Comment Veolia a basculé 18 000 salariés dans le cloud
Représentant 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, Veolia Water Technologies compte 18 000 salariés répartis dans une cinquantaine de pays. Cette filiale du groupe Veolia conçoit notamment des usines et systèmes de traitement d'eau. Elle développe aussi des stations d'eau ultra-pure à destination du secteur pharmaceutique et des hôpitaux. Autre métier : la mise au point de produits toujours utilisés dans les processus de traitement d'eau. A cela s'ajoute des services d'expertise, de maintenance, mais également des services digitaux en vue d'optimiser ces mêmes processus. Veolia Water Technologies a été un pionnier au sein du groupe Veolia en matière de cloud. La société a commencé à s'y intéresser dès 2013.
"La migration d'une entreprise vers le cloud est avant tout une transformation humaine qui passe par des process d'acculturation", insiste d'emblée Laurent Pulce Rossi, CIO de Veolia Water Technologies. Pour commencer, l'ensemble de la population IT de la société a été formée aux technologies cloud, y compris les équipes de support. Une opération qui est menée dès 2013 et 2014. Dans la foulée, l'entreprise met en place en lien avec la direction des ressources humaines des formations à destination des dirigeant, mais aussi des séances de sensibilisation ciblant l'ensemble des salariés. "C'est extrêmement important dans la mesure où le cloud introduit une nouvelle façon de travailler à la fois en termes de projet et de gestion opérationnelle", souligne Laurent Pulce Rossi.
Veolia Water Technologies commence par se déployer sur des environnements de cloud d'infrastructure (IaaS) et de plateforme (PaaS) en s'orientant vers Amazon Web Services. "Nous avons décidé dès le départ d'embarquer des services business avec pour objectif de dimensionner les capacités machine à la demande. Ce qui nous a permis d'aboutir à des ROIs tangibles au bout de deux ou trois ans. Cet élément a, là encore, été un catalyseur de changement", se rappelle Laurent Pulce Rossi. Pour le CIO, le passage des dépenses d'investissement (Capex) nécessaires aux déploiements IT sur site aux dépenses d'exploitation (Opex) propres au cloud représente un point clé dans l'argumentaire visant à sensibiliser les responsables métier, la direction financière et la direction générale.
Arguments clés : la souplesse...
Autre élément clé : dans une structure internationale en évolution permanente en termes d'implantations, l'abandon du modèle informatique sur site au profit du cloud confère une souplesse sans précédent. "Aujourd'hui, l'équipement informatique lourd a disparu. Nous avons simplement à maintenir des accès Internet sécurisés dans une logique de flat network. Du coup en cas de déménagement, nous n'avons plus d'interruption de service. C'est un autre argument qui a été mis avant vis-à-vis des équipes IT et métier", insiste Laurent Pulce Rossi.
Parmi les grands boosters d'adoption du cloud figure aussi le télétravail introduit par la pandémie de Covid-19 en 2020. La société avait alors déjà basculé sur Google Workspace pour le mail et le travail collaboratif, mais également sur Salesforce pour le CRM et la configuration d'offres client. Elle venait par ailleurs de migrer ses ERP (JD Edwards et SAP) sur le cloud d'Amazon. "95% des collaborateurs ont ainsi pu continuer à travailler. Nous nous sommes donc concentré sur les 5% restant. Une population d'ingénieurs qui utilisaient des stations de travail lourdes pour réaliser des calculs intensifs, et ce même si leurs données étaient stockées en mode cloud", détaille Laurent Pulce Rossi. "Le travail à distance a permis de convaincre les derniers collaborateurs réticents. Ils ont pris conscience de la richesse fonctionnelle des applications disponibles dans le cloud, mais aussi et surtout de l'apport de ce modèle en matière de résilience."
"Le concept d'usine intelligente ne peut être mis en œuvre à un coût raisonnable qu'en passant par le cloud"
Le constat est là. Le cloud présente pour avantage d'offrir un taux de disponibilité proche de 100%. Exit les interruptions de services qui pouvaient intervenir régulièrement quand l'informatique lourde était déployée sur site, un disque dur pouvant toujours souffrir d'une défaillance. "En dix ans, Google Workplace a seulement souffert d'une interruption d'une heure et d'une autre de deux heures. Autant dire des pannes extrêmement marginales comparées aux incidents que nous avions à gérer dans le passé", se félicite Laurent Pulce Rossi. Il s'agit là encore d'un argument fort mis en avant vis-à-vis des directions métier et de la direction générale. Une interruption de service pouvant coûter très cher, en particulier pour une entreprise comme Veolia Water Technologies qui, du fait de sa présence au niveau international, doit bénéficier d'un système d'information accessibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. "Vous avez un accès Internet ou un Chromebook qui tombe en panne, vous le remplacez et vous être de nouveau immédiatement opérationnel", résume Laurent Pulce Rossi.
Autre argument en faveur du cloud : la digitalisation. "L'un de nos principaux objectifs stratégiques est d'accélérer la décarbonation de nos clients. Ce qui passe, notamment, par le développement de systèmes numériques qui permettent d'optimiser la consommation d'énergie des usines de traitement d'eau. Ces environnements digitaux s'adossent à des data lake agrégeant des données en provenance de toutes nos entités pour y appliquer des traitements d'IA et d'analytics. Or, ce concept d'usine intelligente ne peut être mis en œuvre, à un coût raisonnable, qu'en passant par le cloud. Idem pour l'IoT ou la maintenance prédictive", pointe Laurent Pulce Rossi. Pour tous ces cas d'usage, Veolia Water Technologies s'adosse à AWS. Par ailleurs la DSI n'ayant plus à maintenir de système informatique lourd, elle peut désormais se concentrer pleinement sur la création de ces nouveaux services métier.
En parallèle, la politique environnementale de Veolia Water Technologies passe aussi par le cloud en tant que tel. Dans le passé, la filiale déployait des data centers sur site, avec des serveurs qui étaient souvent surdimensionnés en vue d'absorber les pics de charge. Certaines machines pouvaient tourner la majeure partie du temps à moins de 20% de leur capacité, et une ou deux fois par an passer la barre des 80%. Avec le cloud, Veolia Water Technologies s'oriente vers un mode de consommation des ressources IT à la demande. Ce qui lui permet de facto de décarboner ses applications en calquant au fil de l'eau les ressources informatiques sollicitées sur les besoins. Dans la même logique, la société déploie aussi des terminaux légers de type Chromebook. "Réduire le nombre de terminaux lourds, c'est aussi réduire l'empreinte carbone", rappelle Laurent Pulce Rossi.
…et la sécurité
Côté sécurité également la balance penche en faveur du cloud. Pour le CIO de Veolia Water Technologies, il n'y a pas photo. "Les offres des hyperscalers sont beaucoup plus solides comparées à une infrastructure sur site dans la mesure où ces groupes possèdent des moyens d'investissement sans commune mesure avec ceux dont nous disposons. Sans compter qu'il s'agit aussi de leur fonds de commerce", analyse Laurent Pulce Rossi. Résultat : ces acteurs affichent des niveaux de certification qu'il est impossible de décrocher dans le cadre d'une structure informatique déployée sur site. Pour le DSI, l'essentiel est, au final, de chiffrer les données avec des clés propriétaires. Ce qui permet de passer outre le débat sur le Cloud Act, qui, rappelons-le, autorise l'accès aux données stockées par les hyperscalers américains par les autorités fédérales, y compris celles hébergées en dehors des Etats-Unis.
Veolia est une société composée en grande partie d'ingénieurs. C'est d'ailleurs le cas d'Estelle Brachlianoff, directrice générale du groupe, qui est diplômé de l'Ecole Polytechnique et de l'Ecole nationale des Ponts et Chaussées. Un contexte métier qui a évidemment facilité la gestion du changement au profit du cloud. Cet aspect est encore plus vrai au sein de Veolia Water Technologies qui est tout entier orienté vers les technologies. "Nous avons pu bénéficier d'un fort sponsorship de la direction générale. Ce qui nous a permis de décrocher rapidement des budgets", constate Pulce Rossi. "Ce sponsorship a été un formidable accélérateur."