Booking contourne-t-il ses engagements envers les hôteliers ?

Booking contourne-t-il ses engagements envers les hôteliers ? Leurs effets sur le secteur sont en tous cas incertains et les clauses de parité exclues des contrats persistent sous une autre forme, estime la profession.

Dix-huit mois après l'entrée en vigueur des engagements de Booking.com devant les hôteliers, l'Autorité de la concurrence a confronté en décembre dernier les points de vue des deux parties et publié le 9 février un premier bilan d'étape. Neuf pages dans lesquelles elle explique grosso modo que l'effet de ces engagements sur le secteur reste à démontrer.

Rappel des faits : le 21 avril 2015, Booking.com, qui référence trois hôtels français sur quatre, accepte devant l'Autorité de la Concurrence qu'ils puissent pratiquer des tarifs inférieurs et des conditions commerciales meilleures sur des plateformes concurrentes et leur allouer des quotas de nuitées supérieurs. La suppression des clauses de parité vise à dynamiser la concurrence entre Booking et les autres OTA, à faire baisser les commissions appliquées aux hôtels et à accorder un contre-pouvoir aux hôteliers en améliorant leur liberté commerciale et tarifaire. Quelques mois plus tard, la loi Macron supprime aussi la parité restreinte, par laquelle la plateforme empêchait les hôteliers de proposer des tarifs inférieurs sur leur propre site et pouvait exiger une allocation minimale. Booking envoie immédiatement un avenant à ses hôtels partenaires pour s'y conformer.

Laurent Duc, président de l'UMIH Hôtellerie Française © S. de P. UMIH

Toutefois, l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), qui représente 50% des 17 000 hôteliers de France, lui reproche aujourd'hui de contourner ses obligations. "Booking a ressorti son programme 'établissements préférés', dont les participants s'engagent sur une parité restreinte en échange d'une meilleure visibilité dans les classements", affirme Laurent Duc, président de la branche UMIH Hôtellerie Française.

"Il s'agit d'un programme optionnel que les hôteliers éligibles choisissent en opt-in, il existe depuis longtemps, moins de 5% de nos hébergements en France en sont membres et cette proportion est stable depuis deux ou trois ans, rétorque Vanessa Heydorff, directrice France de Booking. Et surtout, il n'est concerné ni par nos engagements d'avril 2015 ni par la loi Macron."

Une commission parfois relevée

En quoi consiste exactement ce programme ? D'après ses conditions d'utilisation, que le JDN s'est procurées, l'hôtelier doit, pour être éligible : afficher des taux de conversion et de disponibilité supérieurs à la moyenne des hébergements de sa destination, un taux d'annulation inférieur, une note moyenne d'au moins 7 sur 10, ne pas payer sa commission en retard et réserver un certain niveau de disponibilité à la plateforme. Par ailleurs, il lui faut respecter une parité restreinte.

De plus, la commission est, selon l'UMIH, relevée de plusieurs points. "De 17% dans les zones touristiques et de 15% ailleurs, elle peut être augmentée par divers mécanismes, dont ce programme, pour atteindre jusqu'à 50% sur des périodes courtes", avance Laurent Duc. Vanessa Heydorff tempère : "Les hôteliers peuvent en effet verser une commission plus élevée pour améliorer leur visibilité quand ils ont une note très faible ou viennent d'ouvrir et remontent mal dans les listings. Mais nous le déconseillons et cela ne concerne que 0,4% des hébergements. Quant au programme 'établissements préférés', la commission reste fixe pour 90% des hébergements qui y entrent. Elle peut s'accroître de deux points dans les petites villes, mais c'est tout."

Qu'il paie une commission supérieure ou se contente d'accepter une parité restreinte, "l'établissement préféré" est, en échange, propulsé au sommet des classements aux côtés des autres membres du programme et affublé d'un pouce tourné vers le haut. Un pictogramme que l'UMIH juge trompeur, en ce qu'il tient lieu de validation qualitative des prestations de l'hôtel mais masque ses concessions commerciales.

L'explication qui s'affiche au survol du pictogramme "pouce" ne mentionne aucune concession commerciale © Booking.com

Faut-il "relativiser" ?

Chez Booking, Vanessa Heydorff y voit un faux procès. "Hors du programme, une grande partie des hôteliers applique la parité restreinte sans y être obligée, par souci de simplicité ou de performance. Nous ne l'indiquons pas pour eux, pourquoi l'indiquerions-nous pour les 'établissements préférés' ? Il faut relativiser." A ceci près que même si une faible proportion des hébergements est concernée, les hisser en haut de la première page de résultats leur apporte une visibilité très supérieure. L'Autorité de la concurrence confirme d'ailleurs que malgré leur faible nombre, "ils contribuent à une part significative des réservations effectuées sur Booking.com et donc de son activité".

Dans son jugement rendu le 29 novembre 2016, le Tribunal de Commerce de Paris identifie en outre deux conséquences néfastes : d'une part la tromperie du consommateur qui a "l'impression erronée que ce classement des hôtels est assis sur des critères qualitatifs", d'autre part la surenchère de commissions que le système entraîne entre les hôteliers. Le tribunal enjoint donc à la plateforme de supprimer ses clauses contractuelles de classement. Booking n'y lit toutefois aucune demande de modifier ses pratiques et remarque simplement que les décrets d'application de la loi Macron demanderont bientôt aux OTA de préciser si un lien financier influe sur le classement des hébergements.

Opacité du programme

Un dernier aspect du programme peut laisser perplexe. Bon nombre des critères d'éligibilité ne sont connus que de Booking. "Il lui est par exemple facile de 'nettoyer' une mauvaise note moyenne en raccourcissant la période considérée pour exclure un passage difficile et pouvoir labelliser un établissement", souligne Laurent Duc. En dehors du mélange des genres entre dispositif commercial et gage de qualité, l'UMIH reproche donc aussi à la plateforme l'opacité de son algorithme, dont on ne connaît ni la recette exacte, ni l'éventuelle dose d'arbitraire.

Ce serait cependant un jeu dangereux pour Booking, dont la directrice France assure : "Il est très important pour nous de ne pas perdre la confiance de nos partenaires et des consommateurs, dont notre croissance dépend. La note des clients n'est vraiment pas arbitraire. Au contraire, nos équipes travaillent au quotidien avec les hôteliers pour les aider à être plus performants."

Des engagements respectés mais…

Stricto sensu, Booking a respecté ses engagements d'avril 2015 : les clauses de parité ont disparu de son contrat standard et son programme "établissement préféré" n'est concerné ni pas ces engagements ni par la loi Macron, même s'il pose d'autres questions. L'Autorité de la concurrence s'en lave donc les mains. "Nous sommes au contraire les bons élèves, souligne Vanessa Heydorff : Booking est la seule plateforme à avoir pris des engagements et à s'y tenir." Effectivement, Expedia passe pour l'instant entre les gouttes.

Vanessa Heydorff, directrice France de Booking.com © S. de P. Booking.com

Les objectifs visés ont-ils pour autant été atteints ? Pour ce qui est de rendre du pouvoir aux hôteliers, la directrice de la plateforme est formelle : "Beaucoup ont repris la pleine maîtrise de leurs tarifs et disponibilités, ce qui est très bien, et les modulent effectivement selon les sites. Et d'autres ne le font pas." D'après l'UMIH, cependant, le taux de différenciation tarifaire est demeuré relativement stable : il n'augmente que chez les chaînes intégrées où il demeure à un niveau relativement réduit. Quant au développement des canaux de réservation directs des établissements, on l'attend toujours. Demeure enfin l'éventuelle pression de la promesse "visibilité contre parité" du programme "établissement préféré", qu'il serait malaisé de décorréler de la problématique.

Qu'en est-il des commissions ? "Selon l'ensemble des parties, les taux effectifs de commissions de Booking.com […] n'auraient pas baissé depuis l'entrée en vigueur des engagements et de la loi Macron", indique l'Autorité de la concurrence. D'après une enquête menée par l'UMIH auprès de ses adhérents, la commission pratiquée en moyenne se serait même accrue, du fait d'un recours plus fréquent aux mécanismes permettant de rajouter des points au taux standard.

Quid de la concurrence ? L'Autorité conclut à l'absence aussi bien de "signe visible d'un développement de la concurrence entre OTA" que de "pression concurrentielle accrue sur Booking". Au contraire, les représentants des hôteliers évaluent que la part de marché de Booking a augmenté pour atteindre 60 à 70% des réservations de nuitées seules d'hôtels français sur des OTA, ce qu'une enquête Phocuswright sur un marché plus large semble corroborer. "Et parmi les opérateurs qui ont émergé, seul AccorHotels est sorti du lot mais sans arriver au niveau de Booking", remarque Laurent Duc. "Nous pensons qu'il y a eu des effets en matière de concurrence, mais qu'ils se mesurent, hélas, dans un contexte d'attentats", répond, à raison, Vanessa Heydorff. Attentats qui, en vidant les hôtels, les ont poussés à accorder plus de disponibilités aux OTA autant qu'à y rechercher une meilleure visibilité.

L'étape suivante est encore incertaine

L'UMIH demande aujourd'hui à l'Autorité de la Concurrence de baisser ou plafonner les commissions, de bannir les clauses de parité restreinte y compris du programme "établissements préférés" et de clarifier le fonctionnement de l'algorithme de classement. Ce dernier point devrait être couvert par les décrets à venir. Pour les autres, l'Autorité laisse la question en suspens. Elle rappelle en particulier qu'un groupe de travail européen rendra ses conclusions très prochainement. Attendra-t-elle ensuite que la DG Concurrence de la Commission européenne accouche d'un règlement, même si cela signifie attendre cinq ans ? "Nous préférerions que la France décide de conserver le leadership sur la question que lui a apporté la loi Macron et donne le ton pour toute l'Union", conclut le président de l'UMIH Hôtellerie Française.