Pour rester dans le jeu médiatique, le sport doit se raconter différemment

A l'heure de la délinéarisation des usages média, le sport est l'un des derniers contenus incarnant la puissance fédératrice du direct, comment faire évoluer la manière dont il se raconte ?

A l’heure de la délinéarisation des usages média, le sport est l’un des derniers contenus incarnant la puissance fédératrice du direct, capable de rassembler des publics hétérogènes devant un même grand rendez-vous. Mais avec la poussée des jeux vidéo, les paris sportifs, le esport, les séries et les réseaux sociaux, l’environnement concurrentiel du sport auprès des plus jeunes s’est considérablement densifié, rendant l’intérêt pour le spectacle sportif plus volatile : 60% des fans de sport âgés de 15-24 ans indiquent « qu’ils pourraient facilement remplacer le sport par une autre forme de divertissement » (vs 32% des fans de 50 ans et plus)*. Ce nouveau paysage pèse également sur leurs habitudes et attentes quand ils s’informent, débattent ou regardent un évènement sportif et invite à faire évoluer la manière dont il se raconte.

D’une culture de l’attente à celle de l’intensité

Face à ces sources d’adrénaline concurrentes, les évènements sportifs dont la dramaturgie repose sur une alternance entre temps faibles et temps forts peinent parfois à rivaliser. 64% des intéressés par le sport de moins de 35 ans déclarent par exemple que « jouer à un jeu vidéo leur procure plus de plaisir que regarder une grosse affiche de sport ». Pour une partie de ce jeune public, parier sur un match est par exemple devenu un adjuvant nécessaire pour s’y intéresser.

Afin de se glisser dans les interstices de l’attention morcelée de son jeune public, les résumés et compilations des meilleurs moments sont des formats puissants pour rester présent à l’esprit de son public et montrer que le sport incarne cette intensité émotionnelle recherchée. YouTube est ainsi le média le plus cité par les 15-24 ans pour être en contact avec les contenus sportifs. Des applications comme « Buzzer » et « Free Ligue1 » s’engouffrent dans ces pratiques en invitant les fans à regarder en « near-live »(léger différé) les actions significatives d’une compétition qui les intéresse. Ou comment passer un évènement sportif au tamis des nouveaux standards d’intensité.

Le « 12ème homme » veut maintenant rentrer sur le terrain

Trois tendances de consommation poussent le public vers un rôle plus actif lors des évènements sportifs. La recherche d’intensitéque nous venons de décrire est la première. La deuxième découle de la nouvelle proximité entre les athlètes et leurs fans sur les réseaux sociaux. En exposant en quasi continu leur vie professionnelle et privée, les athlètes ont modifié la distance à laquelle le public s’attend à être d’un évènement. Ainsi, le décalage entre l’impression de transparence imprimée par les réseaux sociaux et la subite mise à distance des échanges entre les acteurs d’une rencontre (joueurs et arbitres par exemple), trouble une part importante du public qui s’attend à être davantage impliqué.

Enfin, les diffuseurs doivent tenir compte d’un public de plus en plus « expert », capable de s’autoformer rapidement et dopé par une approche performative de l’actualité sportive : 65% des 15-24 ans déclarent « qu’ils aiment arriver à prévoir ce qui va se passer grâce à l’expertise qu’ils ont accumulée »*. Pour cette génération qui a l’habitude d’avoir une manette ou un clavier à porter de main, regarder une rencontre en tant que pur spectateur devient difficile. Ainsi, 45% des 15-24 ans qui suivent l’actualité sportive trouvent que « voter pour choisir quel joueur faire entrer sur le terrain serait une bonne idée »*. C’est d’ailleurs dans cet esprit que la Formule E propose à ses suiveurs de voter pour leur pilote préféré afin qu’il reçoive un gain de performance supplémentaire pendant la course.

D’une logique universelle à une approche personnalisée et affinitaire

Si le sport parvient encore à rassembler des publics larges, (5 des 10 meilleures audiences TV de 2021 étaient des matchs de football), il fait aujourd’hui face à une mosaïque d’usages média et d’attentes éditoriales polymorphes. A une rupture générationnelle très nette dans les canaux utilisés s’ajoutent l’attente d’une dimension sociale et affinitaire formulée par les plus jeunes. « Sociale » car une partie d’entre eux accordent la valeur d’un contenu à la hauteur des interactions que celui-ci pourra générer sur les réseaux sociaux ; et « affinitaire » car la recherche de singularité et d’appartenance est une valeur centrale pour ce public. Plus de la moitié des intéressés sport de 15-24 ans déclarent « qu’ils aimeraient que des matchs soient commentés par un streamer, un influenceur qu’ils ont l’habitude de suivre. ».

Cette pluralité d’aspirations appelle à repenser la médiatisation du spectacle sportif. Le temps est peut-être venu de sortir de la logique de diffusion classique des droits sportifs pour permettre de multiplier propositions éditoriales et canaux de distribution en face de ces attentes. Une voie à explorer parmi d’autres, sous peine de devenir invisible aux yeux du public de demain.

*Source : Etude CSA « Sport UX 2022 » - Décembre 2021