Les start-up à l'assaut de l'intérim, un marché de 24 milliards d'euros
Longtemps à l'écart de l'innovation, l'intérim voit débarquer des acteurs qui digitalisent recrutement et paie. Mais les agences traditionnelles ne s'avouent pas vaincues.
Un espace de quarante mètre carrés, une équipe de cinq personnes, des offres d'emploi placardées sur la devanture. Voilà à quoi ressemble une agence d'intérim traditionnelle. C'est à ce modèle qui n'a pas changé depuis plusieurs décennies que s'attaque plusieurs start-up.
"L'intérim est un marché immense. D'après Prism'emploi, l'association des professionnels du travail temporaire, le secteur pèse 24 milliards d'euros en France en 2016. Pendant longtemps, il est resté à l'écart de l'innovation. Ce n'est que depuis moins d'un an qu'il commence à se digitaliser", explique Stéphanie Delestre, fondatrice et dirigeante du site d'emploi Qapa.
"L'intérim a amorcé sa digitalisation il y a moins d'un an"
Une digitalisation qui répond aux besoins des intérimaires mais aussi des entreprises. Actuellement faute d'agilité, ces dernières peinent à trouver de la main d'œuvre rapidement tandis que les salariés sont contraints d'apporter en main propre des CV, des lettres de motivation et des fiches de temps de travail dans des agences parfois éloignées de chez eux.
"Conséquence, en cas d'urgence, de remplacement au pied levé, il faut en moyenne compter 48 heures pour trouver quelqu'un. Bien des employeurs préfèrent donc se passer d'intérimaires ou recourir au travail au noir. Il y a donc un fort marché caché", déplore Yannick Vinay, qui souhaite faciliter les recrutements via son application Vit-on-Job, déployée en janvier 2017 après une période de test entamée en septembre 2016.
Le concept est simple : sur l'application téléchargeable gratuitement, les entreprises publient librement leurs offres. Les personnes en recherche d'un contrat d'intérim créent en quelques clics un CV composé de mots-clés (compétences, géolocalisation…). Un algorithme permet par la suite de faire matcher l'offre et la demande. Une fois l'accord conclu (par téléphone, Skype, chat ou SMS), Vit-on-Job s'occupe de créer une fiche de poste et d'établir les fiches de paie en respectant la réglementation en vigueur.
"C'est un travail compliqué qui s'effectue via un logiciel qui par exemple connaît 80% des conventions collectives existantes et qui prend en compte le Smic hôtelier. Un CTO et une équipe d'une douzaine de personnes s'occupent du bon fonctionnement de l'appli qui est capable d'éditer une fiche de paie et de payer un intérimaire dans les 48 heures. Toutes nos opérations sont habilitées par l'Urssaf", développe le dirigeant, qui compte le Groupe 3S leader des services aéroportuaires en France comme principal client. C'est grâce à Vit-on-Job par exemple que l'aéroport Charles de Gaulle a réussi à recruter une centaine de dégivreurs en un week-end au mois de novembre.
Qapa et Vit-on-Job paient les intérimaires à distance en moins de 48 heures
La jeune start-up, qui compte déjà trente salariés, affiche des objectifs élevés : près de 1 000 téléchargements par jour et entre 75 000 et 100 000 contrats de travail signés d'ici fin 2017. "Cela nous permettra d'être crédible et de lever des capitaux pour grandir encore plus", espère Yannick Vinay.
Les capitaux, Qapa les possède déjà. Il y a un mois, l'entreprise dirigée par Stéphanie Delestre a levé 11 millions d'euros. Une somme qui a un but : faire entrer Qapa dans le top cinq des agences d'intérim d'ici cinq ans, le tout sans agence physique.
Comme Vit-on-Job, Qapa a lancé à titre expérimental une application de recrutement par intérim en septembre. Le service a marché au delà de prévisions et Qapa a donc souhaité se spécialiser dans l'intérim via son service Qapa Intérim.
L'objectif est ambitieux , remplacer de A à Z l'agence classique : "Une personne qui souhaite télécharger Qapa interim doit créer son profil, donner son adresse, son numéro de sécurité sociale. Nous prenons tout l'aspect administratif en charge : de la déclaration préalable d'embauche à la mutuelle obligatoire, rien ne nous échappe. Le contrat se signe à distance via une signature électronique homologuée par la Caisse des dépôts. Nous avons même conçu un outil de chat qui permet à l'employeur et à l'intérimaire de dialoguer entre eux mais aussi avec nous. Deux salariés et un avocat spécialiste du droit du travail suffisent à gérer les contrats et la paie", se réjouit Stéphanie Delestre, qui compte signer 10 000 contrats par mois cette année. Pour le moment ce sont les postes du secteur de la logistique qui recourent le plus à Qapa intérim.
Point important pour les entreprises clientes, les services développés par Vit-on-Job et Qapa reviennent à 15% du salaire brut chargé, soit un tarif deux fois moins élevé que les agences. De quoi mettre fin à leur activité ?
Vers la fin des agences d'intérim ?
Yannick Vinay est catégorique : Vit-on-Job n'a pas pour objectif de mettre fin aux points de contacts physiques, bien au contraire. "Notre but n'est pas de court-circuiter les agences d'intérim mais de collaborer avec elles. Nous possédons la technologie, elles connaissent le marché du travail local, nous avons tout intérêt à nouer des partenariats", avance le chef d'entreprise.
Vit-on-Job a déjà passé des alliances avec le groupe d'intérim Hubjob sur les bassins d'emploi de Toulouse et de Roissy. Hubjob, dispose de milliers d'offres d'emploi. Son but est de les mettre en ligne sur une application co-brandée Vit-on-Job et Hubjob. "Les agences d'intérim sont comme toutes les entreprises, elles font face à des utilisateurs de plus en plus digitalisés et de plus en plus dans le culte de l'instantanéité. Elles ont pris conscience qu'elles devaient changer. Elles ont donc intérêt à être pro actives".
"Nous ne voulons pas court-circuiter les agences mais collaborer avec"
Ce n'est pas Christophe Catoir, PDG d'Adecco, qui dira le contraire. Sous son impulsion, le leader français de l'intérim a créé en juin 2016 Mon agence en Ligne, la première agence 100% digitale du groupe. "Pour ne pas nous faire disrupter, nous avons choisi de raisonner en mode start-up, de faire preuve d'agilité", explique le dirigeant. Avec ses algorithmes de matching et l'aide à la création de CV vidéo, la plateforme reprend une partie de l'offre des start-up de recrutement. Et pour le moment le succès semble au rendez-vous : "L'idéal serait que Mon agence en ligne pèse 5% du chiffre d'affaires d'Adecco à la fin de l'année. 12 000 offres sont déjà disponibles sur le site", se réjouit Christophe Catoir.
Si le secteur devrait continuer à se digitaliser massivement dans les années à venir, il semblerait que les agences traditionnelles aient encore de beaux jours devant elles. "A moyen terme, le recrutement digital sera prédominant sur les postes faciles à sourcer comme le secrétariat ou la comptabilité. En revanche, les agences qui vont se concentrer sur des secteurs spécifiques comme l'automobile ou les emplois de CDI intérimaires ont de belles perspectives de croissance", estime Stéphanie Delestre.
Un avis partagé par Christophe Catoir. Si selon lui les agences physiques auront de moins en moins de raison d'être pour des contrats très courts occupés par des jeunes ultra connectés (stadiers, extra…), elles resteront pertinentes pour des contrats plus longs ou des secteurs à forte valeur ajoutée.
"Adecco a ouvert 30 agences physiques en 2016"
"Nous ne pourrons pas échapper à la digitalisation mais cela ne signifie pas la fin des agences d'intérim. Pour preuve, en 2016, nous avons ouverts 30 nouvelles agences spécialisées dans les PME et les postes de cadres. Les nouvelles formes de travail comme les freelances ou le portage salarial constituent une belle opportunité", rappelle le PDG d'Adecco. Les annonces placardées sur les vitrines ne disparaîtront donc pas de sitôt.