Entrées en bourse des start-up : l'Europe veut lutter contre l'hégémonie américaine

Entrées en bourse des start-up : l'Europe veut lutter contre l'hégémonie américaine La crise provoquée par l'administration Trump peut-elle concrétiser l'idée d'un Nasdaq européen, évoquée depuis plusieurs années, mais jamais mise en œuvre ?

La jeune pousse suédoise des fintechs Klarna doit entrer en bourse courant avril. Cependant, son arrivée sur les marchés ne se fera pas à Stockholm, ni même à Paris ou Francfort. Suivant l'exemple de sa compatriote Spotify, c'est à la bourse de New York que la start-up sera cotée.

Malgré le refroidissement express des relations transatlantiques depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, auquel viennent s'ajouter les récentes déconfitures de la bourse américaine, celle-ci demeure la voie royale pour les pépites européennes souhaitant ouvrir leur capital aux actionnaires. Une réalité dont s'est désolé le Premier ministre suédois Ulf Kristersson suite à l'annonce de Klarna. "Doit-on tenir pour une loi naturelle le fait que les entreprises de la tech européenne choisissent quasi exclusivement le marché américain pour entrer en bourse ?", s'est-il interrogé.

Les Suédois ne sont pas les seuls à en avoir fait les frais. Du fleuron des puces britanniques Arm, entré au Nasdaq en 2023, à l'allemand BioNTech, plus de 50 start-up européennes sont entrées sur les marchés américains depuis 2018. Un rapport de McKinsey paru en juillet 2024 calcule que l'Europe a ainsi perdu l'équivalent de 439 milliards de dollars en valeur de marché entre 2015 et 2023. Bolt et Celonis pourraient bientôt venir allonger la liste des jeunes pousses européennes passées à l'ouest.

Pourquoi le marché américain est plus attractif

L'attrait du marché américain pour les start-up du Vieux continent se comprend aisément : les entreprises qui y sont cotées ont une valorisation plus élevée, et voient celle-ci augmenter beaucoup plus rapidement que celle de leurs consœurs restées en Europe. Environ 70% de l'index boursier MSCI World est ainsi composé d'entreprises américaines. L'UE compte pour 11% de la capitalisation boursière mondiale, contre 43% pour les Etats-Unis. Et si le S&P 500 a de son côté triplé de valeur depuis la crise financière de 2008, l'Euro Stoxx 50 a connu une hausse bien plus modeste de 24%.

Le fait d'entrer en bourse aux Etats-Unis est aussi un moyen pour les jeunes pousses européennes de pénétrer un marché avec un taux de croissance supérieur à la plupart des marchés européens, et où d'ambitieux programmes d'investissement publics dans les semi-conducteurs (le CHIPS Act) et les énergies propres (l'IRA) ont été mis en œuvre au cours des dernières années.

L'attrait pour le marché américain commence du reste généralement bien avant l'entrée en bourse : les start-up qui se trouvent à un stade avancé peinent à lever de l'argent en quantités suffisantes sur le Vieux continent, ce qui les conduit à se tourner vers des fonds américains aux poches bien plus profondes. Entre 2013 et 2023, les fonds d'investissement en capital-risque européen ont levé 130 milliards de dollars, contre 924 milliards pour leurs homologues américains… Une fois qu'ils ont acquis un intérêt financier dans les start-ups européennes, ces fonds poussent pour qu'elles entrent en bourse aux Etats-Unis, un marché qui leur est naturellement plus familier.

Vers une riposte européenne ?

Plusieurs réformes récemment mises en œuvre en Europe ont pour ambition de changer cet état de fait. Au Royaume-Uni, le gouvernement travailliste planche sur une réforme des fonds de pension qui vise à concentrer davantage leurs capacités d'investissements et devrait permettre, selon le gouvernement, d'injecter 80 milliards de livres sterling dans les entreprises en croissance. L'UE s'est dotée début janvier d'une commissaire aux start-up chargée de réduire les obstacles administratifs auxquels font face les entrepreneurs.

L'idée de mettre en place un Nasdaq européen fait également son chemin. Ursula von der Leyen a dernièrement affirmé que l'Union des marchés de capitaux, en gestation depuis 2014, serait complétée durant son second mandat. Mario Draghi en fait une priorité dans son rapport sur la compétition européenne paru en septembre dernier. Dans une lettre ouverte parue à l'été 2024, un collectif de financiers et d'entrepreneurs européens a par ailleurs plaidé en faveur de la complétion rapide de cette union. "Des marchés de capitaux européens ouverts, fonctionnels et intégrés sont une condition nécessaire pour promouvoir le marché unique", écrivent-ils, assurant qu'une telle mesure permettrait de doper la compétition, l'innovation, la croissance et la création d'emplois dans l'UE.

Phil Robinson, le directeur général de Boardwave, une communauté d'entrepreneurs européens du logiciel, s'est fait de longue date l'avocat d'un Nasdaq européen, assorti d'un régulateur unique sur le modèle de la Securities and Exchange Commission. "Les Etats-Unis disposent d'un marché liquide, avec un grand nombre d'investisseurs très compétents dans les nouvelles technologies, des courtiers et analystes spécialisés qui apportent une connaissance profonde, non seulement de la technologie et du logiciel en général, mais aussi dans des domaines de compétences particuliers, récompensant ainsi les entreprises du logiciel pour leur croissance et leur ambition. C'est cet écosystème qui fait la force des places de marché américaines et leur domination mondiale. L'Europe, avec sa collection de petits marchés publics, ne peut rivaliser avec une telle puissance", affirme-t-il.

Certains pays européens, en particulier ceux dotés d'un solide écosystème financier, comme l'Irlande et le Luxembourg, sont toutefois réticents à accorder davantage de supervision à une entité régulatrice centralisée, ainsi qu'à exposer leurs marchés financiers nationaux à une compétition à l'échelle communautaire et à harmoniser leur politique fiscale avantageuse avec le reste de l'Union.

Des mesures visant à progresser vers une intégration croissante des marchés de capitaux européens, comme le produit paneuropéen d'épargne retraite individuelle, ont également peiné à conquérir le public. A voir si le fossé croissant entre les Etats-Unis et l'Europe saura faire changer d'avis les plus réticents. L'exécutif bruxellois a pour sa part promis des propositions au quatrième trimestre 2025 "pour parvenir à une surveillance plus unifiée des marchés de capitaux, notamment en transférant certaines tâches au niveau de l'UE".

La seconde présidence Trump a en tout cas pour l'heure eu un effet significatif : les bourses européennes ont repris du poil de la bête face aux marchés américains. L'indice paneuropéen Stoxx 600, le DAX et le CAC 40 d, les trois principaux indices de référence européens, ont battu les marchés américains sur le premier trimestre, dont l'aura d'invincibilité a été ébranlée par la guerre commerciale et les multiples revirements de la nouvelle administration Tru