Wilfried Dron (Wisebatt) "Il faut considérer l'autonomie de l'objet connecté dès sa conception"

Pour Wisebatt, entreprise de prototypage virtuel, les industriels conçoivent encore trop souvent leurs objets connectés de manière expérimentale, ce qui donne lieu à une évaluation de l'autonomie parfois imprécise.

Wilfried Dron, cofondateur de Wisebatt. © Wisebatt

JDN. L'entreprise BeFC a présenté au CES ses biopiles en papier, le CNRS vient d'annoncer travailler sur des micro-supercondensateurs pour alimenter les objets connectés, comment expliquez-vous le dynamisme autour des batteries sur le marché de l'IoT ?

Wilfried Dron. Les industriels se sont rendus compte que les objets IoT sur étagère ne pouvaient pas atteindre une durée de vie de plus de dix ans, dans la plupart des cas. Dans beaucoup de projets, l'autonomie de l'objet n'a pas été celle initialement espérée, ce qui a pu engendrer des déceptions. Par exemple dans le tracking d'assets, la batterie des objets connectés peut durer plusieurs mois voire plusieurs années, mais difficilement au-delà. D'autre part, les acteurs ont pris conscience du coût de maintenance que représente le fait de changer la batterie d'une flotte d'objets connectés. On observe ainsi une sensibilisation des ingénieurs et des chefs de projet à ce sujet. Les préoccupations sont particulièrement grandes pour les systèmes de type alarme, conçus pour rester en veille la plupart du temps et n'être activés que pour remonter une alerte lorsqu'un événement spécifique se produit, comme les détecteurs de fumée.

Comment faire pour atteindre une autonomie donnée avec des objets connectés ?

Il est essentiel de considérer l'autonomie de l'objet dès sa conception. Ce sujet a longtemps été laissé à la marge, d'où les problèmes rencontrés. La durée de vie de la batterie dépend des caractéristiques de l'objet. Il est donc important de définir son rôle, ses cas d'usage, ses interactions, etc. Quatre principaux paramètres entrent en jeu dans l'autonomie : le hardware déjà, car certains composants électroniques peuvent être plus énergivores que d'autres. L'application ensuite, puis le type de batterie - sa structure chimique entraîne un comportement souvent difficile à prévoir. Et enfin l'environnement de l'objet, s'il subit des chocs ou s'il se déplace, son activité aura une influence sur l'autonomie. Pour donner un exemple, la technologie de communication choisie a aussi un impact sur la batterie. Si un industriel opte pour le LTE-M pour faire communiquer ses objets, il devra prendre en compte les contraintes énergétiques que lui imposera le réseau en fonction des régions. Cela a un impact sur l'autonomie de l'objet, d'où la nécessité de penser à ce critère dès la phase de conception. Les industriels doivent aussi avoir en tête la création des déchets au moment de la fabrication des objets, et le recyclage de la batterie à sa fin de vie.

Les solutions d'energy harvesting représentent-elles pour vous une solution afin d'éviter la multiplication des batteries avec les déploiements à grande échelle de l'IoT ?

Parmi les possibilités en energy harvesting, le photovoltaïque est l'une des plus répandues, il demeure néanmoins nécessaire que les autres technologies gagnent en maturité. L'energy harvesting va devenir selon moi une brique technologique incontournable mais il faudra encore deux à cinq ans avant que cela ne se développe. Beaucoup d'acteurs disruptent le secteur mais leurs solutions ne s'imposeront pas tant qu'elles n'offriront pas une durée de vie, un prix, une densité, des caractéristiques similaires à ceux des batteries actuelles. La batterie représente 15 à 25% du coût de fabrication de l'objet, ce qui en fait un élément non négligeable. Cependant, plus que le prix, la fiabilité s'impose comme le facteur essentiel dans l'IoT.

Wilfried Dron a fondé Wisebatt avec Marion Blatter à l'issue de sa thèse à l'Université Pierre-et-Marie-Curie pour raccourcir la durée du cycle de conception des objets connectés grâce au prototypage virtuel. Depuis sa création en 2016, Wisebatt a accompagné plus de 1 000 ingénieurs dans 60 pays. L'entreprise, qui a réalisé en 2019 un chiffre d'affaires de 50 000 euros, répertorie plus de 1 200 design, dont une centaine sont en production. Une levée de fonds sera réalisée fin 2020.