Bercy ratisse plus large la perception de la TVA auprès des e-shops étrangers

La France vient d'abaisser le seuil de vente en ligne à partir duquel il est obligatoire pour un e-commerçant européen d’appliquer les taux de TVA français. Des milliers d'e-shops étrangers devront entreprendre des démarches administratives et reverser la TVA en France.

Depuis ce 1 janvier 2016, beaucoup plus de boutiques en ligne étrangères devront reverser au Trésor français la TVA perçue sur les achats de biens effectués par des consommateurs français.En effet, l'Etat français a baissé très sensiblement le montant limite de vente à distance à partir duquel il exige que la TVA français s'applique même si la vente s'est réalisée sur une boutique en ligne étrangère: le seuil est passé de 100 000 euros à 35 000 euros, par année civile.Précisons que ce décompte ne concerne que les ventes de biens en BtoC (dossier synthétisant la réglementation TVA intracommunautaire e-commerce). 
Ce changement est encore méconnu pour 2 raisons: il a été effectué dans la foulée de la loi fourre-tout n°2015-1785 (loi dite "finances 2016", avec un volet modifiant l'article 258B du code général des impôts concernant la TVA intracommunautaire concernant les biens achetés à distance), et a été adopté pendant les congés de fin décembre 2015. Rien que pour la Belgique, au moins une centaine d'e-commerçants sont concernés, la France étant le premier marché d'exportation en e-commerce.
Impact financier (mais limité)
Cette décision fiscale peut modifier la rentabilité des opérations d'exportation. Ainsi les boutiques luxembourgeoises devront dorénavant facturer leurs biens aux consommateurs français à un taux de TVA de 20% au lieu de 17% (sauf si elles ne dépassent pas le seuil). Elles devront, soit répercuter cette augmentation dans le prix de vente, soit absorber dans leur marge bénéficiaire (si la boutique préfère opter pour une politique du prix unique en Europe). Auparavant, elles pouvaient appliquer la TVA luxembourgeoise tant qu'elles ne vendaient pas pour plus de 100000 euros à des français par année civile. Pour des e-commerçants d'autres pays (ex: Belgique, Pays-Bas, Danemark,...), la nouvelle de ce changement se présente par contre à première vue comme positive puisque le taux de TVA en France est (pour l'instant) inférieur à celui appliqué dans leur pays d'activité.
Des plateformes d'e-commerce à reprogrammer 
L'application de différences de taux engendre par contre des répercussions au niveau de la programmation de la plateforme d’e-commerce, qui doit être en mesure, d’une part d’afficher les bons prix en fonction de l’origine du client, et, d’autre part d’établir une facture correcte.
Charge administrative disproportionnée
Tout cela n’est rien par rapport à la charge administrative qui pèse sur les épaules de l’e-commerçant. Car celui-ci n’est pas uniquement tenu d’appliquer le bon taux de TVA selon le pays d’achat, et bien entendu de verser le montant encaissé à l’Etat concerné. Il doit aussi effectuer toutes les démarches administratives en vigueur pour les assujettis en France : 
  1. une demande d’immatriculation (auprès d'un bureau spécifique: DRESG)
  2. et surtout les déclarations périodiques, relevés annuels, listings "intrastats".
Ces démarches doivent être faites dans les délais réglementaires français, en remplissant les champs adéquats de données via une interface en ligne aux caractéristiques techniques et systèmes d’authentification propres au pays, et en langue française !  Tout cela n'est pas facile pour un entrepreneur non français et présente un caractère angoissant, car en cas d’erreur ou retard, des amendes administratives significatives peuvent être appliquées.
En fin de compte, une si bonne affaire pour l'Etat français ?
En cette période économique non florissante, on peut comprendre la décision de l'Etat français de percevoir le maximum de revenus. Mais la modification de ce seuil engendre un impact disproportionné sur la charge administrative des e-entrepreneurs. Peut-être le législateur français ne s'en est-il guère inquiété, vu que ce changement ne concerne que les e-shops étrangères. Mais a-t-il pensé qu'inversement les e-shops françaises subiront le même sort si d'autres Etats Membres emboitent le pas? Or, on peut craindre ce jeu de domino: les quelques Etats Membres, comme l'Allemagne, qui avaient encore maintenu le seuil de 100 000 euros risquent d'imiter la France et de se dire également "pourquoi ne pas non plus taxer les e-shops étrangères, dont les françaises" ! Le bilan de ce jeu de domino risque d'être bien maigre, puisque le principe de la TVA (...soit dit en passant une invention française) est de ne taxer que des soldes. 

Pour Berçy, l'ampleur des recettes espérées risque de ne pas être au rendez-vous. Un rapport du Sénat a révélé en 2015 que moins de 1000 e-shops étrangères se sont déclarées en France, chiffre particulièrement bas. Et les recettes d'e-shops étrangères risquent d'être contrebalancées par des pertes de TVA sur les ventes d'e-shops françaises à l'étranger si le même seuil (le minimum accepté par la Commission) est adopté par tous les pays européens. 

Des faillites engendrées en cas de redressement TVA
Si le différentiel en recettes TVA n'est guère positif, beaucoup d'Etats  se rattrapent par contre au niveau de la perception d'intérêts et d'amendes administratives. Les administrations fiscales françaises ,mais aussi italiennes et espagnoles, sont connues pour avoir effectué des redressements spectaculaires, revenant souvent sur 5 exercices annuels en arrière, avec parfois de tristes conséquences: certains sociétés concernées (au moins 2 belges et 1 luxembourgeoise) ont dû mettre la clé sur le paillasson, ne disposant pas de la trésorerie suffisante pour payer la TVA et les amendes sur 5 ans alors qu'elles devaient attendre plusieurs mois pour être remboursées de la TVA payée erronément dans le pays d'installation. Plusieurs régularisations fiscales ont eu pour origine une dénonciation de concurrents ou une enquête fiscale auprès de places de marchés, qui ont communiqué la liste de leurs e-commerçants dépassant le seuil.

Un frein vers l'e-commerce transfrontalier
Le différentiel vient d'être calculé pour un e-commerçant belge récemment conseillé par RETIS. Il vend pour 4000 €/mois en France. Positif dans son cas pour... 40 €/mois, mais un coût de 1650 € + 200 €/ trimestre pour faire appel à un bureau spécialisé en TVA, son comptable s'estimant pas en mesure d'effectuer ces démarches. Il vient de prendre la décision, à contre-coeur, de... stopper les ventes dès que le seuil de 35 000 € en France sera atteint, soit probablement en septembre, puis de recommencer en janvier de l'année suivante. 

D'autres risquent très vraisemblablement de maintenir les versements actuels, souvent par ignorance ou par non compréhension du mécanisme intracommunautaire de taxation. En effet, beaucoup ne s'imaginent pas être en infraction, puisqu'il reversent bien la TVA à l'administration fiscale de leur pays.

Pas encore d'harmonisation européenne en vue
De toute évidence cette problématique est européenne. Toutefois, la taxation reste une compétence nationale et chaque administration défend fièrement son mode de fonctionnement. 

Pour l’instant rien n’incite une administration à proposer un système de déclaration plus simple pour les e-commerçants étrangers, alors qu’il est si confortable d’appliquer les mêmes règles pour tous... et de percevoir des amendes en cas d’erreur. Quant aux pays où les flux d’e-export dominent, essentiellement les grands pays européens, ils n’ont pas vraiment d’intérêt financier à une amélioration du système, au contraire. Ils seraient même en principe les gagnants des erreurs de versement.

L'enjeu du marché unique de l'e-commerce

Compte tenu de ce contexte, il faudra une forte détermination de la Commission pour parvenir à des avancées au niveau de la simplification des démarches administratives liées à la TVA. 

Mais il s’agit d’un chantier important pour faciliter le développement de l’e-commerce en Europe et se diriger vers un marché unique du commerce en ligne. 

Un système de déclaration en ligne centralisé a été mis en place par la Commission Européenne début 2015 pour la perception de la TVA intracommunautaire lors d'opérations de vente de services dématérialisés (ex: hébergements web). 

S'il est probablement illusoire d'arriver à un accord unanime européen sur une harmonisation des taux de TVA et la suppression des (très nombreuses) exceptions et particularités nationales (ex: régimes particuliers dans certaines îles), espérons que chaque Etat se rendra compte de l'intérêt de jouer plus collectif pour réellement mieux percevoir les taxes, et souhaitons surtout des avancées au niveau de la simplification administrative, également pour les ventes de biens matériels.