E-commerce : concilier innovation et respect de l'environnement

D'après une étude réalisée par la Fevad en février 2021, 89 % des e-commerçants considèrent l'éco responsabilité comme une priorité. Ils souhaitent donc répondre aux attentes des consommateurs de plus en plus attentifs à ce type de démarches. En effet, 70 % des e-acheteurs déclarent privilégier les sites marchands qui mettent en place des initiatives favorables à l'environnement (Source : Baromètre Fevad/LSA réalisé sur sites leaders, février 2021.).

Tout le monde s’accorde sur le principe, mais concrètement, est-il possible de concilier la réduction de l’impact carbone du e-commerce, et son développement économique via de nouvelles technologies réputées énergivores, comme l’intelligence artificielle ? 

Le bilan carbone du e-commerce est un sujet plus clivant qu’il n’y paraît. D’un côté les grands défenseurs de la vente en ligne prétendent que le e-commerce est une manière de consommer plus écologique que le commerce physique, puisqu’il évite notamment des déplacements individuels en voiture pour se rendre en boutique. De l’autre, des études montrent qu’au contraire le e-commerce est source de multiples pollutions et que son expansion devient problématique pour la planète. 

70 % des e-acheteurs déclarent privilégier les sites marchands qui mettent en place des initiatives favorables à l'environnement (Source : Baromètre Fevad/LSA réalisé sur sites leaders, février 2021.).

Les problématiques environnementales du e-commerce

En regardant la réalité en face, il est vrai que le e-commerce appartient à un secteur plus large, le numérique, dont l’impact environnemental est aujourd’hui une évidence. En effet, le numérique génère 3,8% des émissions des GES mondiales (l’équivalent de l’empreinte de 3 pays comme le France), 10% de l’électricité produite est consommée par ce secteur et on dénombrait 53 Millions de Tonnes de déchets électriques en 2019. Pour le magazine Capital, Frédéric Bordage, pionnier du “numérique responsable”, a calculé le bilan carbone des 1,5 milliard de transactions réalisées sur Internet en 2019, par les Français, ce qui représentent 1,347 tours du monde en voiture ! Dans ce calcul Frédéric Bordage n’a pas pris en compte les transports, il a seulement évalué l’énergie consommée par les réseaux et les data centers : «Selon nos estimations, à chaque transaction, on consulte en moyenne une quinzaine de pages Web pour chercher les informations produits, s’identifier et payer. Au total, cela représente 9.900 tonnes de gaz à effet de serre en un an.», précise le co-fondateur de greenIT. 

En dehors de la consommation énergétique provoquée par l’usage même d’un site e-commerce, il y a la construction d’énormes entrepôts qui artificialisent les sols et nous privent de puits de carbone naturels. Évidemment, il y a toute la logistique derrière le site : l’augmentation des livraisons, et des transports de marchandises à l’international (avec le e-commerce tout le monde peut faire venir un produit depuis l’autre bout du monde),  ou encore la multiplication des emballages polluants (papier bulles en plastique, polystyrène…) et l’envoi de vide dans les colis avec des cartons surdimensionnés provoquant des livraisons plus fréquentes. 

Les e-commerçants ont donc de nombreux défis à relever pour se diriger vers la neutralité carbone. Il va leur falloir mener en parallèle, trois chantiers : l'éco responsabilité, l’innovation et la rentabilité, trois paramètres qui ne doivent plus se confronter mais au contraire se mettre en synergie. 

L’innovation pour perdurer et se démarquer

Les années 2020 et 2021, marquées par une succession de confinements et de restrictions provoqués par la crise sanitaire,  ont littéralement fait exploser les ventes en ligne. La fermeture des boutiques physiques a provoqué le déclic chez de nombreux commerçants, les décidant à miser sur l’omnicanalité et à lancer leur site marchand. Tous ces nouveaux outsiders sont arrivés sur un marché déjà très concurrentiel, avec de grandes enseignes comme Amazon ou C-discount qui ne laissent que peu d’espace à de petits e-commerçants aux moyens financiers plus modestes. Pour survivre dans cette jungle de la vente en ligne, innover pour se démarquer est tout simplement indispensable. Par définition, un e-commerçant doit tout mettre en œuvre pour vendre : il faut d’abord que son site soit bien référencé sur les moteurs de recherches, puis lorsque l’internaute arrive dessus, le but est évidemment de favoriser l’acte d’achat. Les méthodes d’intelligence artificielle s’imposent peu à peu comme des solutions indispensables pour résoudre les nouvelles problématiques des e-commerces. L’intelligence artificielle est aujourd’hui assez puissante pour traiter le volume de données récoltées par les e-commerçants, sur les clients, les produits, les stocks, les commandes... Elle saura interpréter des comportements complexes, sur lesquels les méthodes traditionnelles de programmation sont dépassées. Les géants du e-commerce utilisent déjà l’intelligence artificielle pratiquement à tous les niveaux de leur chaîne de valeur. Petites ou grandes structures, toutes vont devoir s’engouffrer dans la brèche, si elles ne veulent pas se faire engloutir par les leaders. Les applications de l’intelligence artificielle se démocratisent peu à peu, elles ne sont plus réservées à une élite restreinte de e-commerçants, néanmoins, l’IA reste encore un moyen de se différencier par rapport à la concurrence. L’heure n’est plus à l’étude de cette possibilité, il faut se préparer dès maintenant pour ne pas louper son départ et prendre un retard irrattrapable. 

Toutefois la question d’investir dans des technologies réputées énergivores comme l’IA (stockage de données plus importantes dans les data center, entraînement des modèles d’IA avec une grosse puissance de calcul…) peut se poser, lorsque les e-commerçants ambitionnent aussi de décarboner leur activité. Si à première vue, innovation technologique et protection de l’environnement semblent être paradoxales, il est pourtant possible d’allier ces deux dimensions. 

Innover en responsabilité

En Janvier 2021, l’Institut du Numérique Responsable a créé un groupe de travail sur l’IA responsable, mobilisant des contributeurs experts qui planchent sur deux axes : IA et environnement et IA et éthique. Les résultats de ces recherches pour une IA plus verte vont bientôt être livrés et devraient permettre de trouver des solutions pour une utilisation de l’intelligence artificielle plus respectueuse de l’environnement.

Du point de vue du développement d’applications intégrant des briques d’IA, de bonnes pratiques d’éco-conception peuvent déjà s’appliquer. A titre d’exemple, favoriser des technologies existantes, des modèles d’IA open source, permet de ne pas dépenser de l’énergie à entraîner un algorithme pour refaire ce qui a déjà été fait auparavant. Pour élaborer ces technologies existantes, les phases de R&T demanderont toujours de l’énergie. Cependant, la recherche scientifique est indispensable pour innover et trouver de nouvelles solutions favorables à l’environnement (en prenant garde à éviter les effets rebond). La prise de conscience environnementale des acteurs du numérique est encore très récente, mais les nouvelles générations de la tech, sensibles aux questions écologiques, auront leur carte à jouer pour initier la transformation écologique du secteur du numérique. Déjà de grands noms du numérique commencent à se remettre en question, Facebook, par exemple, utilise désormais de l’énergie verte pour ses travaux de recherche. Dans tous les cas, si ces géants du numérique veulent continuer à créer du business, ils vont devoir innover dans le sens du respect de notre environnement. Au vu de la pénurie des matériaux (terres rares, métaux précieux…) indispensables à la production d’objets numériques, qui s’annonce imminente, il est plus que temps de trouver de nouvelles solutions pour continuer à bénéficier des services du numérique, comme l’achat en ligne ! 

Une vision à 360 ° de la réduction de son empreinte carbone 

Pour les e-commerçants qui souhaitent à la fois conduire leur transition énergétique et se diriger vers des technologies innovantes comme l’IA, une réflexion globale sur l’empreinte carbone de toute leur entreprise doit être menée. Ils pourront notamment commencer par l’application des principes du « numérique responsable  », comme l’hébergement du site dans un green center, ou encore le stockage des données internes dans des éco datacenters, l’éco-conception du site, etc…En utilisant les préceptes de l'éco-conception dans le cadre d'une refonte ou d'une amélioration de leur site, les e-commerçants pourront réduire très significativement le poids de leur page, le nombre de requêtes qu'elles génèrent, et donc réduire l'empreinte carbone de leur boutique en ligne.

En dehors de l’aspect purement lié au numérique, comme toute entreprise, un e-commerce doit faire un bilan carbone complet pour détecter et mesurer les sources de ses émissions. L’objectif sera ensuite de trouver des solutions pour les réduire au maximum, et enfin prendre en compte les émissions non réductibles en entamant une démarche de compensation carbone volontaire (acquisition de crédits carbones afin de contrebalancer ses émissions difficiles à réduire). 

Les e-commerçants peuvent également faire des choix stratégiques pour utiliser l’IA avec parcimonie, en s’attachant à inclure des technologies apportant une valeur ajoutée réellement utile pour leurs clients ou pour la gestion de leur entreprise. Cette notion d’utilité est fondamentale pour cibler les besoins et ne pas dépenser de l’énergie avec des modules d’IA gadgets ou peu adaptés à sa structure. 

Quand l’IA n’est plus le problème, mais la solution ! 

Il ne faut pas non plus oublier que si l’IA cause des problématiques écologiques, elle en solutionne également de nombreuses. Dans le cas du e-commerce, l’IA peut tout à fait devenir une aide pour décarboner sa chaîne de valeur. Au niveau de la logistique, des applications d’IA sont capables de calculer les trajets de livraison les plus courts, d’optimiser les tailles des colis pour éviter d’envoyer du vide, etc. On pourrait aussi imaginer d’autres outils d’aide à la décision comme un moteur de recherche localisant les fournisseurs et autres partenaires commerciaux les plus respectueux de l’environnement, un algorithme capable d’auditer le e-commerce pour indiquer les actions de réduction carbone à mener...Un e-commerçant a aussi la possibilité d’intégrer de l’IA pour analyser les causes de ses retours colis, et déterminer les solutions pour les éviter. En réduisant le nombre de retours, les trajets de livraison vont également diminuer. Avec des outils d’IA, un e-commerce va également pouvoir prédire ses ventes plus précisément et donc gérer son stock en flux tendu, ce qui permettrait de rationaliser ses commandes fournisseurs (réduction du nombre de trajets là aussi) ainsi que la fabrication des produits, source d’émission de carbone et de dépenses d’énergie. 

Au niveau de la logistique, des applications d’IA sont capables de calculer les trajets de livraison les plus courts, d’optimiser les tailles des colis pour éviter d’envoyer du vide, etc.

Le potentiel de l’IA est donc une chance pour développer son business mais aussi trouver des solutions pour réduire son empreinte carbone, et par effet ricochet de réaliser des gains de productivité. 

L’action des pouvoirs publics pour un e-commerce durable

En Février 2021, un rapport gouvernemental “Pour un Développement durable de la vente en ligne” a révélé  un certain nombre de mesures envisagées pour atténuer l’impact environnemental du e-commerce. Parmi ce catalogue de pistes à suivre, on trouve notamment l’idée d’un label “commerce en ligne durable”, qui permettrait aux clients d’identifier clairement les “acteurs du marché les plus responsables”. Ce label irait plus loin que la réglementation actuelle et engloberait des critères environnementaux, sociaux et économiques, typiques de la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises).  

Dans ce rapport, il est aussi question de favoriser l’omnicanalité des entreprises françaises type TPE/PME, avec pour objectif de redynamiser le commerce local et donc le circuit-court. Donner les moyens à de petites structures de se développer et s’ouvrir à la vente en ligne serait aussi une bonne manière de concurrencer les géants mondiaux du web. 

Les poids lourds du e-commerce français ont aussi initié des actions pour tendre vers un plus grand respect de l’environnement. Une quinzaine d’enseignes (Cdiscount, La Redoute, Veepee, Fnac-Darty, etc…) ont signé une charte en juillet 2021 devant le gouvernement représenté par la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, et du secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O. Cette charte engage ses signataires à réduire leur empreinte carbone en faisant des efforts concrets sur trois facteurs : la réduction du volume des emballages, la transition vers des véhicules de livraison à faible émission et enfin une communication plus visible avec des solutions proposées à leurs clients pour qu’ils puissent faire leurs achats de manière plus responsable. 

Il est indéniable que le e-commerce, et plus largement le secteur du numérique, doivent subir des réformes pour continuer à se développer sans conséquences désastreuses pour la planète. Du plus petit e-commerçant jusqu’aux géants du web, en passant par les entreprises de services numériques et les pouvoirs publics, chaque acteur à son échelle peut contribuer à ce renouveau. Cette recherche de solutions plus green est un formidable moteur pour s’engager sur des innovations à la fois utiles à l’entreprise et à la société de demain.