Comment choisir son cloud pour réduire son empreinte carbone ?
Pays d'implantation du datacenter, optimisation de la consommation électrique, dimensionnement des instances... Un grand nombre d'indicateurs doivent être pris en compte.
Sans changement de modèle, la location d'infrastructures cloud pourrait représenter 2% des émissions mondiales de CO2 d'ici à 2030. Pour obtenir ce chiffre, Greenly, éditeur d'une solution en mode SaaS mesurant l'empreinte carbone des entreprises, a consolidé différentes études. D'ores et déjà, les trois hyperscalers américains émettent 200 millions de tonnes d'équivalent CO2 par an. Les datacenters d'AWS consomment d'avantage d'énergie que la Belgique avec 100 térawattheures (TWh). Quant à Microsoft Azure et Google Cloud, il se situent respectivement au niveau de la Suisse (60 TWh) et de l'Irlande (27 TWh). Des indicateurs que doivent avoir en tête les entreprises utilisatrices à l'heure où celles-ci s'attaquent au scope 3 de leur bilan carbone qui intègre les émissions indirectes, dont celles de leurs fournisseurs.
"Pour certaines entreprises évoluant dans les services, le cloud est un poste particulièrement crucial", observe Alexis Normand, directeur général et cofondateur de Greenly, qui compte Swile, Contentsquare, TheFork, Platform.sh, Alter Way ou encore EasyVista parmi ses références clients. "Le cloud peut représenter de 40 à 50% de leurs émissions en matière IT et de 25 à 30% de leur bilan carbone total."
En dépit d'efforts récents, les providers n'offriraient pas, selon les experts interrogés dans le cadre de cet article, toute la transparence nécessaire pour évaluer l'empreinte réelle de leur service. "AWS, Google et Microsoft ont chacun développé une calculette pour estimer les émissions d'une architecture modélisée sur leur cloud respectif, mais leurs méthodologies sont au pire opaques, au mieux perfectibles", juge Jérémie Veg, CEO et fondateur de Sopht, un autre éditeur qui se propose d'aider les DSI à mesurer le bilan carbone de l'IT.
Market based versus location based
Non seulement les cloud providers ont des modes d'interprétation différents, rendant impossible leur comparaison, mais ils sont également soupçonnés de faire du greenwashing en privilégiant l'approche dite "market based". Une méthode qui repose sur le facteur d'émission moyen du fournisseur d'énergie auquel l'acteur achète son électricité. Elle permet de tenir compte des efforts du provider pour décarboner son électricité en ayant, par exemple, recours aux énergies renouvelables.
Les clouds peuvent néanmoins communiquer sur les actions entreprises pour faire baisser l'indice de référence énergétique de leurs centres de données, le fameux power usage effectiveness (PUE). Un indicateur qui mesure le rapport entre l'énergie totale utilisée par un data center et l'énergie effectivement consommée par ses équipements IT : serveurs, stockage, réseau... Différentes techniques comme le watercooling, qui exploite les propriétés caloriporteuses de l'eau, permettent d'optimiser le rendement de la chaîne d'alimentation et la consommation du circuit de refroidissement. L'intelligence artificielle permet d'optimiser encore ces processus.
"A iso-budget, une entreprise du secteur pharmaceutique a divisé par huit son empreinte carbone en rapatriant des instances Oracle d'Allemagne à Marseille"
Mais c'est oublier, comme le rappelle Greenly, que les électrons utilisés par les data centers proviennent de facto du réseau et donc du pays d'implantation, et non du fournisseur. Faire tourner des services cloud dans des pays où l'électricité est majoritairement produite par des centrales à charbon biaise de facto les indicateurs. La seconde approche dite "location based" tient compte de cette réalité physique. Elle consiste à étudier le facteur d'émission moyen du pays d'implantation.
Selon le site Electricity Maps, qui calcule en temps réel l'intensité carbone de l'électricité consommée par pays (gCO₂eq/kWh), la France dont le mix énergétique est fortement nucléarisé affiche moins de 100 g/kWh. Les pays scandinaves faisant largement appel à l'hydro-électricité avoisinent, eux, les 30 g/kWh. Quant à l'Allemagne qui a principalement recours à des centrales à combustibles fossiles pour produire son électricité, elle approche les 400 g/kWh. Enfin, la Pologne dépasse les 600 g/kWh. Un niveau que l'on retrouve aux Etats-Unis.
Cycle de vie des serveurs
Des chiffres à avoir en tête au moment de choisir la région et la zone de disponibilité d'un nouveau service cloud. "A iso-budget, une entreprise dans le secteur pharmaceutique a divisé par huit son empreinte carbone en rapatriant des instances Oracle d'Allemagne à Marseille", illustre Jérémie Veg.
L'indicateur géographique n'est toutefois pas le seul. Au-delà de la consommation électrique, Greenly rappelle que 20% de l'empreinte carbone du cloud provient du cycle de vie des serveurs, de leur construction jusqu'à leur fin de vie. Tout l'enjeu consiste à cerner le type de serveur utilisé dans un datacenter donné. Partant de là, on pourra récupérer les données environnementales fournies par les constructeurs correspondants (Dell, HP...) avant de proratiser l'empreinte en minute d'utilisation machine (CPU, RAM). Pour aider les clients dans cette tâche, Sopht fait appel à Boavizta. Un groupe de travail inter-entreprises dédié à la mesure et au pilotage des impacts environnementaux de l'IT qui a bâti une base de données en agrégeant les fiches environnementales des constructeurs.
Instances et heures creuses
En collectant les données de consommation des ressources cloud via les APIs des providers, il est ensuite possible d'établir qu'une minute d'utilisation de tel type d'instance correspond à X kilowattheure (kWh) et X grammes de CO2. Sur la base de ces métriques, les solutions de Greenly et de Sopht émettent différentes préconisations en termes de choix d'instances mais aussi d'usages. Pour faire parler les chiffres, Sopht embarque l'outil de data visualisation de Toucan Toco.
"Les machines virtuelles sont souvent surdimensionnées au regard des besoins réels", constate Jérémie Veg. Une entreprise a tendance à prendre de la marge pour gérer les pics de trafic, mais elle pourrait pour cela recourir à l'autoscaling qui se révèle moins énergivore." L'heure d'utilisation a aussi son importance", rappelle, de son côté, Alexis Normand. "Un provider peut, à partir du taux de charge d'un data center, communiquer sur les heures pleines et les heures creuses. Ce qui permet de privilégier les instances au taux de charge moindre."
Au final, en traçant le cycle de vie d'une application ainsi que ses besoins en termes de ressources machine et réseau, il est théoriquement possible, dans une approche GreenOps, de définir le cloud provider, la région cloud, la configuration serveur et les créneaux horaires d'utilisation les mieux optimisés en matière d'emprunte carbone. Selon Greenly, le potentiel de réduction de l'empreinte peut atteindre presque 70%.