Gabriel Bareux (RTE) "RTE développe avec l'IA et l'IoT des assistants pour ses opérateurs"

Le gestionnaire de réseau de transport d'électricité français digitalise ses processus pour apporter des informations d'aide à la décision à ses opérateurs. Son directeur R&D en explique les contours.

Gabriel Bareux, directeur de la R&D de RTE. © RTE

JDN. RTE met en place une nouvelle architecture de pilotage du système électrique : qu'est-ce qui vous a poussé à la faire évoluer ?

Gabriel Bareux. La tendance de fonds est de faire en sorte que le système électrique contribue à décarboner l'économie, ce qui passe par l'intégration des énergies renouvelables. Celles-ci ont des caractéristiques très différentes des centrales de production thermique qui impliquent différentes problématiques : la densité des installations – il en faut beaucoup pour compenser une centrale – la gestion de l'intermittence des énergies en fonction de la météo et l'inertie – un panneau photovoltaïque n'est pas relié au réseau par un alternateur mais par une carte électronique. Tout cela nécessite pour RTE d'avoir un système plus dynamique, doté d'intelligence artificielle pour le contrôler plus vite. Et pour prendre des décisions, il nous faut davantage de données, c'est pourquoi nous connectons nos postes électriques avec de nombreux capteurs. Les premières réflexions sur le sujet ont débuté en 2015 et se concrétisent.

Comment ce nouveau pilotage se traduit-il ?

L'enjeu cette année est de développer des assistants numériques pour nos opérateurs visant à simplifier un certain nombre de tâches rébarbatives. Un exemple avec un disjoncteur : pour s'assurer qu'il fonctionne correctement, on fait des manœuvres périodiques où l'on vient les ouvrir pour les vérifier. Ces manœuvres périodiques, qui ne correspondent pas à un besoin mais à un geste assurantiel, représentent 20 000 opérations par an. On a à présent un module, un assistant, qui va faire cette vérification à la place de l'opérateur. La data est envoyée dans nos centres de dispaching, où les opérateurs visualisent l'état du réseau sur six écrans. Automatiser ces envois d'ordre et la récupération d'informations est un exemple, nous avons d'autres assistants. Les développer a eu un coût de l'ordre de 100 000 euros. On en a mis au point certains de manière expérimentale, maintenant il faut passer à l'étape industrielle pour qu'ils soient utilisés tous les jours.      

Quels sont les défis rencontrés ?

Les challenges en intelligence artificielle sont nombreux car la technologie intervient sur différents composants : au niveau des actifs individuels, de l'hypervision générale qui fournit des data en temps réel sur le système électrique – où nous avançons par itération afin de prendre en considération plusieurs processus décisionnels – et au niveau général du réseau avec une vue sur plusieurs années. Dans l'architecture de pilotage à venir, nous distinguerons des zones limitées pour effectuer un pilotage plus fin à l'aide d'automates disposant d'informations en local grâce aux postes électriques connectés et capables de réagir très vite.

Nous travaillons par ailleurs sur la gestion des actifs avec l'entreprise Cosmo Tech. On utilise la simulation des systèmes complexes pour optimiser cette gestion grâce au logiciel Mona et savoir comment vieillissent les équipements, par exemple nos pylônes électriques, en fonction qu'ils soient situés en campagne dans une région sèche ou en bordure maritime avec des vents forts. L'objectif est de décrire l'ensemble de notre parc d'actifs - liaisons aériennes, sous-terraines, pylônes, les contrôles commandes, etc. -dans cet outil à l'horizon 2022 pour obtenir une optimisation globale. Des ressources importantes sont mises sur ces sujets en R&D et avec notre communauté, composée d'autres acteurs de l'énergie et monde académique, pour mutualiser des axes de recherche.

Comment développez-vous vos projets d'intelligence artificielle ?

Une équipe disciplinaire d'une vingtaine de personnes a été créée chez RTE. Elle travaille avec des data scientist d'autres pôles pour offrir un mélange des compétences. Les algorithmes d'intelligence artificielle développés chez RTE ne sont pas destinés à piloter le système du réseau électrique français dans une sorte de connaissance omnisciente mais à fournir de l'aide à la décision aux opérateurs, pour simplifier leurs tâches et abaisser leur charge cognitive. Nous parlons davantage d'intelligence augmentée que d'artificielle.

Qu'en est-il de vos projets IoT ?

Dans l'IoT, nous avons étudié pendant quatre ans en R&D ce que l'on pouvait faire et nous en sommes arrivés à industrialiser un projet, appelé Monitoring, qui consiste à équiper de capteurs spécifiques des équipements pour agir dessus. Par exemple, nous avons des liaisons sous-terraines avec des protections cathodiques, c'est-à-dire une enveloppe métallique autour pour éviter la corrosion des câbles. Ces protections cathodiques doivent être maintenus à un voltage spécifique. Jusqu'à maintenant les opérateurs passaient tous les mois dans les trappes pour vérifier l'état de la batterie et la remplacer si elle était trop faible pour éviter que la protection tombe. Désormais un capteur remonte son état automatiquement pour supprimer ces déplacements inutiles. Autre exemple, avec le projet Monitoring nous connaissons la qualité et l'état de santé des transformateurs grâce à l'analyse des gaz dissous.

Après quelques années dans l'industrie spatiale, Gabriel Bareux a rejoint la R&D d'EDF en 2001, puis RTE en 2003. Il a travaillé sur plusieurs projets de recherche, allant du développement et de l'exploitation du système électrique au couplage des marchés. Il a été directeur adjoint de la DSI de RTE, avant d'être nommé directeur R&D en 2019. Toujours en 2019, Gabriel Bareux a contribué à la création de la fondation open-source dédiée à l'énergie, la Linux Foundation Energy.