Quels risques les sites de socialisation font-ils courir à leurs utilisateurs ?

Si les réseaux sociaux présentent un intérêt ludique et une utilité sociale, ils ne sont pas sans rique pour l'utilisateur comme le témoigne le récent procès contre Wikipedia. Détail des points potentiellement litigieux.

Avec plus de 40 millions d'utilisateurs dans le monde et une valeur estimée à 15 milliards de dollars, le  site Facebook témoigne du succès considérable que rencontrent actuellement les sites dits "de socialisation". Si l'intérêt commercial de ces sites est indéniable, tout comme leur aspect ludique ou leur utilité sociale, les risques qu'ils présentent - tant actuels que futurs - méritent être rappelés.

Les dangers liés à la  divulgation volontaire d'éléments de vie privée

Le principal risque engendré par ces sites de socialisation, et probablement le plus sérieux, est celui d'une violation librement consentie de sa vie privée, dont nul ne maîtrise les conséquences actuelles ni futures. En effet, sur ces sites, la divulgation de la vie privée est le fait de l'utilisateur lui-même, qui affiche des informations personnelles telles que ses opinions politiques, ses croyances religieuses, son carnet d'adresses, voire même son orientation sexuelle.

Certes, rien n'oblige l'utilisateur à en dire autant et aucune loi ne réprime le fait de divulguer sa propre vie privée. Pour autant, il n'en demeure pas moins que la politique de ces sites est clairement d'inciter leurs utilisateurs à révéler le maximum d'éléments de leur vie privée et au plus grand nombre de personnes...

En effet, bon nombre d'utilisateurs n'osent fermer les portes de leur vie privée à leurs relations, par crainte d'en vexer certains ou de se créer des inimitiés. Surtout, ces sites reposent sur un principe de réciprocité imposant de révéler sa propre vie privée afin d'accéder à celle des autres.

Ce faisant, certains utilisateurs se trouvent piégés par le système et ne recourent pas aux outils de protection de la vie privée pourtant proposés sur ces sites.

Face à cette incitation, les utilisateurs se doivent d'être particulièrement prudents et garder à l'esprit que la révélation d'information n'est pas forcément circonscrite ni dans l'espace, ni dans le temps : l'information peut en effet être consultée par d'autres personnes que celles auxquelles on a cru en limiter l'accès et rester accessible sur Internet pour une durée  illimitée.

L'information peut également être reprise par des personnes mal intentionnées. Tel serait par exemple le cas d'un utilisateur qui se retrouverait dans les fichiers d'une secte après avoir renseigné ses opinions religieuses sur sa fiche Facebook. Sans aller jusqu'à des cas aussi dramatiques, il est aussi fort probable que les employeurs mènent de petites enquêtes sur ces sites avant de recruter un candidat...

Les atteintes pouvant émaner des tiers

Si certains risques trouvent directement leur origine dans l'attitude de l'utilisateur qui ne protège pas suffisamment son intimité, d'autres proviennent directement des agissements de tiers.

D'une part, force est de constater qu'en permettant à chaque utilisateur de divulguer à l'ensemble de son entourage des photographies et des informations sur une personne, il se crée un canal idéal pour relayer des atteintes à la vie privée et au droit à l'image, voire des diffamations.

Prenons par exemple cette fonctionnalité qui permet à chacun de publier des photographies de ses amis sur sa fiche : il est clair qu'une telle publication peut constituer une atteinte au droit à l'image dés lors que la personne représentée n'a pas donné son accord à une telle diffusion. Hugh Grant et de nombreuses personnalités ont déjà été victimes de ce phénomène...

Surtout, cette fonctionnalité semble relativement pernicieuse dans la mesure où elle permet à une personne inscrite de diffuser la photographie d'une autre non-inscrite sur le site, de sorte que cette dernière, qui n'aura pas connaissance de cette publication, ne pourra en  restreindre la diffusion.

D'autre part, ces sites permettent incontestablement de faciliter les usurpations d'identité. N'importe qui peut en effet créer un profil reprenant les éléments d'identité d'autrui, puis en user à des fins plus ou moins maîtrisables. On peut ainsi imaginer que de telles usurpations d'identité soient commises à des fins de renseignement sur autrui ou pour commettre certaines escroqueries.

Les risques pour le futur

En tout état de cause, la divulgation de la vie privée de millions de personnes - notamment d'enfants et d'adolescents - sur ces sites de socialisation pose le problème des dangers qu'ils font courir sur le long terme.

Le plus préoccupant est certainement la constitution d'un véritable fichier de la population, particulièrement complet et d'une totale fiabilité puisque implémenté par les personnes elles-mêmes.

Nul n'est aujourd'hui capable de prévoir les utilisations futures de ces données et les risques évidents de détournement.

On n'ose pas parler de détournement à des fins commerciales, tant l'ouverture de ces sites aux annonceurs - qui vient d'avoir lieu sur Facebook - était évidente et prévisible.

On peut tout de même se poser la question des limites et de l'encadrement de cette utilisation commerciale,  et de l'accord des personnes pour une telle utilisation.

En outre, et au delà de ce risque de détournement commercial, il convient de s'interroger - sans tomber dans le catastrophisme - sur la possibilité de détournements aux conséquences bien plus graves qui pourraient, dans le futur, être le fait de gouvernements ou d'organisations criminelles...

A côté de cette menace d'utilisation détournée du système, le développement de ces sites conduit à évoquer un dernier péril, qui a déjà commencé mais dont les conséquences ne pourraient apparaître que plus tard, celui de faire perdre à  une génération entière le réflexe de protéger sa vie privée et ses données personnelles.

Les plus jeunes utilisateurs trouvent en effet totalement naturel de communiquer des informations éminemment personnelles, et de restreindre ainsi volontairement la sphère de leur intimité. Cette évolution des mentalités apparaît particulièrement  inquiétante pour la sauvegarde d'une liberté aussi importante que le droit à sa vie privée.

Face à ce danger, il est nécessaire de sensibiliser les jeunes utilisateurs sur l'importance de la protection de  leur vie privée, au moyen d'actions pédagogiques, tant dans les établissements d'enseignement que sur les espaces d'internet eux-mêmes.

Une absence d'encadrement et de réponse juridique

Face à tous ces risques, la plupart de ces sites ne semblent pas offrir de garanties suffisantes pour la protection de la vie privée de leurs utilisateurs.

En effet, l'analyse des conditions d'utilisation et des rubriques "Privacy" permet surtout de constater que ces sites  dégagent leur responsabilité quant à l'utilisation qui peut être faite des informations échangées.

Surtout, la complexité et l'absence fréquente de traduction française des conditions d'utilisation ne permettent souvent pas aux utilisateurs - surtout aux plus jeunes -  de mesurer les conséquences de la mise à disposition de données personnelles sur ces sites. Par exemple, les utilisateurs de Facebook réalisent-ils qu'en s'inscrivant sur ce site, ils consentent à ce que le site utilise des informations les concernant, recueillies à partir d'autres sources comme des blogs ou des journaux, afin de compléter leurs profils ?

Il est par ailleurs permis de s'interroger sur la déclaration des fichiers constitués à partir de ces sites et sur le contrôle des autorités compétentes sur ces sites. Il serait à ce propos intéressant de connaître la position de la CNIL face au développement de ces sites de socialisation et ses conséquences pour la vie privée des utilisateurs.

Enfin, face aux éventuels dommages qui peuvent être provoqués par ces sites, les réponses juridiques individuelles apparaissent, à l'heure actuelle, pour le moins inadaptées et compliquées à mettre en oeuvre.

En effet, le statut juridique de ces sites, entre celui d'hébergeur et celui d'éditeur, est encore incertain, de sorte qu'il est relativement délicat de déterminer la procédure qui leur est applicable en cas de contentieux.

C'est ainsi par exemple que des plaignants se sont vus récemment déboutés d'une action contre Wikipédia, sur lequel des contenus litigieux avaient été publiés, au motif notamment qu'ils n'avaient pas utilisé la procédure adaptée.

De surcroît, la complexité et de la lourdeur des procédures judiciaires fait que les victimes d'atteintes à leurs droits sur ces sites, surtout s'il s'agit de jeunes ou d'adolescents, risquent de ne pas intenter d'actions.

Pour autant, il est primordial que les victimes se manifestent et que  les atteintes commises sur les sites de socialisation soient, si ce n'est poursuivies et sanctionnées, à tout le moins signalées et stoppées.

Ainsi, les victimes qui ne peuvent ou ne souhaitent pas engager de procédure judiciaire, doivent en revanche utiliser les voies précontentieuses qui s'offrent à elles, notamment le signalement ("abuse report") et la mise en demeure, voire le cas échéant, la notification de contenus illicites.

Bien évidemment, il est indispensable qu'elles conservent aussi une preuve des atteintes constatées, dans la perspective d'une éventuelle action judiciaire ultérieure, qui demeure toujours la solution idéale pour faire respecter ses droits et permettre un contrôle optimal de la légalité et de l'éthique de ces sites.