2016, année charnière pour les compétitions de jeux vidéo en France.

Distinguer les jeux vidéo à caractère compétitif des jeux de hasard, voilà l’objectif du Gouvernement qui veut autoriser de manière officielle l'organisation de compétitions de jeux vidéo en France.

    

Pour les novices, le e-sport (electronic sport) désigne «l’ensemble des pratiques compétitives ayant pour moyen de confrontation […] un support numérique, et en l’occurrence un jeu vidéo»[i].

En France, cette discipline passionne plus de 850 000 pratiquants et près de 4 millions de spectateurs.[ii] C’est à Paris, qu’est organisée chaque année, par la société française Oxent, l’emblématique E-Sports World Cup (ESWC), la coupe du monde des jeux vidéo. La prochaine rencontre est prévue au Zénith du 6 au 8 mai prochain.[iii]

Le e-sport, c’est aussi une opportunité économique florissante. Le centre d'analyse et de recherche sur les jeux vidéo Newzoo prévoit que les revenus du e-sport devraient atteindre 465 millions de dollars en 2017.[iv]

Si le succès du e-sport n’est plus à démontrer, paradoxalement, cette discipline évolue dans un certain flou juridique. Tombant sous le coup de l’interdiction des loteries, mais bénéficiant d’un régime de relative tolérance administrative, les compétitions de e-sport ont lieu dans un contexte d’insécurité juridique.

La consultation publique lancée en octobre 2014 autour de l’avant-projet de loi numérique portée par Axelle Lemaire est le signe d’un renouveau attendu pour le e-sport. Sous l’impulsion des internautes, le texte s’est muni d'un article portant sur les compétitions de jeux vidéo.

De lege lata : principe de prohibition générale des loteries

L’organisation des compétitions de e-sport tombe sous le coup de la prohibition des loteries, ce qui met en difficulté les acteurs qui souhaitent profiter du développement de cette discipline.

La prohibition des compétitions de e-sport

L’article L. 322-1 du Code de la sécurité intérieure pose clairement un principe général de prohibition des loteries. Les jeux d’argent et de hasard, sont l’objet en France d’un contrôle très strict au regard des enjeux d’ordre public qui y sont attachés.

Le délit de loterie est constitué lorsque 4 conditions cumulatives sont réunies (article L322-2 du même code) :

  • l’espérance d’un gain,
  • la publicité de l’offre de jeu,
  • le sacrifice financier du joueur,
  • et enfin l’intervention du hasard (même partiellement dans le résultat).

Il est vrai que, pour la plupart, les compétitions de e-sport font davantage appel à l’habileté qu’au hasard, mais l’article L. 322-2-1 du Code de la sécurité intérieure (issu de la loi Hamon) ne laisse subsister aucun doute et dispose que l’interdiction des loteries recouvre également « les jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire du joueur [v]». 

Les difficultés rencontrées par les acteurs

Encore très récemment, le 28 janvier 2016, la Cour d’appel de Paris réaffirmait l’interdiction des jeux d’adresse et d’habileté dès lors qu’ils sont des jeux d’argent, et confirmait la conformité au droit de l’Union Européenne de cette interdiction[vi].

En l’espèce, un opérateur établi dans un Etat membre de l’UE proposait au public français une offre de jeux en ligne payante et susceptible de donner lieu à l’attribution d’un gain. Certains jeux ressemblaient à des jeux vidéo.

Le Président du TGI de Paris a ordonné par la voie du référé à l’hébergeur du site litigieux et aux fournisseurs d’accès internet d’empêcher l’accès à ce site sur le territoire français. La Cour d’appel a confirmé cette ordonnance. C’est en vain que l’opérateur a plaidé que les dispositions françaises portaient atteinte à la libre prestation de service dans l’UE.

C’est là le type de difficultés auxquelles sont confrontés les acteurs du e-sport en France. Alors que cette discipline se développe et se professionnalise considérablement, les organisateurs se heurtent au principe d’interdiction des loteries.

Le projet de loi pour une République numérique laisse présager une forte évolution, ce qui mérite d’être suivi avec attention.

De lege ferenda : vers la légalisation et la reconnaissance d’une discipline

Pour dissiper le flou qui entoure le cadre juridique du e-sport, le projet de loi prévoit d’aménager le principe général d’interdiction des loteries. La légalisation des compétitions de e-sport s’accompagnera par ailleurs de plusieurs mesures d’encadrement.

La légalisation des compétitions de e-sport

Dans le but de légaliser l’organisation de compétitions de e-sport, le projet de loi prévoit une procédure d’agrément qui serait délivré par le Ministre chargé de la jeunesse aux organisateurs. Un arrêté fixerait la liste des jeux vidéo pour lesquelles les compétitions peuvent bénéficier d’agrément. Ces logiciels auraient la particularité de faire prédominer l’habileté sur le hasard.

Le rapport intermédiaire sur la pratique compétitive du jeu vidéo établi par Rudy Salles, député, et Jérôme Durain, sénateur, quant à lui, préconise plutôt d’instituer une exemption à l’interdiction des loteries au profit des compétitions de jeux vidéo. Cette dérogation  permettrait d’autoriser les compétitions tenues hors ligne, dès lors que les droits d’entrée des joueurs correspondent à une participation à des frais d’organisation.[vii]

S’agissant des compétitions exclusivement organisées en ligne, on perçoit une certaine défiance en raison des risques de triche. Pour le moment, la mission propose de « n’autoriser en ligne que les compétitions n’impliquant pas de sacrifice financier autre que l’acquisition de la licence du jeu vidéo utilisé, et pour lesquels l’espérance de gain ne dépasse pas un certain montant ».[viii]

Des hésitations subsistent donc sur la manière de parvenir à une légalisation des compétitions de e-sport. Ce point reste à suivre ! 

Quelques mesures d’encadrement proposées

L’évolution du cadre légal du e-sport appelle à une réflexion sur de nombreux points. Quelques mesures d’encadrement semblent d’ores et déjà se préciser.

  • Protection des mineurs

Le Rapport suggère de conditionner la participation des mineurs aux compétitions à une autorisation parentale et de soumettre les gains de compétition des mineurs à une obligation de consignation à la Caisse des dépôts.

  • Diffusion audiovisuelle des compétitions de e-sport

Le CSA est appelé à clarifier la classification des contenus des jeux vidéo sur la base du label Pan European Game Information (PEGI). Cette classification, réalisée sous l’impulsion des éditeurs de jeux et homologuée par le ministère de l’Intérieur, signale les contenus potentiellement dangereux  (violence, nudité, jeux d’argent…).[ix]

Il s’agit d’inciter les diffuseurs à analyser les images des compétitions au cas par cas et à ne pas faire une simple transposition de la classification PEGI du jeu pris dans son ensemble.

  • Règlementation de la publicité

Le projet de loi prévoit d’aligner les règles de diffusion des compétitions de e-sport à la télévision sur celles des matchs sportifs. Les chaînes pourraient ainsi échapper à l'interdiction de publicité dissimulée qui les contraindrait à flouter les maillots des joueurs sur lesquels figurent des sponsors, ou même à ne pas citer le nom du jeu auquel ils jouent.[x]

Le futur cadre légal des compétitions de e-sport se dessine peu à peu. Le juriste va une nouvelle fois devoir se montrer créatif.

Avec la participation de Hasna Louze, Juriste.

[i] Syndicat des éditeurs de loisirs (SELL). L’essentiel du jeu vidéo. Marché, consommation, usages. Février 2016. Page 31.

[v] Loi n°21-476 du 12 mai 21 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne

[vi] CA Paris, 28 janvier 2016

[vii] E-sport, la pratique compétitive du jeu vidéo - Rapport intermédiaire, mars 2016, page 14.

http://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/rapport-etape-esport-mars2016.pdf

[viii] E-sport, la pratique compétitive du jeu vidéo - Rapport intermédiaire, mars 2016, page 16.

http://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/rapport-etape-esport-mars2016.pdf

[ix] E-sport, la pratique compétitive du jeu vidéo - Rapport intermédiaire, mars 2016, page 18.

http://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/rapport-etape-esport-mars2016.pdf

[x] Article 9 du décret n°92-280 du 27 mars 1992 pris pour l’application des articles 27 et 33 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 et fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat.