Les ventes de site web "clé en main "dans la tourmente judiciaire

Plusieurs sociétés commercialisant des sites internet ont récemment défrayé la chronique suite à une avalanche d’actions judiciaires concernant une pratique aujourd’hui connue sous le nom de vente « One Shot ». Que recouvre cette pratique ? Est-elle légale ?

La vente « one shot » de sites internet – de quoi parle-t-on vraiment ?

La vente « one-shot » est une technique commerciale utilisée par certaines sociétés du Web proposant la création de sites « clé en main ». Elle désigne une méthode visant à obtenir la signature d’un client lors de la première et unique rencontre. Ainsi, à l’aide d’une argumentation commerciale agressive, le client certes professionnel mais généralement novice en la matière est poussé à signer le contrat sur-le-champ, trop souvent sans avoir pris connaissance des différentes modalités de l’engagement qu’il contracte.
Généralement, cela débouche sur la situation suivante :

- Le client n’est finalement ni propriétaire de son site web, ni titulaire du nom de domaine alors qu’il croyait l’être.

- Le coût de l’opération et des redevances mensuelles demandées sur une période longue s’avèrent généralement au dessus des prix du marché.

Pour décrypter cette méthode et en appréhender différents éclairages juridiques possibles, il est utile de revenir sur les étapes successives qui la composent.
Ainsi, dans un premier temps, le commercial de l’agence web contacte le prospect en lui présentant une offre particulièrement attractive. Gain à un concours fictif, création de références commerciales dans le cadre d’un lancement d’activité, les arguments sont nombreux pour justifier des prix d’appel défiant toute concurrence. Il arrive même que l’argumentation commerciale soit poussée jusqu’à la proposition d’un site gratuit…
En cas d’approche réussie, rendez-vous est rapidement pris dans les locaux du client. Dans ce deuxième temps, le commercial va parfois être tenté de profiter de l’ignorance du prospect en matière informatique pour l’inviter à signer le contrat proposé, sans réelle étude des engagements prévus.
Le réveil peut alors s’avérer particulièrement dur pour le client qui dans un troisième temps s’aperçoit qu’il est engagé pour une durée d’abonnement de 48 mois avec une redevance mensuelle particulièrement élevée, le tout pour un site qui ne lui appartient pas et dont les fonctionnalités s’avèrent rapidement inadaptées à sa situation. Le client se trouve alors dans une situation captive : simple locataire de son site et du nom de domaine qui y est attaché, il ne peut résilier le contrat sous peine de se voir totalement dépossédé de ce qu’il pensait à tors être sa propriété outre le versement des mensualités restant à payer jusqu’à la fin de l’abonnement.

Le stratagème ne s’arrête pas là : pour éviter le « désagrément » de la gestion de clients mécontents, l’agence web à l’origine de la vente « one shot » décide bien souvent de céder le contrat à des Sociétés de crédit-bail qui deviennent le seul interlocuteur de clients impuissants.

Une jurisprudence protectrice des contrats et de leur force obligatoire

Les tribunaux français n’ont pas tardé à être saisis de demandes visant à voir annuler ces ventes « one shot ».

Arguments juridiques rejetés pour assurer la sortie des relations du contrat de vente "one shot" :

Inapplicabilité du Code de la consommation ? : Les agences web ne s’adressent qu’aux professionnels. Recourir aux dispositions relatives au démarchage serait donc vain (Cf. CA Poitiers, 9/09/2008).
De plus, cette qualité de « professionnel » fragilise le client car, il est présumé capable de résister aux sollicitations du vendeur (Cf. CA Paris, 12/10/2007).
Observons toutefois que la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs a étendu aux professionnels l’application des dispositions du Code de la consommation relatives aux pratiques commerciales trompeuses.
Cette modification n’est pas anodine au regard des pratiques de vente « one shot » dans la mesure où les victimes pourront agir aux visas des articles L.121-1 et suivants du Code de la consommation afin de voit sanctionner le fait de
- déclarer faussement qu’un produit ou un service ne sera disponible que pendant une période très limitée ou qu’il ne sera disponible que sous des conditions particulières pendant une période très limitée ;
- le fait de décrire un produit ou un service comme étant gratuit si le consommateur / professionnel doit payer quoique ce soit d’autre que les coûts inévitables liés au fait de prendre possession du site internet objet de la vente
- etc.
Cette voie de défense n’est pas anodine dans la mesure où si de telles pratiques s’avéraient démontrées, l’agence web s’exposerait alors à des peines pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement, 37 500 euros d’amende, cette amende pouvant être portée à 50 % des dépenses de la publicité ou de la pratique constituant le délit.

Un autre argument pourrait être objecté à la position adoptée par les Cour d’Appel de Poitiers et de Paris dans les décisions précitées. En effet, ces arrêts entendent de manière restrictive la définition du non professionnelle telle qu’elle ressort de plusieurs décisions contraires de la Cour de Cassation. Cette dernière estime ainsi qu’un professionnel « a droit à la même protection qu’un particulier pour toute offre à lui faite sortant du cadre spécifique de son activité » (Cass. 1ère civ., 6 janvier 1993, n°90-20.735) et notamment lorsque n’ayant aucune compétence professionnelle en la matière, il « se trouvait dès lors dans le même état d’ignorance que n’importe quel autre consommateur » (Cass. 1ère civ., 25 mai 1992, n°89-15.860).

Licéité et force obligatoire du montage contractuel : Céder le contrat de louage de site à un crédit bailleur est licite (Cf. CA Lyon 21/10/2010).
Sur ce point encore, il nous semble envisageable de rappeler la possibilité d’invoquer les dispositions de l’article L.442-6 du Code de commerce qui permet d’annuler toute clause de nature à créer un déséquilibre significatifs dans un contrat signé entre professionnels. Cet article permet en outre d’engager la responsabilité du professionnel qui tente « d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ».
Dans les cas de vente « One Shot », l’invocation de l’article L.442-6 pourrait donc constituer une arme efficace pour s’attaquer à la force obligatoire des contrats signés dans la précipitation.

Arguments juridiques retenus pour fonder une annulation du contrat de vente "one shot"

La démonstration de l’existence de manœuvre dolosive : Cette démonstration factuelle impose de rapporter la preuve de l’existence d’un discours commercial systématique au contenu trompeur (Cf. CA Bdx 8/03/2011).
La preuve du dol peut également être rapportée suite à la non communication d’information par l’Agence Web. Ainsi, par exemple, le fait de ne pas informer le client sur le délai d’attente avant de pouvoir être référencé, pourra caractériser une réticence dolosive (Cf. CA Toulouse 21/04/2009).
Le dol, sanctionné par l’article 1116 du Code civil, pourra enfin être retenu dès lors que sont démontrées des pressions et contraintes sans lesquelles le client n’aurait pas signé le contrat. La jurisprudence est toutefois particulièrement exigeante en la matière dans la mesure où les clients professionnels ne bénéficient pas de la protection des consommateurs (Cf. CA Poitiers 9/09/2008). L’insistance du démarcheur ne suffira pas à permettre l’annulation du contrat (Cf. CA Angers 19/01/2010).
En effet, les magistrats considèrent que le vice du consentement ne sera pas caractérisé dès lors qu’un commerçant avisé doit être en mesure de résister aux sollicitations d’un délégué commercial et qu’aucune pression ou contrainte n’a été mise en évidence (Cf. CA Paris 12/10/2007).
La résolution judiciaire pour inexécution contractuelle : En droit, la résolution judiciaire pour inexécution est régie par les dispositions de l’article 1184 du Code civil.
Elle consiste à demander au juge la résolution du contrat pour inexécution des obligations de la partie cocontractante et peut être accompagnée de dommages-intérêts.
Les jurisprudences intervenues en matière de vente « one shot » sont toutefois particulièrement restrictives en ce domaine.
Ainsi a-t-il été refusé la résolution judiciaire du contrat lorsqu’était simplement invoqué le « piètre aspect » du site internet (Cf. CA Bdx 25/11/2009) ou encore lorsqu’était avancé le fait que le site litigieux était « repoussant et truffé d’erreurs » (Cf. CA Rennes 3/07/2009).
Pour justifier la résolution judiciaire les victimes des ventes « one shot » devront donc veiller à démontrer une inexécution tenant aux caractéristiques essentielles du site pour le client.
Et pour déterminer quels aspects ont ce caractère, il n’existe qu’un moyen : spécifier les besoins de son activités, tant au niveau fonctionnel que visuel, à l’agence. Cela peut passer par la rédaction d’un cahier des charges (Cf. CA Rennes 3/07/2009) ou encore par la demande de modifications spécifiques.

Finalement les victimes des ventes « one shot » disposent de plusieurs fondements juridiques pour tenter d’obtenir en justice l’annulation ou la résolution de leur contrat et limiter ainsi les frais engagés à perte dans un projet nauséabond.

Les nombreuses jurisprudences intervenues en la matière concernent des litiges portés au civil. Elles pourraient se développer à l’avenir en multipliant les fondements juridiques à chaque nouveau cas d’espèce. Résiliation unilatérale pour violation de l’obligation générale de conseil, notification de fautes grave après un audit détaillé des conditions générales de location, actions concertées en vue de sortie amiables… les voies ne manquent pas pour accentuer la pression sur une pratique aujourd’hui placée dans la tourmente judiciaire.
Suivant ce même objectif, pourrait enfin être envisagé de porter des actions devant le juge pénal. En effet, dès lors qu’il y a tromperie, les délits de pratiques commerciales trompeuses et d’escroquerie n’est ne sont pas loin… A bon entendeur.
A suivre....