Jean-Philippe Fleury (Materiel.net) "Il est possible de gagner de l'argent en vendant de l'informatique"

Rentable depuis ses débuts, Materiel.net affiche 110 millions d'euros de chiffre d'affaires 2011, en hausse de 15% sur un an. Le fruit de la spécialisation du site, explique son fondateur.

JDN. Comment parvenez-vous à enregistrer une croissance de 15% en 2011, en restant rentable, alors que le secteur du high-tech est morose et que les ventes de vos concurrents stagnent ou baissent ?

Jean-Philippe Fleury. Nous opérons en effet sur un marché assez classique, celui des ordinateurs de bureau. Notre particularité est notre réelle spécialisation. Notre gestion spécifique et l'expertise de nos équipes nous permettent de répondre à toutes les demandes. Notre qualité de service est au-dessus du lot, y compris en après-vente. Cette aura profite aussi à notre offre de PC. A l'inverse, nos concurrents ont élargi leur catalogue au-delà du high-tech, en propre ou via une marketplace. Or ces produits sont plus simples à vendre : il n'y a pas de conseil à apporter en avant-vente, pas de panne des produits... Ces acteurs ont donc perdu leur spécialisation et leur savoir-faire spécifique.

Chez Materiel.net, la logistique, le marketing, la plate-forme... tout est géré en interne par nos 200 collaborateurs. Même notre ERP a été développé par nos soins. Cela nous permet d'afficher la croissance la plus forte de notre secteur d'activité, avec un résultat largement positif, supérieur à ceux de Rueducommerce et LDLC réunis. Ceci également parce que nous vendons du matériel plus haut de gamme qu'eux, plus cher donc, avec une volumétrie plus importante. Nos tarifs sont compétitifs mais nous ne cherchons pas à être toujours les moins chers. Pour notre part, nous avons une marge d'exploitation.

On a pourtant souvent l'impression qu'il n'est pas possible de gagner de l'argent en vendant des produits informatiques...

En maîtrisant la chaîne de A à Z, c'est possible : nous en sommes l'illustration. Et nos résultats nous permettent d'investir sereinement. Ceci en assurant une vraie contribution sociale, puisque nous payons des millions d'euros d'impôt sur les sociétés, même si nous devons lutter contre des acteurs qui ne s'en embarrassent pas, suivez mon regard jusqu'à Seattle...

Notre principal concurrent est LDLC, mais nos concurrents regroupent en réalité tous les sites qui vendent des ordinateurs. Notre offre est d'ailleurs souvent incluse dans la leur. Sauf qu'il y a plus d'avenir pour les e-commerçants spécialisés. Seuls quelques sites généralistes peuvent survivre, qui correspondent à des modes de consommation différents. La croissance de l'e-commerce est d'ailleurs bien supérieure à celle des gros sites : ce sont les petits, et donc les spécialisés, qui tirent la croissance.

Quels sont vos projets pour 2012 ?

Notre chantier permanent consiste à nous adapter à la croissance de notre activité et de nos volumes. En 2012, nous allons doubler la capacité de notre plate-forme logistique et la mécaniser, de façon à pouvoir sereinement gérer 300 millions d'euros de chiffre d'affaires.

De plus, nous ouvrirons cette année une version mobile de notre site. Même si le type de produits que nous commercialisons fait peu l'objet d'achats impulsifs, nous jugeons important d'apporter ce service complémentaire au client en lui rendant l'information plus accessible, notamment lorsqu'il se trouve en magasin.

LDLC réalise 40% de son activité en BtoB. Cela ne vous tente-t-il pas ?

Nous ouvrirons en 2013 un site destiné aux entreprises. Actuellement, notre clientèle est composée en quasi-totalité de particuliers, les quelques clients professionnels étant plutôt des BtoC convertis. Notre site pro offrira des services adaptés à la clientèle BtoB, notamment en termes de financement.

Ce chantier est d'ailleurs plus important qu'il n'y paraît. Par exemple, aujourd'hui, les fiches produit de nos 10 000 références sont faites à la main. Si demain nous ajoutons une offre BtoB incluant des serveurs, des accessoires, etc, le nombre de références doublera ou triplera. Nous devrons donc automatiser tout cela. A horizon 2015, nous tablons sur un quart à un tiers de nos ventes réalisées en BtoB. Il est donc hors de question de se contenter pour le site pro d'un mode dégradé du site actuel. Beaucoup de choses sont à adapter.

Quel est le rôle de votre réseau de magasins et comptez-vous l'étendre encore ?

Nous avons onze agences, dans toutes les principales agglomérations de France. Plutôt qu'investir des millions en publicité, nous préférons nous rapprocher de nos clients. Ces agences font office de point de retrait des commandes, de bureau de SAV, de "genius bar" aussi... A Nantes, nous avons même un drive : les voitures des clients entrent dans le bâtiment. Ces agences constituent un facteur de différenciation important et contribuent à la confiance générale qu'inspire Matieriel.net.

Toutefois, nous n'en avons pas ouvert de nouvelles en 2011 et ne prévoyons que deux ouvertures à venir, une au Sud de Paris et une intramuros. Elles se feront en 2012 ou en 2013, selon les opportunités d'emplacements qui se présenteront.

Avez-vous ouvert des magasins parce que certains fabricants n'auraient pas, sans cela, accepté de vous fournir leurs produits ?

Certains fabricants imposent en effet aux distributeurs d'exposer physiquement leurs produits, notamment dans le brun : amplis, hifi, vidéo... Parfois c'est justifié, parfois non. D'un autre côté, je ne crois effectivement pas au business model d'e-commerce qui consiste en tout et pour tout à vendre moins cher. C'est de la destruction de valeur pure et simple. Les e-commerçants vendent des produits à marge pour pouvoir baisser les prix, résultat, cela ne plaît pas aux fabricants dont les autres réseaux de distribution leur coûtent cher en services et en effectifs. L'objectif de la vente en ligne ne devrait pas être de vendre moins cher, mais de vendre au bon prix les produits et les services qui leur sont associés.

Cela étant dit, certains groupements d'enseignes traditionnelles et disposant de nombreux magasins permettent à leurs adhérents d'obtenir des conditions de remises conséquentes et certains d'entre eux en profitent pour les porter sur le Web. En réalité, ce sont souvent eux les concurrents les plus agressifs avec pour seule ambition de casser les prix. Au final, tout le monde ne gère son activité que par le prix ! Pour notre part, depuis notre création en 2000, nous ne nous sommes jamais focalisés uniquement sur le prix et avons au contraire adopté une logique de valeur.

Jean-Philippe Fleury, 34 ans, est à la tête de Materiel.net depuis 2000. C'est lors de sa dernière année d'études en informatique qu'il crée Materiel.net en tant qu'exemple de site d'e-commerce. Contre toute attente, le site, qui n'était que le reflet de son savoir-faire en création de site Internet, enregistre ses premières commandes. Les volumes ont rapidement augmenté, conduisant Jean-Philippe Fleury à se consacrer uniquement à cette activité. Il est majoritaire au capital de Materiel.net, qui est par ailleurs soutenu depuis ses débuts par le fonds d'investissement Seeft Ventures.