Philippe Miltin (Outscale) "Outscale enregistre une croissance extrêmement forte"
Le directeur général du cloud français revient sur sa stratégie. Il précise notamment le positionnement de son activité vis-à-vis des futurs cloud de confiance Bleu et S3NS.
JDN. Quelle est la trajectoire du marché du cloud de confiance en ce début d'année ?

Philippe Miltin. Le retour tonitruant de Donald Trump a réveillé le marché qui prend plus que jamais conscience de la pertinence de notre offre de cloud souverain. Avec Trump, les acteurs français et européens comprennent qu'il est stratégique de ne pas confier des données sensibles à un acteur américain. On constate une accélération de cette tendance même si de nombreux acteurs avaient déjà fait le choix d'un cloud souverain. Rappelons que c'est ce même Donald Trump qui avait signé en 2017 le Cloud Act (une réglementation qui autorise l'accès aux données hébergées par tout acteur américain quel que soit leur localisation sur simple injonction fédérale, ndlr).
Ce qui signifie une croissance très forte de votre activité ?
Effectivement. Outscale enregistre une croissance extrêmement forte qui compte trois chiffres. Aujourd'hui, nous constatons une vraie dynamique d'abord dans le secteur public, mais aussi chez les industriels qui ont compris l'enjeu de la souveraineté. Notre stratégie est de miser sur la complémentarité. Nous n'avons pas pour vocation de venir remplacer les hyperscalers. En revanche sur le segment des données sensibles, nous sommes parfaitement complémentaires et opérationnels.
Sur quels types de projet de cloud souverain êtes-vous positionnés ?
Dans l'IA générative, nous avons par exemple choisi d'intégrer la technologie de Mistral. Grâce à ce partenariat, nos clients ont la possibilité de développer leur solution de gen AI avec un modèle européen as a service sur une infrastructure européenne dans un cloud souverain entièrement isolé en termes d'accès aux données. Nous n'avons pas prévu d'intégrer d'autres fournisseurs de LLM à cette offre pour la simple et bonne raison que Mistral est pour l'heure le seul acteur européen crédible dans ce domaine.
Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Plus globalement, nous sommes positionnés sur l'ensemble des projets de cloud impliquant la manipulation de données et d'applications sensibles.
Votre stack de GPU est-elle conçue pour l'inférence comme pour l'entraînement ?
Nous sommes uniquement positionnés sur l'inférence. D'autres acteurs commercialisent des supercalculateurs taillés pour l'entraînement. Ce n'est pas notre marché ni notre métier.
Globalement, on constate que l'IA tire le marché du cloud. Est-ce une tendance que vous observez chez Outscale ?
Non. Ce n'est pas le cœur de notre croissance. Celle-ci est multifactorielle. Evidemment, nous investissons beaucoup dans l'IA. Mais nous enregistrons aussi de fortes croissances sur beaucoup d'autres segments. C'est le cas dans la gestion des données de santé par exemple, et plus globalement sur le plan de la migration d'applications sensibles dans le cloud.
Vous lancez une offre de Kubernetes as a service. Quelle est sa philosophie ?
Chez Outscale, nous avons été les premiers à nous positionner sur la souveraineté grâce à la qualification SecNumCloud dès 2019. C'était d'ailleurs l'objet de la création d'Outscale. Nous sommes souverains par construction. Deuxième point, nous développons notre propre hyperviseur que nous avons baptisé TINA et qui est open source. Avec notre offre OKS (pour Outscale Kubernetes as a service, ndlr), nous sommes aussi les seuls désormais à proposer un service Kubernetes totalement dédié avec un plan de contrôle propre à chaque client. Chez les autres fournisseurs de cloud, le plan de contrôle est mutualisé entre clusters client. Notre service OKS peut par ailleurs être déployé sur notre infrastructure certifiée SecNumCloud.
"Sur le plan du cloud purement souverain, nous avons une carte à jouer qui restera réelle et sérieuse"
Autre élément différentiant, OKS est complétement automatisé. La mise en œuvre d'un cluster nécessite moins de cinq minutes. L'objectif est ainsi d'accélérer la mise en œuvre d'applications tout en facilitant leur passage à l'échelle.
Vous avez annoncé le lancement d'une troisième zone de disponibilité sur vos régions de Paris. Comptez-vous généraliser ce dispositif à l'ensemble de vos data centers ?
Nos régions eu-west-2 et SecNumCloud (toutes deux basées en Ile-de-France, ndlr) sont équipées chacune de trois zones de disponibilité. C'est un élément que nous devions apporter à nos clients. L'un des objectifs majeurs d'Outscale est de servir les 350 000 clients de Dassault Systèmes dans le monde. Parmi nos clients figurent Daimler, Renault, Moderna ou Volkswagen. Des entreprises qui ont besoin d'une infrastructure cloud à la fois robuste et de confiance. C'est aussi le cas de Dassault Aviation avec lequel nous avons annoncé un cloud de défense en juin 2023, un cloud basé sur nos infrastructures qui est désormais pleinement opérationnel. Compte tenu des enjeux du moment dans ce secteur, c'est évidemment un domaine sur lequel nous allons accélérer.
Au total, nous comptons 25 data centers à travers le monde. Pour l'heure nos régions en dehors de France n'ont pas pour vocation à devenir multi-zones. Ce n'est pas une demande de nos clients.
Comment comptez-vous vous démarquer de Bleu et de S3NS, ces plateformes qui proposeront respectivement les offres cloud de Microsoft et de Google sous le label SecNumCloud ?
D'abord, ces offres ne sont pas opérationnelles pour le moment. Quand elles le seront, nous verrons. Nous sommes sur un marché suffisamment important pour qu'il y ait de la place pour tout le monde. Nous avons un nombre important de clients qui vont continuer à nous faire confiance. Même si certains font par ailleurs appel aux hyperscaler, ils y réfléchiront à deux fois avant d'héberger leurs données sur des cloud qui malgré tout restent américains. Je pense notamment aux acteurs du secteur public.
Sur le plan du cloud purement souverain, nous avons une carte à jouer qui restera réelle et sérieuse. Nous sommes le plus ancien acteur et par conséquent le plus mature sur ce marché. Nous savons opérer et fournir toutes les garanties. Nous sommes totalement européens, et adossé à Dassault Systèmes (qui est le premier éditeur de logiciel français, ndlr). Lors d'une conférence de presse en 2023, nous avions affirmé que notre souveraineté numérique était aussi importante que notre indépendance nucléaire. Je pense qu'aujourd'hui c'est encore plus vrai, notamment compte tenu du climat géopolitique. Pour des projets réellement sensibles, beaucoup de clients ne se poseront pas la question et se tourneront vers nous. Sachant que nous sommes aussi positionnés dans le domaine de la défense. Qui peut le plus peut le moins.
Philippe Miltin est le directeur général d'Outscale. Précédemment, il a notamment travaillé pour SGI comme vice-président et VP EMEA. En 2006, il est recruté par Bull comme executive vice president head of products and systems & development of HPC and storage. Il gravit les échelons. En 2014, il est nommé chief commercial officer. En 2020, il rejoint Atos comme group SVP market head of manufacturing retail and transport, puis SVP global sales for BDS and manufacturing industry. Il devient DG d'Outscale en septembre 2022.