Florent Menegaux (Michelin) "Michelin utilise le numérique pour accélérer dans les services"

Le numéro 2 du groupe Michelin revient sur les récentes acquisitions e-commerce et big data de Bibendum et dévoile sa stratégie dans les services.

JDN. Depuis avril vous avez acquis 40% d'Allopneus et 100% du britannique BlackCircles, deux sites marchands de pneus. Pourquoi faire ?

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Florent Menegaux, directeur général des opérations du groupe Michelin et membre du comité exécutif. © S. de P. Michelin

Florent Ménegaux. 75% des gens qui achètent des pneus se sont renseignés sur Internet au préalable. Or sur ce secteur, ce sont les sites marchands qui offrent le plus d'informations. En outre, de plus en plus de consommateurs achètent leurs pneus en ligne. Ils sont aujourd'hui 8% au Royaume-Uni et 12% à 14% en France.

D'autre part, nous estimons que la marque Michelin, qui détient déjà le réseau de distribution physique Euromaster, doit être représentée sur tous les canaux, tous les points de rencontre avec le consommateur. D'où l'intérêt d'acquérir ou de conclure des partenariats avec des sites qui valorisent les marques et sont performants. C'est le cas aussi bien d'Allopneus, qui détient 50% de part de marché sur le web marchand français, que de BlackCircles, dont la part de marché Internet au Royaume-Uni s'élève entre 35% et 40%. L'an dernier nous étions déjà montés à 100% du capital de Popgom [qui opère une dizaine de sites marchands en Europe, ndlr]. Nous continuons donc à développer notre réseau d'e-retail.

En 2014 vous avez aussi racheté Sascar, une société brésilienne éditant des outils de gestion de flotte de poids lourds, que vous avez intégrée à votre division Michelin Solutions. Dans quelle optique ?

Les flottes ont de plus en plus besoin de données et d'outils de gestion, ainsi que d'un prestataire qui les aide à s'en servir. Qu'il s'agisse de systèmes de tracking électronique des cargaisons ou encore d'outils de gestion des conducteurs, elles n'ont pas intérêt financièrement à les développer pour elles-mêmes.

De notre côté, cette activité s'inscrit parfaitement dans notre stratégie de développement du service. Michelin Solutions développe un panel d'outils répondant aux problématiques des transporteurs. Par exemple, nous sommes maintenant capables de nous engager contractuellement auprès des flottes sur une baisse de leur consommation. Il s'agit de notre contrat Effifuel, qui repose sur une boîte noire recueillant toutes les données de consommation du carburant des poids lourds. Quant à notre offre Effitrailer, elle permet au transporteur de savoir à chaque instant où se trouvent tous ses semi-remorques, s'ils sont à l'arrêt, etc. Nous pouvons aussi former les conducteurs à l'éco-conduite, car Sascar peut savoir comment a conduit le conducteur pendant sa tournée.

"Nous nous engageons contractuellement auprès des flottes sur une baisse de leur consommation"

Ce mouvement vers les services n'est d'ailleurs pas neuf. Au début du XXème siècle, au Royaume-Uni, Michelin proposait déjà de facturer les pneus aux kilomètres parcourus ! Mais aujourd'hui, le numérique et le big data permettent d'aller beaucoup plus loin, d'être très rapide et de gérer les choses en très grand nombre. Et pour acquérir la maîtrise du big data et demeurer en avance de phase par rapport au marché, nous procédons à des rachats.

Comment voyez-vous l'avenir de Sascar et de cette activité ?

Sascar a vocation à s'étendre dans le monde. Par ailleurs, au-delà des poids lourds, il existe aussi des applications pour le génie civil et, demain, la voiture. Prenez Autolib, qui gère une flotte de véhicules avec des problématiques de maintenance. Michelin Solutions peut lui proposer les services de Sascar pour les adresser.

N'est-on pas un peu loin du pneu ?

Non, car cela relève de la même philosophie : aider le client à avoir une meilleure mobilité. Le pneu est une expression de ce savoir-faire, mais il y en a d'autres.

Comment avez-vous structuré votre démarche d'innovation et vos relations avec les start-up ?

Notre PDG Jean-Dominique Senard a décidé il y a trois ans de créer un board spécialement consacré à l'innovation, composé de représentants du groupe et de deux personnalités extérieures : Ramesh Mashelkar, un professeur indien de chimie,  et Barbara Dalibard, la directrice générale voyageurs de la SNCF. Nous y faisons la revue périodique d'innovations, qui concernent le pneu ou non, pour décider si nous les suivons, si nous investissons... Pour compléter ce board innovation, nous avons développé une structure d'incubation, l'Incubator Program Office, qui lui soumet les dossiers à évaluer et gère un portefeuille très important d'initiatives en Asie, en Amérique et en Europe. C'est par exemple via l'IPO que nous avons repéré puis l'été dernier acquis Revisersavoiture.com, une très petite société nantaise spécialisée dans la gestion en ligne de carnets d'entretien automobile.

"ViaMichelin développe une offre ciblant l'écosystème de la mobilité"

Fin 2014, Jean-Dominique Senard a aussi créé une direction digitale, qui va reprendre ces initiatives internes et gérer nos participations, nos acquisitions et l'incubateur. Et pour utiliser le terrain de créativité colossal dont nous disposons dans le groupe – 100 000 personnes et leurs idées – nous avons également décidé de créer un prix de l'innovation.

A quels autres services et diversifications peut-on s'attendre de la part de Michelin ?

Sans livrer d'indications trop précises à la concurrence, je peux simplement vous indiquer que nous nous intéressons à tout ce qui concerne le progrès par la mobilité, dans le BtoB comme le BtoC. Ainsi, ViaMichelin, Michelin Restaurants, Michelin Voyage et l'avertisseur communautaire Michelin Navigation sont autant d'initiatives visant à accompagner le client dans sa mobilité.

Nous voyons le numérique comme une facilité d'accélération de nos contacts avec nos clients. Nous avons des centaines de millions de clients, il était difficile de les adresser sans outils. Maintenant que nous les avons, nous pouvons nous engager dans cette passionnante transformation.

Que devient ViaMichelin ?

ViaMichelin affiche 500 millions de visiteurs uniques et poursuit son développement. Ses revenus sont principalement publicitaires, mais nous avons également une offre ciblant l'écosystème de la mobilité comme les constructeurs, qui peuvent ajouter notre module à leur GPS pour intégrer info trafic, POI...

Florent Ménegaux est directeur général des opérations du groupe Michelin et membre du comité exécutif. Après des études en finance, gestion et sciences économiques, il entre en 1986 chez Price Waterhouse. En 1991, il rejoint Exel Logistics France, entreprise de logistique et de transport, en tant que directeur des services financiers puis, six mois plus tard, directeur général. De 1995 à 1996, il occupe la fonction de directeur général de la branche Produits Conditionnés du groupe Norbert Dentressangle. En 1997, il intègre le groupe Michelin comme directeur commercial Pneus Poids Lourd au Royaume-Uni et en Irlande.