Xavier Cardon et Olivier Mazeron (Sutter Mills) "Les groupes de communication ne peuvent pas financer de grands développements technologiques"

RGPD, Cambridge Analytica ou émergence des chatbots... Les deux fondateurs du spécialiste de la data consulting reviennent sur les récentes actualités de leur marché.

JDN. Sutter Mills est une plateforme indépendante de data consulting. C'est aussi le nom de l'endroit où a commencé la ruée vers l'or au XIXe siècle aux États-Unis. La data, c'est l'or du XXIe siècle ? 

Xavier Cardon, cofondateur de Sutter Mills. © S. de P. Sutter Mills

Xavier Cardon. Sutter Mills, c'est au départ Olivier Mazeron et moi-même, c'est-à-dire l'alliance d'un président d'agence média, GroupM et d'une personne qui travaille dans l'adtech chez un Gafa, Google. À l'origine, c'est la conviction que ces deux univers sont étroitement liés et qu'il y a entre deux une zone d'inconfort et d'incompréhension qu'il va falloir traiter. D'inconfort parce qu'en 2016, quand nous créons l'entreprise, ce n'est pas vraiment le rôle des agences médias de monter au créneau sur les technologies, et d'incompréhension, celle des clients finaux qui ne croient pas encore l'importance des données consommateurs. Aujourd'hui, c'est devenu une évidence. À partir de là, notre envie à Olivier et moi était de créer une entreprise stable et robuste dans le temps, capable de se développer à l'international. Et c'est là où intervient le troisième larron, Guillaume Cardon, qui a un passé d'ingénieur et de banquier.

Olivier Mazeron. Pour répondre à la question sur la ruée vers l'or du XIXe siècle, la data est en effet comme l'or. Une pépite toute seule ne vaut pas grand-chose. Il faut la fondre, la raffiner, la faire briller. Notre travail en ce qui concerne la data, c'est de partir d'une matière brute pour lui faire produire de la valeur sur la connaissance des consommateurs et concevoir des produits qui répondent aux attentes de ces derniers. Tout en permettant aux entreprises d'améliorer leur business.  

Entre les récents scandales comme Cambridge Analytica et les fuites de données régulières chez les grands opérateurs, la data est aussi source d'inquiétude, voire de défiance pour le public. Comment y répondre ?

Xavier Cardon. On est dans une phase de rationalisation. Comme dans la ruée vers l'or, il y a eu un mouvement désordonné pour aller chercher cette nouvelle richesse. Aujourd'hui, on est rattrapé par la réglementation qui a mis quelques années à réagir et c'est normal. On a donc des entreprises qui sont en train de post-rationaliser en termes de technologie, de recrutement, d'organisation et de structures. Parallèlement, il y a une prise de conscience de la population quant à l'utilisation des données.

On entrer donc dans une deuxième phase de maturité de la data et plus généralement du digital. Nos clients ont besoin de réorganiser leurs équipes, de faire des bilans de compétences, de se former et de structurer. Après la défiance, on va entrer dans une reprise de confiance. Le RGPD et des affaires comme Cambrige Analytica poussent en effet à une remise en question. Pour une raison simple : ces affaires ont des conséquences très sensibles sur la valeur des entreprises concernées. Ce qui veut dire que la data est, pour elles, un actif très important qu'il convient de protéger.

Le RGPD qui vient d'entrer en vigueur va-t-il véritablement changer quelque chose à la relation entre les marques et les consommateurs ?

Olivier Mazeron, co-fondateur de Sutter Mills. © S. de P. Sutter Mills

Olivier Mazeron. Le RGPD  a au moins un mérite, celui de faire prendre conscience de l'importance du problème. À partir du moment où l'on se fixe une échéance, on n'a pas d'autre choix que de prendre la question en main. Et qu'elles soient avancées ou non sur la question, le RGPD modifie en profondeur le rapport des entreprises avec leurs consommateurs et avec leurs partenaires, agences et conseils. C'est forcément un bénéfice. On a vu des marques envoyer à tours de bras des mails de demande de consentement à leurs clients, ce qui veut dire que la prise de conscience est là. Maintenant, il faut réfléchir à la manière de répondre aux attentes des consommateurs en rémunérant la donnée, à travers de nouveaux services.

Les chatbots et l'IA sont en pleine expansion, peuvent-ils eux aussi modifier profondément la relation entre la marque et les consommateurs ? Quelle place restera-t-il à l'humain ? 

Xavier Cardon. Chaque nouvelle technologie recrée une ruée vers l'or. Chaque nouvelle technologie va provoquer de nouvelles désorganisations. Et c'est exactement ce que l'on voit avec les chatbots. Aujourd'hui nous accompagnons un grand groupe français implanté à l'international dont chacune des filiales développe sa propre solution de chatbot. Est-ce que ça marchera ? Sans doute pas.

Olivier Mazeron. On est juste en train de parler d'un canal de communication supplémentaire qui est un peu plus sophistiqué que les autres. Il y a 100 ans quand on a inventé la VPC dans le Nord et qu'on a commencé à envoyer les catalogues par courrier, c'était aussi révolutionnaire que les chatbots aujourd'hui. Le sujet ce n'est pas de savoir si l'IA va tout changer. Ça va rentrer dans le flot de l'innovation et, si ce nouveau canal de communication est pertinent, les consommateurs le choisiront. Il y aura toujours un humain d'un côté de la ligne, c'est le client. 

La blockchain, nouveau mirage ou futur prometteur ?  

"La blockchain permettrait de nettoyer et simplifier le marché programmatique"

Olivier Mazeron. Ce n'est pas tout à fait la même question. Dans le cas de l'IA, on est dans un cycle de relation avec le consommateur. Dans la blockchain, on est dans un système de réécriture complète de l'échange avec un système inaltérable et ultra-sécurisé. Même si nous ne sommes pas des spécialistes, ce ne serait pas du tout étonnant que dans l'achat d'espace, on utilise cette technologie. Ce qui au passage permettrait certainement de nettoyer et de simplifier le système. 

Xavier Cardon. Dans ce marché complexe de la donnée, il est très possible que le principe de la blockchain qui permet de créer des contrats, de sécuriser des échanges et de conserver une traçabilité, prenne de l'importance.

La défiance des grands groupes mondiaux à l'égard de leurs conseils, notamment média, tient-il au fait qu'ils ne comprennent pas toujours les chaînes de décisions, en particulier dans le programmatique ? Quelle réplique ?  

Olivier Mazeron. La question est de savoir si le modèle économique des groupes de communication leur permet de financer les développements technologiques dont nous parlons. Clairement, la réponse est non. Du coup, cela a créé des distorsions de marché et cela a rendu les annonceurs méfiants. Parallèlement à cela, l'achat média proprement dit est et sera de plus en plus effectué par des machines. Ce qui pousse les groupes de communication à proposer des services corollaires à l'achat. Le problème, c'est la vitesse. Les annonceurs ne peuvent pas attendre des années que leurs agences fassent leur mue. C'est aussi pour cela que des sociétés comme Sutter Mills ont pu exploser en 24 mois.

Tout est-il data ? Et sinon, qu'est-ce qui peut ne pas l'être ? 

Xavier Cardon. On a une conviction depuis la création de Sutter Mills, c'est que ce qui n'est pas data, c'est l'être humain, c'est l'émotion, l'irrationnel. La réponse aux questions sur le comportement du consommateur ne se résume pas à des chiffres comme le nombre de fois qu'il a déjà fréquenté l'enseigne ou qu'il a déjà acheté… Il est tout aussi important de savoir pourquoi il est passé à l'acte.

Olivier Mazeron. Dans la majorité des cas, les entreprises sont capables de créer des segments de consommateurs. Le problème c'est que cela ne marche pas. Parce que la data ne peut pas mesurer le dernier ressort du consommateur. Cette prise de conscience, on en a fait le mantra de l'entreprise : "Make data meaningful for people and business". C'est facile d'accumuler des données, c'est plus compliqué de leur donner du sens pour l'organisation et pour les consommateurs.

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Cet article est issu du dernier numéro d'Adtech News, le supplément trimestriel papier dédié aux dernières tendances pub du JDN et de CB News. Au programme également : une enquête sur le futur du CRM et de l'IA, un comparatif des solutions de header bidding, un aperçu de la blockchain en programmatique., le chantier data de L'Oréal, la réalité augmentée au service de la pub..