Loi Chatel et e-commerce : ce qui change le 1er juin 2008

Les dispositions de la Loi Chatel concernant le commerce en ligne entreront en vigueur le 1er juin 2008. Panorama de ces mesures et de leurs incidences sur les acteurs de la vente en ligne et de la vente à distance.

La loi n° 2008-3 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dite "Chatel", a été adoptée le 3 janvier 2008 et publiée au JORF du 4 janvier 2008.

 

A la suite de chapitres consacrés à la réforme du droit de la distribution et au secteur des communications électroniques, les articles 28 à 32 de la Loi Chatel modifient en profondeur les dispositions du Code de la consommation applicables à la vente à distance.

 

Avant d'analyser ces articles, il est important de relever que l'adoption de la Loi Chatel par le parlement a été placée sous le sceau de l'urgence, procédure exceptionnelle qui devrait être réservée à quelques situations limitées et qui a malheureusement tendance à devenir la norme dans le domaine du droit des technologies de l'information. Cette loi a ainsi été adoptée après un seul passage devant les deux chambres et une discussion en commission mixte paritaire. Dans sa version initiale, le projet de loi ne contenait aucun article relatif au commerce électronique et la quasi-totalité des dispositions envisagées ci-après sont apparues au cours de la seule et unique lecture du projet de loi devant le Sénat.

 

Fatalement, ces mesures adoptées dans la précipitation soulèvent de nombreuses difficultés d'application et d'interprétation. Voici un panorama des dispositions légales qui entreront en vigueur le 1er juin 2008 et de leurs incidences sur l'activité des acteurs de la vente en ligne et de la vente à distance.

 

 

L'obligation d'annoncer une date limite de livraison au consommateur

 

Article 28 de la Loi Chatel : La nouvelle rédaction de l'article L. 121-20-3 alinéa 1 du code de la consommation oblige tout fournisseur à indiquer à son client consommateur, "avant la conclusion du contrat, la date limite à laquelle il s'engage à livrer le bien ou à exécuter la prestation de services". Si le fournisseur ne livre pas le bien ou le service dans les sept jours suivant la date limite, le consommateur pourra obtenir la résolution de la vente par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception au fournisseur. Il pourra également obtenir le remboursement des sommes versées conformément aux dispositions de l'article L.121-20-1 du code de la consommation.

 

A défaut d'indiquer une date limite à son client avant la conclusion du contrat, le fournisseur sera réputé devoir livrer son client à la date de conclusion du contrat.

 

Les entreprises exerçant une activité de commerce électronique vont devoir s'adapter à cette nouvelle exigence car jusqu'à présent, la plupart des cybercommerçants annonçaient des "délais limite" de livraison et non des dates limite de livraison.

 

Pour les entreprises qui opèrent à distance, le délai limite de livraison a l'immense avantage de constituer une donnée "statique" qui peut figurer dans un texte accompagnant le processus de commande, dans des conditions générales de vente ou dans une brochure ou un catalogue de vente à distance.

 

En revanche, l'indication impérative d'une date limite de livraison doit être gérée de manière dynamique et va contraindre les opérateurs de sites Web à développer des applications permettant, avant la conclusion du contrat, l'affichage en temps réel de la date limite de livraison. A ce titre, il ne sera pas possible de gérer cet impératif dans le cadre de l'e-mail récapitulatif de confirmation de commande intervenant après la conclusion du contrat. La mise en oeuvre de cette disposition légale pourrait donc se révéler assez lourde à mettre en place pour certains opérateurs de sites Web.

 

En outre, pour les entreprises de vente à distance utilisant des catalogues et bons de commande imprimés, l'indication d'une date limite de livraison sera quasiment impossible à mettre en oeuvre. Sur ce point, il faut espérer une clarification rapide de la loi car au regard de l'absence totale de marge d'appréciation laissée au juge par l'article L. 121-20-1 du code de la consommation, les opérateurs de vente à distance ne sont pas à l'abri de décisions kafkaïennes les condamnant pour ne pas avoir mentionné de date limite de livraison dans leurs documents imprimés...

 

Au regard de ces incidences sur le commerce électronique et la vente à distance, n'aurait-il pas été plus raisonnable d'imposer le principe du délai limite ? Cette exigence paraissait d'autant plus mesurée que le but de la loi était de rendre systématique la mention d'un délai de livraison et de faire échec aux clauses abusives stipulant un délai indicatif (réponse écrite de Monsieur Chatel en date du 25 février 2008).

 

En outre, si le fait de matérialiser le délai limite de livraison par une date butoir constitue l'information la plus intelligible que l'on puisse donner à un consommateur, il ne faut pas sous estimer la capacité de ce dernier à calculer lui-même une échéance à partir d'un calendrier. Les consommateurs sont certes placés dans une situation d'infériorité juridique vis-à-vis des fournisseurs qui justifie l'adoption de mécanismes protecteurs, ils n'en demeurent pas moins des adultes capables de calculer un délai.


 

Le droit du consommateur de contacter "effectivement" par téléphone le commerçant sans coût complémentaire spécifique

 

Article 29 de la Loi Chatel : A partir du 1er juin 2008, les entreprises de vente à distance devront renforcer les informations précontractuelles à destination des consommateurs. Alors que jusqu'à présent les entreprises devaient uniquement mentionner un numéro de téléphone, il faudra qu'à compter du 1er juin 2008, ce numéro permette au consommateur "d'entrer effectivement en contact " avec le commerçant.

 

La Loi Chatel consacre ainsi le droit du consommateur à joindre par téléphone le vendeur à distance.

 

Par ailleurs, la Loi Chatel introduit le principe d'une modulation des tarifs téléphoniques en fonction de l'objet de l'appel. Ainsi, lorsque le consommateur voudra suivre l'exécution de sa commande, exercer son droit de rétractation ou faire jouer la garantie, celui-ci devra uniquement supporter des coûts de communication, à l'exclusion de tout coût complémentaire spécifique.

 

En revanche, cette interdiction de facturation de coûts complémentaires spécifiques ne s'appliquera pas aux appels portant sur de simples renseignements ou sur la passation d'une réservation ou d'une commande.

 

Une fois cette distinction posée, il convient de définir la notion de "coûts de communication, à l'exclusion de tout coût complémentaire spécifique".

 

S'agit-il d'une notion qui interdit de facturer des frais accessoires aux frais téléphoniques (tels que des frais de dossier, des coûts forfaitaires...) ou s'agit-il d'une notion qui limite les coûts de communication téléphonique aux coûts d'une communication locale ou nationale et qui interdit le recours à des numéros surtaxés ?

 

A la lecture des travaux préparatoires, la seconde interprétation semble la plus plausible et obligera les sites marchands et les entreprises de vente à distance à mettre en place des numéros de téléphone non surtaxés pour gérer les suivis d'exécution de commande, les demandes de rétractation et les mises en jeu de garantie.

 

Ces numéros coexisteront vraisemblablement avec des numéros surtaxés qui devront être réservés à la gestion des simples renseignements ou des commandes.

 

 

Une information complète relative à l'existence ou à l'absence du droit de rétractation

 

Article 30 de la Loi Chatel : A compter du 1er juin 2008, et bien que "nul ne soit censé ignorer la loi", les entreprises seront obligées de fournir une information complète à leurs clients sur le cadre juridique applicable au droit de rétractation.

 

Actuellement, les entreprises doivent uniquement informer leur client de l'existence d'un droit de rétractation lorsque ce droit est applicable à l'objet de la transaction commerciale. Ce faisant, lorsque le droit de rétractation n'est pas applicable, les entreprises ne sont pas obligées d'en informer leur client.

 

Or, sur Internet, il existe de nombreuses situations dans lesquelles le droit de rétractation ne joue pas. Il en va notamment ainsi en matière de voyages en ligne, de loteries ou paris en ligne ou encore en matière de téléchargement d'oeuvres une fois ces dernières téléchargées.

 

Dorénavant, les exploitants de ces sites devront explicitement informer leurs clients de l'absence d'un droit de rétractation. Cette disposition légale consacre une pratique qui s'était déjà généralisée dans certains secteurs, et notamment dans celui des agences de voyages en ligne.

 

Il convient de noter que la loi ne prévoit pas de sanction à l'encontre des opérateurs n'informant pas leurs clients de l'absence du droit de rétractation. Ce silence pourrait être gage d'insécurité juridique pour le futur. En effet, comment sera sanctionné ce manquement à une obligation légale ? Les juges appliqueront-ils le droit de rétractation à des services qui en sont normalement exclus ? Annuleront-ils le contrat sur le fondement d'un vice du consentement ou sur celui d'un défaut d'information du commerçant vis-à-vis de son client ?

 

Dans un souci de sécurité juridique, ces questions mériteraient très certainement d'être clarifiées et encadrées par la loi.


 

De nouvelles conditions de remboursement du consommateur faisant jouer son droit de rétractation

 

Article 31 de la Loi Chatel : Le nouvel article L.121-20-1 du code de la consommation dispose que "lorsque le droit de rétractation est exercé, le professionnel est tenu de rembourser le consommateur de la totalité des sommes versées, dans les meilleurs délais et au plus tard dans les 30 jours suivant la date à laquelle ce droit a été exercé. Au-delà, la somme due est, de plein droit, productive d'intérêts au taux légal en vigueur".

 

Avant la Loi Chatel, le remboursement d'un produit ou d'un service demandé sur le fondement du droit de rétractation n'obligeait pas le vendeur à rembourser les frais aller de livraison (les frais de retour sont en principe à la charge du client et ne constituent pas des "sommes versées" lors de la commande). Chaque entreprise avait donc sa propre politique commerciale de prise en charge ou non des frais aller de livraison.

 

La nouvelle disposition légale énonce dorénavant clairement que le professionnel doit rembourser "la totalité des sommes versées" par le consommateur.

 

Ce faisant, la Loi Chatel semble imposer au vendeur le remboursement de l'intégralité du prix du produit et des frais aller de livraison.

 

Ce nouveau texte suscite diverses interrogations. En particulier, si le consommateur choisit pour sa convenance personnelle un mode de livraison expresse plus onéreux que le mode standard, l'entreprise sera-t-elle obligée de rembourser le prix d'une telle livraison ou pourra-t-elle limiter son remboursement aux frais de livraison standard ?

 

De la même manière, si un consommateur commande un volume de produits lui donnant droit aux frais de livraison gratuit et retourne ensuite une partie des produits au vendeur, ce dernier pourra-t-il retenir les frais de livraison qui auraient été dus pour le volume de produits finalement gardé par le client ?

 

Faute d'avoir été anticipées, ces questions dégénèreront très certainement en contentieux.

 

Enfin le remboursement consécutif à une rétractation devra s'effectuer "par tout moyen de paiement", sauf accord du consommateur "pour une autre modalité de remboursement".

 

Ce principe met un terme à l'imposition par certaines entreprises d'un remboursement sous forme d'avoir ou sous forme de bons cadeaux. Le principe est dorénavant celui d'un remboursement par l'un des moyens de paiement existant (chèque, virement bancaire...), sauf accord du consommateur pour être remboursé différemment par le professionnel.


 

Conclusion

 

La mise en oeuvre de ces nouvelles dispositions va obliger les acteurs du commerce électronique et de la vente à distance à adapter leur processus de commande et leur service de relation clientèle par téléphone. Les mentions contractuelles devront également être mises à jour pour tenir compte des nouvelles exigences légales. Enfin, pour toutes les zones d'ombre de la Loi Chatel, une ligne de conduite claire destinée à l'information des consommateurs devra être définie au sein de chaque entreprise.