Nos forêts brûlent et nous ne regardons pas l'IoT

Nos forêts brûlent et nous ne regardons pas l'IoT Grâce à ses moyens de mesure du taux de CO2, de changement d'hygrométrie ou de hausse de la température, l'IoT peut lutter contre les incendies. Mais le secteur forestier ignore ces solutions.

L'actualité estivale a été fortement marquée par l'ampleur des feux de forêt dans l'Hexagone : près de 70 000 hectares sont partis en fumée entre début janvier et mi-août, sur les 17 millions d'hectares que compte la France métropolitaine. Face à ce fléau, l'IoT, par ses capacités de détection, a une carte à jouer. "Les solutions sont matures, il est possible de détecter un départ d'incendie par des capteurs de mesure du taux de CO2, de changement d'hygrométrie ou de hausse de la température. Il est également possible de surveiller l'apparition de fumée par caméras connectées thermiques. Des capacités essentielles pour les pompiers, pour qui le temps est un critère précieux", détaille Franck Gauthier, fondateur de la start-up française SylviaCare, spécialisée dans la détection des feux de forêt.

"Il n'y a aucun projet à grande échelle ni de plateforme qui pourrait centraliser les outils disponibles"

Problème, la technologie est encore peu adoptée par les acteurs du secteur forestier. "Les mesures de prévention préconisées à la suite des violents incendies de 1949 (l'installation de tours de guets au-dessus de la canopée, de patrouilles et un débroussaillage localisé) sont toujours celles en vigueur", constate Franck Gauthier. A titre d'exemple, la Première ministre Elisabeth Borne a souligné que, dans un premier temps, l'Etat allait se montrer "plus vigilant" sur la mise en œuvre des obligations de débroussaillement. De son côté, Dam Mulhem, CTO et cofondateur de la deep-tech française d'analyse vision par intelligence artificielle XXII, constate aussi la faible utilisation des nouvelles technologies dans des démarches de détection : "Quelques Services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) mènent des POC mais il n'y a aucun projet à grande échelle ni de plateforme qui pourrait centraliser les outils disponibles."

Pour prouver que l'IoT peut venir en aide au secteur, les deux entreprises développent des solutions avec l'ambition de les généraliser courant 2023. XXII travaille sur le sujet depuis plus de trois ans déjà, en ayant commencé par la détection de feux dans les déchetteries. Avec le SDIS de la Meuse, XXII a entraîné ses réseaux de neurones pour détecter les départs de feu à partir des mouvements, des formes et de la couleur d'un départ de feu. La fonctionnalité de détection pour alerter en temps réel les secours doit être finalisée en cette rentrée pour que les clients qui souhaitent effectuer une mise à jour de leurs caméras de vidéoprotection puissent l'intégrer. Objectif : que cette fonctionnalité soit adoptée lors des appels à projet publics à venir.

Des capteurs IoT dans les zones à risque

Convaincu également que l'IoT peut apporter beaucoup pour cet usage, Franck Gauthier a quitté il y a un an son emploi dans l'électronique pour créer sa start-up SylviaCare et proposer une solution de détection des feux de forêt, qui fait l'objet d'un brevet. Chaque capteur est équipé de petites caméras infrarouges qui permettent de détecter au plus tôt le rayonnement infrarouge émis par tout départ de feu. En cas d'alarme émise via les réseaux cellulaires LTE-M et NB-IoT, la zone est définie de manière précise sur une carte accessible depuis le poste de supervision, les capteurs étant géolocalisés. Le capteur peut également transmettre des photos de son environnement qui permettent aux pompiers de se projeter sur le lieu du sinistre et ainsi évaluer la situation et préparer leur intervention. Chaque caméra, installée sous la canopée, peut couvrir des surfaces de 5 à 10 hectares. Fin 2023, SylviaCare équipera un site dans la région Centre-Val de Loire pour faire ses preuves.

Les solutions infrarouges sont majoritairement utilisées pour détecter un départ de feu. © SylviaCare

Conscients de la difficulté de transmettre des informations en temps réel dans des zones isolées ne bénéficiant pas d'une couverture réseau optimale, les deux acteurs entendent se concentrer sur les zones dites à risques, c'est-à-dire à proximité des habitations, de camping, etc. "Ces zones sont d'autant plus pertinentes à équiper qu'on les connaît et l'un des enjeux est de savoir comment évacuer", analyse Sandra Ekima, experte smart city au cabinet de conseil Magellan Partners. Pour percer, SylviaCare cible par ailleurs les forestiers privés, "plus sensibilisés à la technologie", observe Franck Gauthier. Une stratégie judicieuse, quand on sait que 75% des forêts sont privées et appartiennent à 3,3 millions de particuliers.

SylviaCare et XXII ne sont pas les seuls sur ce créneau. L'Inria a mené des recherches sur le sujet avec la conception d'un réseau de capteurs détectant le monoxyde de carbone. De même pour l'entreprise allemande Dryad, qui était présente à Vivatech en juin dernier pour exposer Silvanet, son capteur en LoRaWAN élaboré avec Semtech. Autre exemple, aux Etats-Unis, l'entreprise Thingy IOT se consacre aussi à ce sujet. "Sur ce marché, les solutions doivent être complémentaires pour assurer une détection rapide", affirme Dam Mulhem, chez XXII. Le marché est d'autant plus important qu'un rapport ministériel de 2010 prévoit qu'en 2050, "plus de la moitié des forêts françaises pourraient être classées à risque élevé d'incendie contre un tiers aujourd'hui" et que l'intérêt se fait ressentir à l'échelle mondiale, comme l'attestent les feux au Portugal, en Russie, ou en Algérie.