L’ordonnance oubliée de la Net-citoyenneté
À l’heure où le Cloud infiltre nos vies professionnelles et personnelles, transformant de facto les sociétés en « fournisseurs de services », la méconnaissance de l’ordonnance du 24/08/2011 dénote au mieux une certaine désinvolture, au pire d'un inadmissible manque de respect pour les utilisateurs !
Cela aurait pu, cela aurait même
probablement dû, être le thème phare des dernières Assises de la Sécurité, le grand rendez-vous des responsables de la sécurité des
entreprises françaises. Trop intéressés par l’intervention du directeur de
l’ANSSI, Patrick Pailloux, les RSSI n’ont pas du tout abordé le sujet…
De quoi s’agit-il ? De l’ordonnance du 24 Août 2011 relative aux communications électroniques.
Dans l’anonymat de l’été, le
Parlement avait pourtant lâché une bombe à retardement qui devait bouleverser
la gestion des pertes de données en France mais qui, si l’on n’y prend pas
garde, pourrait au final se transformer en vaine tentative. Pourtant, dans un
univers où le Cloud devient omniprésent et où les données se multiplient sans
fin sur les systèmes de stockage des entreprises, les enjeux de cette
ordonnance me paraissent cruciaux et largement sous-évalués.
Il est en effet surprenant de
voir à quel point les RSSI français ont jeté un voile pudique sur ce thème pour
qu’il ne vienne pas rendre leurs tâches quotidiennes encore plus compliquées.
Il faut dire que cette ordonnance est construite sur un malentendu. Elle est la
transcription en droit français d’une mesure promulguée en 2009 par le
Parlement Européen. Ce dernier demandait alors que l’on impose aux
« opérateurs » l’obligation de divulguer toute perte d’informations
suite à la compromission de leur service informatique, une pratique entrée dans
les mœurs outre-Atlantique.
Or l’ordonnance française ne parle pas d’ « opérateurs ». Elle
se montre beaucoup plus vague en évoquant des « fournisseurs de
services de communications électroniques ». La définition d’un
« fournisseur de services » est bien plus générale que celle d’un opérateur,
même en l’affublant de la précision « communications électroniques ».
Après tout, quelle entreprise n’est pas aujourd’hui un « fournisseur de
services de communications électroniques », ne serait-ce qu’auprès de
ses propres employés et de ses clients? Toute entreprise héberge en effet (que
ce soit dans ses murs ou dans le Cloud) une messagerie email, voire une
messagerie unifiée ! Et toute entreprise envoie à ses clients des newsletters, grilles tarifaires, messages Twitters et billets Facebook… Autant
d’éléments qualifiables de « communications électroniques » !
L’ordonnance impose aux
« fournisseurs de services » d’avertir à la fois la CNIL et les
utilisateurs finaux lorsque des données ont été dérobées suite à une attaque
informatique. Une divulgation publique qui va à l’encontre des habitudes des
entreprises françaises, adeptes depuis toujours d’une discrétion certaine. La
plupart des directions informatiques avec lesquelles j’ai abordé le sujet l’ont soigneusement
évité, estimant – à tort – ne pas être concernées, puisque leur entreprise
n’entrait pas dans la catégorie des « opérateurs ».
Pourtant, le sujet devrait être
aujourd’hui au cœur des priorités des RSSI. Non pas parce qu’une ordonnance le
leur impose dans un flou juridique. Mais parce que depuis des mois, toutes les
entreprises, à l’échelon mondial, constatent une recrudescence des attaques sur
leur système d’information ! Dans son rapport annuel sur le panorama des
menaces, Trend Micro estime même que 2011 a été l’année de tous les dangers pour les
données: des entreprises de premier rang ont été victimes de piratages de
données ciblés, qui ont terni leur réputation et entraîné de multiples dommages
collatéraux.
Et l’on parle bien ici d’attaques sur les systèmes d’information,
et non uniquement sur les systèmes informatiques. Car ces attaques ne visent
pas à détruire ou à immobiliser les matériels ou services, mais bien à dérober
de l’information, toutes sortes d’informations.
Après tout, et de tout temps,
l’information a toujours été le nerf de la guerre, de toutes les guerres…
Alors certes, on peut concevoir
que les directions informatiques aient d’autres priorités en matière de
sécurité que l’ordonnance d’août dernier. Mais elles commettent l’erreur de
séparer cette problématique du reste des processus de sécurisation de leur SI.
Or, les solutions à mettre en œuvre sont communes. Elles sont même, sur le
papier, plutôt simples : il suffit de tout chiffrer ! Selon
l’ordonnance publiée, le simple fait de mettre en place un chiffrement des
données sensibles, s’il n’exempte pas l’entreprise d’avertir la CNIL en cas de
fuites, la dédouane de toute communication publique.
À l’heure où le Cloud infiltre
chaque jour un peu plus nos habitudes professionnelles et personnelles,
transformant de facto toutes les entreprises en « fournisseurs de
services », ce manque d’intérêt
général pour l’ordonnance d’août 2011 dénote au mieux un certain état d’esprit (il
est dans nos habitudes d’attendre que le mal arrive pour s’en occuper), au pire
un inadmissible manque de respect pour ce que nous, les utilisateurs, confions
à leurs services !
Pourtant, Internet devrait tous
nous rendre plus responsables. Comment peut-on retarder davantage la mise en
place de mesures à même de renforcer la sécurité des informations stockées dans
les systèmes d’information et limiter les vols de données ?
À mes yeux,
cette mise en œuvre est un acte de citoyenneté. Ne doutons pas qu’à terme, nos
utilisateurs, nos clients, sauront reconnaître les entreprises
« Net-citoyennes » et ne manqueront pas de se détourner de celles qui
ne le sont pas…