Comment mesurer l'empreinte environnementale de son système d'information ?

Comment mesurer l'empreinte environnementale de son système d'information ? Des référentiels ont été établis par le régulateur et des associations tandis que des start-up proposent des plateformes automatisant la collecte d'indicateurs.

"On n'améliore que ce que l'on mesure". Comme dans bien d'autres domaines, le vieil adage se vérifie pour le numérique responsable. Une DSI doit d'abord quantifier ses principaux postes d'émissions de gaz à effet de serre afin de définir sa stratégie et ses priorités. Comme toujours la difficulté réside dans le choix du thermomètre. Quelles sont les métriques pertinentes à retenir ? Pour Romuald Ribault, vice-président d'Alliance Green IT (AGIT), "il convient de commencer par les indicateurs les plus impactants puis de procéder par amélioration continue, la mesure permettant de s'assurer que les objectifs sont bien atteints". Pour entrer dans ce cercle vertueux, une DSI ne part de zéro. Il existe des "biens communs", des référentiels qui font l'objet d'un consensus.

Les PCR (pour product categories rules) posent le cadre méthodologie d'évaluation des impacts environnementaux et listent les exigences spécifiques à une catégorie de produits et de services. Le premier PCR, dit "PCR mère" porte sur les services numériques dans leur ensemble. Il a donné naissance à des "PCR filles" portant sur les services des systèmes d'information, les services cloud et data center et les services applicatifs. L'AGIT a, pour sa part, coordonné le référentiel dédié au réseau LAN et aux services de téléphonie d'entreprise. On le retrouve ainsi que d'autres PCR au sein de la librairie de l'Ademe. De leur côté, l'Arcep et l'Ademe ont publié un référentiel général portant sur l'écoconception des services numériques.

Ces référentiels s'appuient sur l'analyse du cycle de vie (ACV) qui couvre à la fois les impacts liés à la fabrication, au transport et à la fin de vie des matériels - ordinateurs, routeurs, imprimantes, écrans -, mais aussi leur utilisation (réseaux, hébergement on-premise ou cloud). La calculette (voir le fichier Excel) proposée par l'AGIT liste ainsi les équipements réseaux et les logiciels et applicatifs associés. Au gestionnaire de parc d'entrer le nombre de matériels pour chaque catégorie, sa durée de vie et sa puissance nominale. "Le gaz à effet de serre n'est pas le seul critère, il faut aussi prendre en compte l'acidification des sols, le stress environnemental, la consommation d'eau ou les radiations ionisantes", fait observer Romuald Ribault. Multicritères, les PCR recensent en tout 16 facteurs d'impact.

Les équipements plombent le bilan carbone

A ce stade, il convient selon Thomas Mesplede, chargé de mission à l'AGIT, d'avoir les bons ordres de grandeur en tête. "Si on simplifie un système d'information à l'extrême, il se compose de terminaux, de data centers et de réseaux. Or, ce sont les premiers qui pèsent le plus lourdement dans la balance", estime l'expert. Selon une étude de l'Arcep et de l'Ademe, 79% de l'empreinte du numérique provient effectivement des équipements, et plus particulièrement de leur fabrication, contre environ 16% des centres de données et 5% des réseaux.

Thomas Mesplede dénonce le phénomène de massification. "Chaque utilisateur a son terminal, son écran, son casque audio. A-t-on besoin du PC dernier cri pour faire de la bureautique ?", interroge-t-il. "A défaut, il convient de privilégier le matériel reconditionné, de lui donner une nouvelle vie puis de le reproposer sur le marché de la seconde main ou, à défaut, de recycler au maximum ses composants."

Le bilan carbone d'un terminal dépend non seulement de sa durée de vie mais aussi des composants (processeur, carte graphique, RAM...) qu'il embarque. Pour cela, son propriétaire dépend des fiches techniques émises par les constructeurs. "Nous sommes sur du déclaratif", regrette Romuald Ribault. A la manière du scandale du "dieselgate" dans l'automobile, les données peuvent être potentiellement faussées.

Collecter les données constructeurs et cloud

Se pose également la difficulté de décrypter ces fiches techniques, les constructeurs ne jouant pas toujours la carte de la transparence. Si Apple les restitue sous forme de PDF, certains fabricants chinois ne donnent aucune information. "Ce n'est pas une obligation légale à la différence du taux de réparabilité", rappelle Ronan Robe, COO et co-fondateur de Fruggr, un outil d'évaluation de l'impact environnemental et social des applications numériques.

"Tout un travail de fourmi consiste à associer tel ordinateur à telle configuration matérielle"

"La collecte des données constructeurs est particulièrement pénible et chronophage", poursuit Ronan Robe. "Tout un travail de fourmi consiste à associer tel ordinateur à telle configuration matérielle. Par ailleurs, Apple ou Samsung n'ont pas les mêmes méthodes de calcul." Là encore, les "communs" peuvent venir en aide aux DSI. Groupe de travail inter-entreprises, Boavizta centralise les fiches environnementales des constructeurs dans une base de données et met en ligne un outil de calcul. L'Institut du numérique responsable (INR) propose également son calculateur.

La même difficulté se pose quand une entreprise entreprend de mesurer l'empreinte environnementale des services cloud qu'elle consomme . Si AWS, Google Cloud ou Microsoft Azure proposent une calculette, les méthodologies retenues restent propres à leurs plateformes respectives. Les données fournies prennent, par ailleurs, en compte un périmètre restreint. A charge pour l'utilisateur de reconstituer l'empreinte globale d'un service cloud en se basant sur la configuration du serveur et sa localisation. Une fois connu le nom du datacenter qui l'héberge, il est possible de connaître son PUE (pour power usage effectiveness) - l'indice de référence de la consommation énergétique – et son mode d'approvisionnement en électricité.

Le site Electricity Maps calcule en temps réel l'intensité carbone de l'électricité consommée par pays par kWh (gCO₂eq/kWh). Au moment du bouclage de cet article, la France dont le mix énergétique est fortement nucléarisé affiche moins de 26 g et la Suède faisant un large appel à l'hydro-électricité atteint 13 g. L'Allemagne et la Pologne qui recourent à des centrales à combustibles fossiles montent respectivement à 370 g et 608 g.

Des plateformes logicielles d'évaluation

Face à la difficulté pour les DSI de compiler l'ensemble de ces indicateurs, des start-up spécialisées comme Greenly, OxygenIT ou Fruggr se proposent de les réunir au sein de plateforme d'évaluation. Fruggr s'appuie ainsi sur un ensemble de référentiels (1byteModel, IEA, EEA, Base Carbone...) pour sa méthodologie de calcul de facteurs d'impacts. La start-up, qui a pour références clients BPCE, Fnac Darty, l'Ademe ou EDF, est aussi membre d'Impact France ou de l'INR.

Fruggr mesure non seulement l'empreinte environnementale des services numériques des entreprises mais aussi leurs impacts sociaux (accessibilité, inclusion) et économiques. Concilier ces trois impératifs crée, pour Ronan Robe, un cercle vertueux. "Un site d'e-commerce accessible aux personnes en situation de handicap et proposant un affichage optimisé pour les visiteurs dyslexiques augmente son audience et donc ses ventes", reconnaît le spécialiste.

De même, frugalité rime, selon lui, avec rentabilité. "Les services cloud sont généralement surdimensionnés par rapport aux usages qu'ils servent. Il y a une convergence naturelle entre le GreenOps et FinOps", constate l'intéressé. Enfin, dernier impératif et pas des moindres : le respect du cadre réglementaire qui ne fait que se renforcer. Après les lois AGEC (Anti-gaspillage pour une économie circulaire) et REEN (Réduction de l'empreinte environnementale du numérique), les entreprises doivent, depuis le 1er janvier, se conformer à la directive européenne CSRD - pour Corporate sustainability reporting directive.