourtant, elles rencontrent d'énormes difficultés pour trouver des financements. Le secteur du quantique illustre aussi ce problème. Nous avons 5 sociétés françaises leaders mondiales qui représentent à elles seules 20% des ventes mondiales d'ordinateurs quantiques, ce qui est considérable pour un pays comme la France. Malgré cela, ces entreprises peinent à trouver des fonds. Les investisseurs leur demandent de prouver l'attractivité du marché, d'expliquer leur stratégie, ce qui ralentit leur développement.

Certains secteurs sont-ils plus impactés ?

Les secteurs technologiques avancés sont plus impactés que les domaines plus prévisibles. Par exemple, le hardware est généralement plus touché que le software. Traditionnellement, les entreprises ayant des projets industriels sont plus affectées que celles développant des services. Cela s'explique en partie par le fait que les projets de services nécessitent moins de capitaux et de dépenses d'investissement. De plus, ils permettent soit un fail-fast, soit une rentabilité rapide. Le schéma de risque reste donc le même.

Il est crucial de restaurer la confiance des investisseurs privés dans la capacité de la France à produire des biens, pas seulement des services. Je rencontre quotidiennement des entreprises que nous soutenons, qui fabriquent des biocarburants, des micro-lanceurs, de nouveaux dispositifs médicaux, etc. Elles me disent toutes à quel point notre soutien est essentiel, car les investisseurs privés doutent souvent de leur capacité à rivaliser avec la concurrence internationale, qu'elle soit chinoise, américaine ou israélienne. Ce scepticisme traduit souvent un manque de confiance dans la qualité de notre production nationale, alors que nous prouvons chaque jour le contraire.