Aliments : avec la blockchain, tout se transforme mais rien ne se perd

Aliments : avec la blockchain, tout se transforme mais rien ne se perd Casino, Carrefour, Walmart… La grande distribution adopte la blockchain pour la traçabilité des produits. Une avancée qui améliorera à terme la gestion des scandales alimentaires.

La blockchain ne concerne pas que le bitcoin et la finance. La grande distribution travaille aussi sur cette technologie, qui permet de stocker des données de manière transparente et sécurisée. "Nous avons toujours eu des cahiers des charges stricts sur la traçabilité et l'origine des produits de nos fournisseurs. En cas de crise alimentaire, la blockchain apportera une garantie supplémentaire grâce aux informations rentrées en temps réel et infalsifiables par tous les acteurs de la chaîne de distribution", résume Virginie Robert, directrice de l'innovation du groupe Casino qui a organisé un hackathon à l'Ecole 42 sur ce sujet en février dernier et a lancé différents tests en partenariat avec des jeunes pousses en 2017.

D'autres grands retailers phosphorent aussi sur la blockchain. Aux Etats-Unis, Walmart a annoncé s'associer avec IBM en décembre 2017 pour la traçabilité alimentaire. En France, Carrefour a lancé le 6 mars 2018 sa première blockchain sur une filière de poulets fermiers d'Auvergne vendus à un million d'unités par an, selon Les Echos. L'objectif : fournir aux clients le maximum d'informations sur les produits de ses "filières qualité" via des QR code contenant toutes les informations de la blockchain. Le distributeur souhaite étendre ce mécanisme à 8 autres filières de ce type dès 2018. En Chine, le mastodonte du e-commerce JD.com a lancé fin février un accélérateur à start-up dédié. Et Alibaba a signé début mars un partenariat avec Cainiao pour adopter la blockchain dans sa logistique transfrontalière.

Carrefour a lancé sa blockchain sur une filière de poulets fermiers 

Ce ne sont que des prémices mais certains retailers voient un réel potentiel. La blockchain pourrait notamment faciliter la gestion des scandales alimentaires. Lait infantile contaminé à la salmonelle cet hiver, œufs contenants du fipronil l'été dernier, poulets à la dioxine en 1999… A chaque fois, les produits contaminés demeurent difficiles à rappeler pour toute la chaîne de distribution : où sont les lots concernés ? Qui est responsable ? "Des délais durant lesquels les consommateurs continuent parfois d'acheter des produits dangereux pour leur santé", regrette Gregory Nain, cofondateur de Tagsparency, une start-up luxembourgeoise du secteur. Ces rappels ont aussi un coût économique et parfois des conséquences judiciaires. Ils détruisent aussi la confiance des consommateurs.

Arc-net enregistre de l'ADN dans la blockchain pour améliorer la traçabilité. © Arc-net.io

"La blockchain ne pourra pas empêcher ces scandales, mais elle permettra aux acteurs de démontrer qu'ils ont eu la bonne attitude sur la traçabilité", promet Brendan Smyth, directeur du développement d'Arc-net, une start-up britannique qui compte parmi ses clients un grand retailer au Royaume-Uni, qui ne souhaite pas encore communiquer. Comment ? Tout simplement car la blockchain réunira des data. Celles fournies par les producteurs (origines du produit, numéros de lots, compositions, labels, dates de péremption, teneurs en pesticides ou en OGM, nom et localisation du producteur) et celles fournies par les transporteurs et les retailers (température, humidité ou encore géolocalisation). "Notre blockchain enregistre tous les paramètres qui peuvent influencer l'intégrité du produit. Cette technologie a véritablement émergé grâce au cloud et aux plateformes IoT qui permettent d'ingérer une quantité de données phénoménale en temps réel", met en perspective Sébastien Lemoine, fondateur et président exécutif de Visible.digital, une start-up française partenaire de Carrefour.

Connecting-Food mise sur le respect en temps réel du cahier des charges. © Connecting-food

La blockchain permettra aussi d'agir en amont des catastrophes. "La plupart des solutions s'orientent vers la simple traçabilité alimentaire, c'est-à-dire suivre le produit pour remonter à l'origine en cas de problème. Nous considérons plutôt qu'il faut agir avant et comparer en temps réel les données au cahier des charges grâce à l'intelligence artificielle", nuance Stefano Volpi, cofondateur de Connecting-food, une jeune pousse partenaire de deux distributeurs français majeurs qui souhaitent aussi rester discrets.

"Les retailers analysent aujourd'hui ces nouvelles opportunités. Cependant, je ne vois pas encore la blockchain se généraliser rapidement", prédit en revanche Sébastien Lemoine. Les freins sont en effet multiples. Tout d'abord, le format papier, peu transparent, reste encore très utilisé tout au long de la chaîne de distribution. Ensuite, il est délicat de publier toutes ces informations sensibles dans une blockchain publique, c'est-à-dire accessible à tous. Ce qui explique pourquoi les distributeurs s'orientent plutôt vers une blockchain privée, entre acteurs concernés.

Mais les start-up voient cela d'un autre oeil. "Nous espérons devenir un label. Notre intégrité en tant qu'entreprise technologique permettra de devenir un référent dans la traçabilité", estime Sébastien Lemoine. Voilà pourquoi Visible.digital proposera, avec l'accord des retailers, d'ouvrir sa plateforme aux consommateurs finaux courant 2018. Il s'agit d'accompagner les retailers qui souhaitent communiquer sur la traçabilité de leurs produits. Cela passera notamment par des QR codes imprimables par les producteurs et les distributeurs, à la manière de ce que propose Carrefour désormais. Aujourd'hui, ces QR Codes sont très peu exploités, statiques, pauvres en contenus et peu scannés en magasin. Demain, les clients pourront les scanner avec un smartphone pour obtenir une fiche d'identité individualisée du produit.

Certaines solutions envisagent que le consommateur participe à la blockchain

Certaines solutions envisagent même que le consommateur participe à la blockchain. En cas de problème (vomissements…), il peut signaler s'il estime avoir été intoxiqué. "Nous attendrons d'avoir un groupe de plusieurs signalements pour un même produit, sur une zone géographique déterminée, pour déclencher une alerte", termine Gregory Nain, cofondateur de Tagsparency. Après vérifications, le distributeur saura quels lots retirer avec précision. A l'inverse, si un retailer ou un producteur déclenche un plan de confinement, les acheteurs de produits contaminés pourront scanner avec leur smartphone le QR code du produit avant de le manger. Ce dernier indiquera un message pour ramener le produit au plus vite. Et garantir la santé des clients.