Sébastien Missoffe (Google France) "Pour préparer l'après, Google nourrit chaque semaine ses partenaires en insights de recherche"

Le JDN poursuit sa série d'interviews de dirigeants face au coronavirus. Le patron de Google France évoque la marche forcée des entreprises françaises vers le numérique.

JDN. On a beaucoup parlé de l'impact du coronavirus sur le marché publicitaire. Le chiffre d'affaires d'Alphabet, la maison mère de Google, a pourtant progressé de 13% sur un an au premier trimestre 2020. Vous estimez-vous épargnés ?

Sébastien Missoffe est le patron de Google France. © S. de P. Google

Sébastien Missoffe. Comme l'a dit notre PDG Sundar Pichai à l'occasion de l'annonce des résultats que vous mentionnez, cette croissance masque différentes réalités. La première, c'est que l'activité de Google s'est beaucoup diversifiée par rapport à il y a dix ans et que les investissements dans le cloud et Youtube, deux structures en forte croissance, nous ont fortement protégé. La seconde, c'est que l'activité publicitaire de Google a certes connu une début d'année solide, en ligne avec nos attentes, mais que la deuxième partie du premier trimestre a été très difficile, comme pour tout le monde.

Quelle analyse faites-vous des deux derniers mois de confinement ?

Cette crise a eu le mérite de redonner du sens au sujet de la transformation numérique, un concept dont on parle depuis tellement longtemps qu'on en a un peu oublié pourquoi il était important. La transformation numérique d'une entreprise, ce n'est pas qu'un gadget et certains ont sans doute enfin compris pourquoi il est important qu'un site mette moins de 10 secondes à charger, au risque de perdre des utilisateurs, ou qu'il est essentiel qu'une infrastructure Web puisse encaisser la venue de plusieurs millions de visiteurs. Je pense, par exemple, qu'un monument comme le château de Versailles s'est félicité de s'être ouvert à tous dès septembre 2019 au travers d'une plateforme Web qui, a l'occasion du confinement, a permis aux internaute de continuer à en découvrir les secrets.

Quels usages les Français ont-ils fait des outils de Google durant cette période ?

 

"L'utilisation de Google Meet a été multipliée par 30 pendant le confinement"

La plupart des Français se sont retrouvés isolés et ont dû réapprendre à communiquer. Du côté des particuliers, cela s'est traduit par un recours accru à un outil de communication gratuit comme Google Meet, dont l'utilisation a été multipliée par 30 pendant le confinement, attirant près de 100 millions d'utilisateurs dans le monde. Les professionnels ont pu eux recourir à Google My Business pour tenir aux courant leurs clients de l'évolution de leur offre et notamment la possibilité de faire du click and collect ou de la livraison à domicile. Le dernier sujet, c'est celui de l'accès à des informations fiables concernant le coronavirus, avec des mises à jour fréquentes sur la homepage de Google pour près de 55 millions de Français au cours du mois de mars.

L'omniprésence des plateformes Web dans nos vies quotidiennes perdurera-t-elle avec le déconfinement ?

Ces quelques semaines ont rappelé l'importance du lien social et du rôle que les outils numériques peuvent jouer dans cette perspective. Mais au-delà de la question de l'équipement, je pense que le vrai sujet, dans les semaines qui viennent, c'est celui de la formation de tout un chacun aux compétences Web. Pour un dirigeant de PME, c'est profiter du Web pour mieux comprendre ses audiences, à l'instar d'un patron de restaurant qui peut voir d'où viennent ses commandes et organiser son offre de livraison en conséquence. Pour les grandes entreprises, c'est en profiter pour former leurs collaborateurs à des outils comme Google Ads ou Analytics. Pour les jeunes et les demandeurs d'emplois, c'est obtenir les clés du futur digital. 

"C'est peut-être enfin la fin du french paradox, qui voit les Français être à la pointe en matière d'usages numériques mais les entreprises loin derrière"

Nous sentons, au sein du monde du travail, une véritable volonté de mieux maîtriser ces outils. On a vu, par exemple, des libraires s'organiser pour faire du click and collect pendant la fermeture de leurs boutiques. C'est peut-être enfin la fin du french paradox, qui voit les Français être à la pointe en matière d'usages numériques mais les entreprises loin derrière. Google essaie de combler ce fossé en organisant régulièrement des ateliers de formation au numérique aux quatre coins de l'Hexagone. Lors du confinement, nous avons mis ces ateliers en ligne et permis à près de 20 000 personnes de prendre rendez-vous avec des coaches de Google pour comprendre comment ces outils peuvent leur faciliter la vie. Google veut être une porte d'entrée au numérique, un facilitateur de la vie quotidienne de chacun.

Google sera sans doute aussi une porte d'entrée pour l'après-coronavirus. Avez-vous déjà réfléchi à des services particuliers ou identifié des besoins ?

Il est évident que l'ensemble du tissu économique va vouloir accélérer sur le numérique, pour être mieux préparé et plus agile si jamais une tel crise se profile à nouveau. Nous travaillons depuis plusieurs semaines avec l'ensemble de nos partenaires pour les aider à renouer avec la croissance. Les besoins étant très différents selon les secteurs (automobile, luxe, commerce et autres), l'écoute reste clé. Notre moteur de recherche nous permet d'identifier des signaux plus ou moins faibles qui sont précieux pour ces partenaires en de tels temps d'incertitude. Tout simplement parce que l'on ne peut plus s'appuyer sur l'historique des six derniers mois pour prévoir l'avenir. Les cartes sont rebattues dans des secteurs comme l'e-commerce ou le voyage. A nous d'utiliser ces requêtes pour préparer l'après et comprendre les habitudes de consommation qui perdureront après le confinement. 

Vous avez également mis en place un soutien financier pour ces partenaires…

Google a effectivement distribué pour près de 800 millions de dollars de crédits publicitaires aux ONG et aux PME, pour qu'elles puissent continuer à transmettre des informations aux citoyens et consommateurs. Nous avons notamment lancé des ad grants (bourses publicitaires, ndlr) qui permettent aux ONG d'apparaître gratuitement dans les liens sponsorisés accolés à des requêtes liées aux dons coronavirus. Nous avons également annoncé que les annonces Google Shopping devenaient gratuites. C'était un sujet sur lequel nous planchions depuis un moment, la situation nous a incité à accélérer dessus. Ce sera effectif en France d'ici la fin de l'année. Nous avons également lancé un fonds d'urgence pour la presse locale, qui a souffert tout particulièrement du confinement. Nous avons reçu plusieurs centaines de dossiers, suite à l'appel à candidature, et dévoilerons les lauréats dans les semaines à venir. Les médias nationaux bénéficient, eux, d'une exonération des frais de Google Ad Manager pour les accompagner dans ce moment difficile.

Sébastien Missoffe est à la tête de Google France depuis le 1er avril 2017. Ce diplômé de l'INSEAD et de l'EBS était jusqu'à janvier 2015, vice-président de Youtube en charge des contenus et des opérations. Il a débuté en mars 2006 à Dublin, en tant que responsable commercial, puis est devenu directeur des ventes Youtube pour le marché EMEA avant de s'installer aux Etats-Unis en qualité de directeur commercial en charge des TPE et PME pour le marché américain. Auparavant, il a passé neuf ans chez L'Oréal.

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