Quel projet numérique pour les candidats à la tête de la Francophonie ?

Quel projet numérique portent les candidats à la tête de la Francophonie – la désignation du successeur d’Abdou Diouf est prévue en novembre prochain ?


La canadienne M. Jean, le mauricien J.C de L’Estrac, l’ancien président burundais et actuel médiateur de la paix au Mali Pierre Buyoya ont déjà présenté leurs professions de foi. Chaque semaine, retour sur un candidat ; et pour commencer, zoom sur la place des (nouvelles) technologies de communication dans le programme de Pierre Buyoya.

Ses rapports avec la « société des médias »

 Il faut remonter dans le temps pour comprendre le rapport que Pierre Buyoya entretient avec la question médiatique. Quand il était président du Burundi, Internet effectuait sa discrète incursion sur le continent africain. 1996 est en effet l’année des premières expérimentations. Mathieu travaillait à l’époque pour le bureau local de la Banque Mondiale, chargé d’un essai de transmission des données entre Bujumbura et Washington dans le cadre d’un réseau interne, et a participé à la première émission de vulgarisation de la toile sur une station privée, Radio Umwizero : « Contrairement à nombreux pays, les autorités burundaises n’ont jamais mis les freins à notre aventure Internet. Ils étaient très bienveillants. Chaque fois qu’on demandait une autorisation, c’était d’accord. Pourtant, le contexte politique et sécuritaire était tendu, et le pouvoir aurait pu craindre ces nouvelles technologies qui s’annonçaient déjà incontrôlables », témoigne l’expert international. 

La radio « Kouchner »

 A cette époque, le gouvernement de Pierre Buyoya apparaît comme un modèle d'ouverture au pluralisme médiatique dans la région des Grands Lacs quand il autorise sur son territoire la première radio indépendante dédiée à la paix, et animée en partie par une équipe internationale. Des journalistes internationaux comme Laurent Sadoux de Rfi, des figures historiques de France Culture comme François Capelier et Hubert Vieil, Philippe Perdrix ancien rédacteur en chef adjoint de Jeune Afrique ou l'algérien Maleck Djaoud y sont passés. Radio Umwizero a proposé dans l’espace public un vocabulaire, une terminologie de négociation et de démocratie dans un pays habitué aux discours belliqueux. Pierre Pradier, ami de Bernard Kouchner avec qui il lança cette aventure d’activisme médiatico-humanitaire dans les Grands Lacs africains, aimait raconter : « Pierre Buyoya ne peut qu’encourager cette radio, même si nous sommes une voix divergente par rapport aux médias gouvernementaux. Car il est convaincu que le pluralisme est nécessaire pour l’accompagner dans ses réformes démocratiques et dans ses négociations avec les rebelles qui sont souvent incomprises dans son propre camp ». Radio Umwizero a été le premier à donner la parole aux rebelles qui combattaient le gouvernement. Buyoya a soutenu le projet, malgré la colère de certains de ses lieutenants zélées. Chaque fois que la radio avait un problème, « nous allons avoir ses proches conseillers », témoignait Pradier, disait -il en 1999.

Les NTIC au service de la circulation des idées et de l’innovation

Le rôle primordial des technologies de communication, des « nouvelles » aujourd’hui, Pierre Buyoya ne l’ignore pas. Le candidat au Secrétariat Général de l’Organisation Internationale de la Francophonie propose de poursuivre, voire d’accélérer le programme « tics » de cette organisation. L’objet « numérique » (technologies de communications, réseaux technologiques, médias, société de la connaissance...) apparaît dans tous les points principaux du projet « Mon ambition pour la Francophonie ».  « Grâce notamment au cadre stratégique décennal adopté en 2004 lors du Sommet de Ouagadougou, le bilan de l’OIF est déjà impressionnant. J’entends m’inscrire dans cette logique de programmation, en tenant tout particulièrement compte des progrès   technologiques dans les sciences de la communication et de la connaissance, qui constituent autant un défi qu’une opportunité d’innovation pour la langue française. Il appartient à la Francophonie de s’approprier ces technologies, de les développer, d’en faire un outil performant de communication au profit de la libre circulation des idées et des connaissances exprimées en langue française », présente-t-il.
L’entourage de l’ancien président Pierre Buyoya rappelle effectivement que l’Organisation de la Francophonie s’impose comme l’un des principaux précurseurs dans la coopération multilatérale numérique dans le monde, que des projets et des dispositifs de financement d’envergure sont déployés depuis la Déclaration du Sommet de Cotonou en 1995. La culture numérique, la création de contenus et le transfert de compétences à travers la mise à disposition de formateurs dans les technologies numériques avancées, la mise en œuvre des stratégies nationales et régionales dans les pays francophones, l’émergence des institutions africaines spécialisées dans la gestion des ressources internet critiques, comme le registre régional AFRINIC qui alloue les adresses internet au continent africain, sont les principaux domaines d’intervention de l’Oif.
Le Sommet de Kinshasa de 2012 a consacré une « stratégie de la Francophonie numérique »pour que les pays francophones « soient pleinement des acteurs maîtrisant les transformations induites par le numérique et s’insèrent dans l’économie numérique mondiale ». Des axes stratégiques d'intervention ont été identifiés, notamment, l’accompagnement de l'innovation numérique, l’édification des sociétés de l'information ouvertes, transparentes et démocratiques ( gouvernement électronique et participation citoyenne, promotion des données ouvertes, sécurité, libertés et confiance numériques), le développement de l'intelligence numérique au service de la diversité et du partage : ressources numériques, sans oublier la production et la protection des biens communs numériques francophones :

"La Francophonie n’est pas une marchandise"

Car l’ « exception culturelle », « la diversité », c’est le sens même de l’humanisme francophone, d'après Pierre Buyoya. La raison même d'être de cette « valeur partagée » qu’est la Francophonie, dit-il. « Dans un monde en permanente mutation, marqué par une mondialisation accélérée qui parfois brouille les repères et dilue les valeurs au nom d’un « immédiat » éphémère, l’OIF n’est pas seulement une réalité – c’est aussi, et surtout, une nécessité vitale ».
Pierre Buyoya inscrit son programme numérique à l’intérieur même de son projet d’une « francophonie au service du développement » et de démocratie : « Il n’est de liberté sans dignité ». D’où son insistance sur une mondialisation technologique intégrée dans un projet culturel et sociétale. Et non un village global et des nouvelles technologies de l’information et de la communication induiraient un « monolinguisme pauvre », le « globish », rappelle-t-il, et n'hésite pas à citer François Mitterrand ou encore François Hollande pour souligner que « notre langue  est notre patrimoine, elle fonde notre identité dans le respect de nos différences. Cette identité, ce patrimoine n’ont pas de prix. Ils ne sont pas à vendre. Et je rends ici hommage au Président François Mitterrand d’avoir, lors du Sommet de l’Ile Maurice en octobre 1993, fait prévaloir « l’exception culturelle » car, disait-il, les créations de l’esprit ne peuvent être assimilées à de simples marchandises. ». Une mondialisation technologique qu’il inscrit aussi dans une écologie diplomatique, où « la circulation accélérée des idées, des personnes et des biens contribuent à accroître le développement social et économique, au profit de tous ». Et dans ce cas, et seulement dans ce cas, dans l’esprit du projet de Pierre Buyoya, « la mondialisation constitue pour notre culture française une chance, une opportunité extraordinaire pour autant que nous nous donnions les moyens de nos ambitions ».

Prochainement : Quel projet numérique pour la candidate Michaelle Jean