Nouveaux data centers : une pause aux US, un repli en Europe, le début d'une crise ?
Les centres de données tentaculaires et gourmands en énergie sont devenus, dans certaines banlieues, aussi courants que les centres commerciaux ou les terrains de football. Le mouvement est en grande partie tiré par les hyperscalers. Mais Microsoft a récemment créé la surprise en annulant ses projets de centres de données dans l'Ohio. Il n'en fallait pas plus pour affoler les marchés financiers et relancer les interrogations : l'essor naissant des centres de données aurait-il déjà atteint son apogée ? Un rapport de Wells Fargo publié fin avril renforce ces inquiétudes, indiquant qu'Amazon Web Services réévaluait lui aussi certains projets dans ce domaine.
Mais ce n'est pas forcément le signe d'un début de crise pour les datacenters. Cet épisode relève plutôt d'une pause dans un contexte de dépenses qui reste solides. "Nous continuons d'observer une montée en puissance des déploiements en IA dans les data centers, avec une croissance qui demeure soutenue aux Etats-Unis", déclare sur CNBC Giordano Albertazzi, PDG de Vertiv, une entreprise de l'Ohio spécialisée dans les centres de données. Du côté d'Amazon, on se veut rassurant. "Il n'y a pas eu de changement significatif aux USA", indique Kevin Miller, vice-président des centres de données mondiaux du groupe lors d'une conférence de presse. "Nous continuons de voir une forte demande globale à court et long terme."
Aux Etats-Unis, les stratégies des hyperscalers sont pris entre deux feux : d'un côté l'initiative Stargate de Trump qui vise à injecter 500 milliards de dollars dans l'IA et les datacenters, de l'autre la concurrence de l'IA chinoise DeepSeek sans oublier les perturbations géopolitiques qui ont entraînées leurs lots de tensions commerciales. D'après les analystes, c'est cet ensemble de facteurs qui a conduit à une pause dans l'industrie des centres de données. Une pause et non un arrêt, les carnets de commandes restant volumineux, notamment autour des grands modèles d'IA dont les besoins en capacité demeurent pharaoniques.
Microsoft avait initialement promis d'investir 1 milliard de dollars dans des centres de données dans l'Ohio, à proximité des futures usines d'Intel. "Après réflexion, nous ne poursuivrons pas nos projets sur les sites du comté de Licking pour le moment", a confirmé Microsoft à CNBC. L'entreprise continue d'évaluer ces emplacements en fonction de sa stratégie. "Il n'y a pas de recul de la demande. Nous ajustons simplement nos priorités", ajoute l'éditeur. L'objectif est bien de maîtriser la vague de l'IA, mais sans se faire emporter par elle. Il s'agit surtout d'éliminer les projets jugés prématurés. Rappelons que les dépenses du groupe de Redmond en matière de location de centres de données ont été multiplié par 6,7 en deux ans, atteignant 175 milliards de dollars en termes de contrats d'engagement.
"Il y a une question de demande, de structure de charge de travail et de localisation"
A l'occasion de la publication des résultats trimestriels de Microsoft le 30 avril dernier, Satya Nadella, le PDG du groupe, a décrypté la situation. "Il y a une question de demande, de structure de charge de travail et de localisation", a-t-il expliqué. "Nous devons éviter de concentrer nos investissements sur un unique pool de centres de données alors que la demande en capacité machine est mondiale."
Ces mouvements s'apparentent à des redéploiements dans un contexte où l'électricité, l'eau et le foncier deviennent sur certaines géographies rares et stratégiques. "L'adoption de l'IA par les entreprises soutiendra la croissance de la demande en centres de données pendant au moins une décennie. Nous n'en sommes même pas à la première manche", soulignent les analystes de BGO.
L'électricité est le nerf de la guerre des centres de données, qui consomment énormément d'énergie pour les calculs et le refroidissement. Avec le passage de l'IA générative à des usages en entreprise, les besoins en centres performants proches des utilisateurs finaux vont également croître. Mais compte tenu des infrastructures et du maillage électrique à déployer, ce chantier va demander plusieurs années.
Une partie du réseau électrique sera à revoir, que ce soit aux Etats-Unis comme en Europe. De 60 mégawatts il y a trois ans, les grands centres de données nécessitent aujourd'hui souvent plus de 500 mégawatts pour fonctionner. Une tendance qui s'ajoute à la demande croissante liée à l'industrie et aux véhicules électriques, mettant la pression sur les infrastructures des opérateurs d'électricité qui doivent garantir l'approvisionnement, et ce même en période de forte demande. D'où les délais d'attente pour les connexions réseau. Dans ce contexte, il devient crucial d'investir dans de petits réacteurs nucléaires, des sous-stations électriques et, plus globalement, d'agrandir les réseaux d'énergie.
Aux Etats-Unis, force est de parier que les projets vont se poursuivre surtout dans les régions ayant un bon accès à l'électricité comme la Géorgie, le Texas ou l'Ohio. Un accès rapide à de grandes capacités électriques (en moins de 36 mois) reste un atout majeur.
Qu'en est-il sur le Vieux continent ? Là encore, on note des mouvements de repli. Mais de ce côté-ci de l'Atlantique, la situation semble plus préoccupante. "Des géants du cloud américains ont réduit leurs capacités en Europe", nous confie un dirigeant français présent sur le segment des datacenters européens ciblant les hyperscalers. Confronté à un environnement imprévisible entre la guerre en Ukraine et les tensions avec les Etats-Unis sur le terrain des droits de douane, les grands fournisseurs de cloud prennent les devants, anticipant une baisse d'activité à court terme. Ils replient la voilure pour ne pas prendre de risque.
"Sur le moyen et long terme, la stratégie reste celle de la croissance en Europe", répond-on de concert chez Microsoft et Google en France. Microsoft annonce son intention d'augmenter la capacité de ses centres de données en Europe de 40% au cours des deux prochaines années. "Nous allons étendre l'exploitation de nos datacenters à 16 pays européens", indiquait Brad Smith, président de Microsoft, le 30 avril dernier. "En conjuguant cette expansion à nos récentes constructions, nos infrastructures auront plus que doublé en Europe sur la période 2023-2027. Plus de 200 centres de données soutiendront alors nos opérations cloud à travers le continent." Au sein de Google France, on rappelle l'information délivrée par la directrice financière du groupe, Anat Ashkenazi, à l'issue du premier trimestre fiscal 2025 : l'entreprise de Mountain View prévoit un investissement de 75 milliards de dollars dans les infrastructure sur l'année au niveau mondial. Le JDN a également contacté le bureau d'AWS en France, qui à l'heure où nous publions cet article n'a pas répondu à nos sollicitations sur ses positions en Europe.