Comment Chapitre.com articule online et offline

Désormais figure de proue d'un réseau de 66 librairies physiques, le site marchand multiplie les synergies entre les deux canaux de vente. Il convainc peu à peu les libraires qu'Internet n'est pas leur ennemi.

Début 2007, DirectGroup et son réseau de points de vente France Loisirs et Le Grand Livre du mois entraient à 49,5 % dans le capital de Chapitre.com. Un an plus tard, la filiale de Bertelsmann décidait d'utiliser le site marchand comme l'unique canal de vente en ligne de ses librairies. Mais surtout, de leur donner le nom du site (Lire Bertelsmann marie Chapitre.com à son réseau de librairies, du 29/02/2008).

Aujourd'hui, les 64 librairies françaises du réseau de DirectGroup (groupe Bertelsmann) sont labellisées Chapitre.com. L'enseigne a même monté deux nouveaux points de vente - l'un de 2 000 mètres carrés à Angoulême, l'autre de 900 mètres carrés à Ivry - et un troisième verra bientôt le jour à Tours. "C'est la première fois qu'un site marchand donne son nom à des magasins physiques, s'enthousiasme Juan Pirlot de Corbion, président fondateur de Chapitre.com. Or avec près de 220 millions d'euros de chiffre d'affaires, il s'agit du deuxième réseau de libraires après la Fnac."

Très logiquement, le site a immédiatement profité de cette nouvelle vitrine. "Nous avons par exemple regardé les commandes achetées sur le site et livrées à Angoulême sur les 12 mois précédant l'ouverture de la librairie et sur les 12 mois suivant l'ouverture, explique-t-il. Elles ont été multipliées par 18. La présence du magasin physique occasionne incontestablement un regain de confiance, de notoriété et de réassurance dont bénéficie le site marchand." Un phénomène qui s'explique aussi par l'implication des vendeurs, qui conseillent parfois aux acheteurs de rechercher sur le site un ouvrage dont ils ne disposent pas en librairie.

Si les comportements précautionneux des consommateurs engendrés par la crise du pouvoir d'achat et la crise boursière ont forcé Juan Pirlot de Corbion à revoir ses prévisions de croissance à la baisse, il table néanmoins sur une augmentation de 30 % du chiffre d'affaires de Chapitre.com en 2008, qui devrait donc atteindre 19 millions d'euros. "En outre, les libraires en ligne représentent plus de 5 % du marché de la vente de livres, qui s'élève en France à 4 milliards d'euros. Or ce taux de pénétration devrait atteindre 10 % d'ici 3 ou 4 ans." Le dirigeant s'estime donc sur un courant porteur.

Les synergies entre librairies et site marchand vont d'ailleurs être prolongées. "A Arras, nous testons depuis trois semaines l'outil nous permettant de livrer en librairie, les achats réalisés en ligne. D'ici la fin de l'année, cette possibilité sera généralisée à l'ensemble du réseau." En plus d'offrir aux consommateurs un mode de livraison supplémentaire avec ces points relais, le dispositif permet également de faire venir une clientèle nouvelle en librairie.

Pour Juan Pirlot de Corbion, il est difficile de dire qui, des magasins ou du site, profite le plus de cette association. "Par exemple, on sait bien que de plus en plus, les clients préparent leurs achats sur Internet avant de les concrétiser en magasin." Pour profiter pleinement de ce comportement d'achat, Chapitre.com travaille à ce qu'il soit possible en 2009 de réserver sur le site pour acheter en librairie.

Communication par e-mail de Chapitre.com avec les clients des librairies DirectGroup, système unique de carte de fidélité... les deux entités multiplient les liens entre les deux canaux de vente. Ainsi, l'an prochain, les vendeurs devraient pouvoir prendre des commandes sur le site pour des clients, sans devoir leur dire de le faire eux-mêmes. "C'est un service important, par exemple pour le client à la recherche d'un livre rare ou épuisé. Mais cela renforce aussi dans l'esprit du libraire l'idée qu'Internet peut l'aider dans son métier."

Il va d'ailleurs devenir de plus en plus difficile de distinguer les identités de chaque canal de vente. "Aujourd'hui, l'identité de la librairie historique subsiste, souligne Juan Pirlot de Corbion. Prenez le Hall du Livre, à Nancy, qui appartient à DirectGroup. C'est l'une des plus grandes librairies de la ville et elle a plus de 50 ans. Il était important de conserver son nom, en particulier en façade, pour ne pas risquer de rompre avec la clientèle. Pourtant, la carte de fidélité, les supports éditoriaux, les sacs plastiques ou encore les posters en vitrine sont au nom de Chapitre.com."

Ceci ne constituait toutefois qu'une première étape. Des discussions sont en effet en cours pour que progressivement, les identités particulières s'effacent et que Chapitre.com devienne la marque unique du réseau. "Il y a trois ans, cela aurait été inenvisageable pour les libraires, qui voyaient Internet comme l'ennemi. Mais depuis un an, ils perçoivent tout l'intérêt à s'y appuyer pour se développer. Nous pouvons maintenant aborder ce changement de nom."

Cette collaboration pourrait cependant être mise à rude épreuve avec l'arrivée du livre électronique, dans lequel Chapitre.com est en train de se lancer. Après une première expérimentation début octobre, au cours de laquelle le site avait rendu disponible gratuitement pendant trois jours le conte Un chien nommé Noël de Greg Kincaid (aux éditions France Loisirs), ceci avant même sa parution papier, le site s'apprête à développer considérablement son offre en matière de livre électronique : "C'est en 2009 que cela va décoller, affirme Juan Pirlot de Corbion. Et même si personne ne peut encore dire ce qu'il donnera, nous pensons que ce sera un grand marché."

L'offre sera constituée de tous les textes que les éditeurs souhaiteront distribuer sous cette forme et s'appuiera sur un support développé par le français Bookeen, une tablette à encre électronique. "Nous allons proposer un catalogue très enrichi, contenant aussi bien des revues scientifiques que des ouvrages rares ou épuisés", précise-t-il.

L'inconnue réside sans doute également dans la réaction des libraires, qui pourraient se sentir aussi menacés qu'il y a peu par Internet. Mais le fondateur de Chapitre.com préfère mettre en avant le rôle pédagogique que peuvent avoir les vendeurs : "Il va falloir expliquer au public comment le livre électronique fonctionne. Or je pense qu'il sera beaucoup moins considéré comme un produit électronique que comme un dérivé du livre. Les libraires pourront donc être très impliqués dans sa promotion. De plus, le téléchargement des textes peut très bien se passer en librairie." Seulement, contrairement au Web marchand, il est cette fois impossible d'anticiper l'évolution du marché en observant des pays plus avancés. L'e-book en est partout à ses balbutiements.