Quel rôle ont les grandes entreprises dans le financement de l'innovation ?

La France peine générer des stars dans le domaine des hautes technologies à cause d'un manque d’investisseurs dans les premiers maillons du processus de financement de ces jeunes pousses. Mais qu’en est-il du rôle des grandes entreprises dans ce processus ?

Il est de notoriété publique que la chaîne du financement de l'innovation en France souffre d'une faiblesse dans ses premiers maillons à cause d'un trou entre la love money et le capital risque. Ce n'est pas faute de tenter de la corriger par de nombreuses incitations : réductions d'ISF apportées par la loi TEPA, financements OSEO, soutien au développement des réseaux de Business Angels, fonds d'amorçage régionaux, etc. Pourtant rien n'y fait.

Ces dispositifs perdent de vue la raison d'être de ces stades d'amorçage de l'innovation, qui sont ne sont pas seulement de permettre la recherche et développement mais aussi de lui trouver des débouchés commerciaux et de permettre l'adaptation de l'innovation aux besoins et contraintes réels des utilisateurs. Et sur ce point, les grandes entreprises peuvent jouer un rôle essentiel de clients "early adopters" de ces innovations pour faciliter et financer leur mise au point. Cela a également la vertu cruciale d'apporter l'argument décisif pour convaincre des investisseurs institutionnels : les cas clients réels comme preuve du potentiel de l'innovation proposée.

Or, force est de constater que malgré leur volonté affichée, ces acteurs ne jouent pas en France ce rôle aussi bien que leurs homologues américains qui ont ainsi permis l'émergence de tous les géants du secteur des hautes technologies qui dominent le marché mondial aujourd'hui.

Parmi tous les acteurs économiques du monde, les entreprises du CAC 40 sont sans nul doute les mieux armées pour affronter la conjoncture économique difficile que nous vivons. Souvent, elles bénéficient de sources de revenus bien sécurisées, de marges préservées, et sont, directement ou indirectement, les principaux récipients des plans de relances des états. Elles bénéficient en plus de larges marges de manoeuvre pour réduire leurs dépenses et adapter leur trésorerie face à leurs difficultés d'accès au crédit.

Alors pourquoi donc gèlent-elles leurs budgets sans discernement et procèdent-elles à des réductions de coûts drastiques, quitte à mettre en péril certains des projets qu'elles ont engagés ?

La théorie économique a la réponse : un cycle économique baissier permet de faire les assainissements nécessaires à l'augmentation de leur productivité. C'est lorsqu'ils tournent au ralenti que les modes de fonctionnement et de production peuvent être révisés ou remplacés pour gagner en efficacité en vue du cycle haussier qui suivra inévitablement. Mis bout à bout, ces phases constituent ce que l'on appelle le progrès économique.

Mais pour être complet, un tel réajustement doit marcher sur deux pieds : la réduction des anciens modes de fonctionnement, certes, mais aussi l'investissement dans de nouveaux plus efficaces. Or, force est de constater qu'aujourd'hui, les entreprises françaises ont oublié de doter leur restructuration d'un second pied, celui de l'innovation !

Voici l'illustration de ce phénomène au travers du témoignage de Calinda Software, jeune start-up française récompensée et distinguée à plusieurs reprises pour ses innovations qui améliorent drastiquement l'efficacité de la collaboration par e-mail, et qui constate l'attentisme des entreprises françaises en 2009 en matière d'innovation.

Son dirigeant Alexandre Mermod témoigne "L'équation que nous avons à résoudre n'est pas simple. Nous avons rencontrés plusieurs dizaines de grandes entreprises cette année et malgré les dispositifs promus par l'état, la réalité est noire. L'année 2009 est l'année de l'indétermination. Notre solution plaît, résout bien des problématiques quotidiennes de productivité des utilisateurs de l'e-mail notamment en mode projet mais paradoxalement personne ne se décide. A croire que la terre s'est arrêtée alors que le soleil continue de tournoyer au-dessus de nos têtes".

Pourtant la problématique qu'adresse Calinda Software est générale. Les utilisateurs de messageries en entreprise passent trop de temps à interagir avec leurs homologues collaborateurs, clients, partenaires, fournisseurs avec un outil simple mais difficile à gérer lorsqu'on en a un usage intensif.

En effet, les grandes entreprises ne manquent pas de champ pour améliorer leur productivité. Alors que les chocs économiques des dernières décennies leur ont permis de contrôler à la microseconde comment leurs ouvriers vissaient chaque écrou, elles ont vu se développer eu leur sein des armadas de travailleurs du savoir, deux à trois fois mieux rémunérés, mais dont la productivité échappe à toute analyse, surtout à celle de l'entendement !

Entendons-nous bien, ces travailleurs intellectuels justifient largement leur rémunération : très qualifiés, très compétents, généralement motivés pour faire avancer leurs projets et obtenir des résultats, ce sont les ouvriers des activités liées à l'immatériel, qui ont pris une place de plus en plus importante dans le bilan de ces entreprises. Malheureusement, ils passent le plus clair de leur temps englués dans leurs messageries électroniques, ou prisonniers de réunions dont l'efficacité se limite souvent à la reformulation du contenu de cette dernière et à l'organisation de la réunion suivante. Lucides, ils sont eux-mêmes insatisfaits de cette situation mais comment y remédier à leur niveau ?

Alors, quelles actions les dirigeants de ces fleurons industriels, ayant sagement réduit leurs dépenses consacrées à l'ancien mode de fonctionnement, mettent-ils en place pour en mettre en place de nouveaux pour ces activités liées à la connaissance ? Le sujet semble tout trouvé puisqu'on l'a vu ces activités ont acquis un poids énorme pour l'entreprise tout en présentant de grandes marges d'amélioration de la productivité. Et qu'il existe justement des méthodes et des outils, certes récents, capables de rationaliser et d'optimiser toutes ces activités liées à la connaissance sans chambouler les habitudes de travail.

En d'autres termes, qu'est-ce qui empêche les grandes entreprises françaises d'adopter les innovations qui leur permettraient de compléter ce cycle d'amélioration de leur productivité ?

 - Le manque d'argent ? Non, car les entreprises innovantes leur offrent volontiers des conditions exceptionnelles pour démontrer les bénéfices apportés par leurs produits, comme des modes de tarification complètement indexés sur les gains de productivité constatés.

 - L'absence de besoins ? Si c'est le cas, il existe en revanche un besoin de mieux communiquer sur la seconde jambe qui a été choisie pour soutenir les restructurations en cours. Mais après tout, les généraux britanniques de la première guerre mondiale n'ont-ils pas attendu que le ministre de l'armement de l'époque, un certain Churchill, leur livrent contre leur gré sur le champ de bataille des chars d'assaut pour admettre l'utilité de cette innovation qui s'est avérée décisive dans tous les conflits du 20ème siècle ?

 - L'aversion au risque ? Dans le cas de Calinda Software le risque est minime puisque aucune modification de l'environnement et des habitudes n'est nécessaire. Mais toute décision courageuse cache nécessairement un risque, ne fût-il que politique !

 - Les circuits de décisions ? On tient peut-être là une piste intéressante, car les grandes entreprises françaises cumulent deux caractéristiques qui semblent à première vue opposées. D'une part, elles présentent un grand nombre de niveaux de hiérarchie, pouvant atteindre 8 ou 9 alors que l'on considère souvent qu'une communication efficace requiert 4 niveaux ou moins.

Leur grande taille ne permet plus aux managers de gérer toute l'information qui leur est nécessaire pour prendre des décisions éclairées et nécessite donc de décomposer les activités et ainsi de suite, d'où cette pyramide très élevée. Mais dans le même temps, on observe en France une faible délégation de la prise de décision. Il en résulte des hiérarchies cantonnées à un rôle d'information des dirigeants et à l'exécution des décisions essentiellement prises en haut lieu, avec comme seule latitude, des détails techniques sur la façon de les mettre en oeuvre. Or à notre époque, il est rare que le périmètre des innovations ayant un véritable potentiel d'impact sur le monde ne se limite à des aspects purement techniques.

Résultat : une innovation s'appliquant à un certain niveau peut facilement convaincre de son potentiel le manager intermédiaire qui en est responsable. Malheureusement, celui-ci ne disposera pas du pouvoir de décision nécessaire à une adoption, même localisée, de cette innovation. Il ne pourra que faire remonter l'information vers sa hiérarchie, mais ces canaux de communication verticaux sont si chargés et l'attention des dirigeants si sollicitée (elle aussi) que la décision ne sera jamais prise, ou dans des délais prohibitifs.

Dans ce contexte, on peut se demander ce que font toute la journée les milliers de managers qui peuplent cette pyramide ? En tout cas, en allant sur le terrain on ne peut pas nier qu'ils travaillent énormément et qu'ils entretiennent d'intenses échanges avec leur environnement, au moyen d'e-mails et de réunions.

Pour lutter contre tous ces facteurs d'indécision et permettre enfin aux joyaux de notre économie de suivre la voie tracée par les plus visionnaires d'entre eux en effectuant les mutations nécessaires à leur adaptation au monde qui s'ouvre, Calinda Software innove aussi dans son modèle économique en inventant un modèle économique très original, le "Pay per Gain" : le prix du produit n'est plus à l'achat, ni même à l'utilisation, mais indexé sur les gains de productivité réalisés par les entreprises grâce à la technologie de la start-up !

On voit difficilement comment les décisions pourraient encore tarder après de telles concessions ! En tous les cas, elles seules permettront à Calinda Software de poursuivre son évolution dans la chaîne du financement en convainquant des fonds de capital risque de sa capacité à générer des revenus à l'échelle mondiale grâce à son innovation. 

 
ANNEXES et sources d'informations :
-       Etude IDC "Hidden Costs of Information Work" 2005
-       Comité Richelieu : http://www.pactepme.org
-       OSEO : http://www.oseo.fr