La Cour de Justice met fin au contrôle européen des acquisitions tueuses
La Cour tranche en faveur des entreprises face à la régulation des acquisitions, mettant en lumière les défis à venir pour les autorités de concurrence dans les secteurs innovants.
Le 3 septembre 2023, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt décisif concernant le contrôle des fusions et acquisitions en Europe, mettant fin à l'implication de la Commission européenne dans certaines opérations dites "acquisitions tueuses". Cette décision fait suite à l'acquisition de la start-up Grail, spécialisée dans la détection précoce des cancers, par le géant américain Illumina pour 7,1 milliards de dollars, une opération qui avait suscité de vives préoccupations au sein des régulateurs européens.
Le contexte : Illumina et Grail
En 2020, Illumina avait annoncé le rachat de Grail, une ancienne filiale, sans notification préalable à la Commission européenne en raison du faible chiffre d'affaires de Grail. Toutefois, plusieurs États membres, dont la France, ont demandé à Bruxelles d'examiner cette fusion en vertu de l'article 22 du règlement européen sur les concentrations.
La Commission a conclu que l'opération risquait de restreindre la concurrence dans le domaine des tests sanguins de détection précoce des cancers, un secteur où Illumina est déjà dominant. Une amende de 432 millions d'euros a été infligée à Illumina pour avoir finalisé la transaction sans autorisation, et la Commission a exigé l'annulation du rachat.
La décision de la CJUE et ses implications
La CJUE a finalement annulé cette décision, jugeant que la Commission européenne avait outrepassé ses compétences. La Cour a estimé que l'article 22 ne permettait pas de transférer le contrôle de transactions ne respectant pas les seuils financiers requis au niveau national. Ce jugement a été salué par Illumina, qui a affirmé, cité par Les Echos, que "la Commission européenne a outrepassé son autorité en affirmant sa compétence à l'égard de cette fusion".
Cette décision marque un tournant dans la manière dont les autorités européennes régulent les fusions, notamment celles qui n'atteignent pas les seuils classiques. Lucile Chneiweiss, avocate chez Reed Smith, souligne que cette décision "contribue à la sécurité juridique pour les entreprises".
Cependant, les régulateurs devront intensifier leurs efforts pour prouver les risques potentiels de certaines fusions. Cela entraînera une charge de travail plus importante, car il faudra présenter des preuves solides pour justifier toute intervention.
Les perspectives pour l'avenir des fusions
Si la décision de la CJUE limite les pouvoirs de la Commission européenne, elle n'abolit pas complètement le contrôle des fusions. Les régulateurs européens pourront toujours examiner certaines opérations, mais ils devront prouver que ces fusions présentent un risque réel pour la concurrence.
Dans un contexte où les autorités américaines surveillent également de près ces transactions, l'enjeu de régulation des "killer acquisitions" reste central. Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence, citée par L'Echo, a rappelé que "même une entreprise au chiffre d'affaires limité peut jouer un rôle compétitif significatif sur les marchés".
Cet arrêt redéfinit donc le cadre légal des fusions et acquisitions en Europe, et pourrait avoir un impact durable sur la manière dont les autorités européennes abordent les opérations dans des secteurs stratégiques comme la technologie et la santé.