TF1 perd en première instance dans son procès-fleuve contre YouTube
Ses programmes constituent l'actif essentiel d'une chaîne de télévision. Il est a priori logique que TF1 défende sa propriété et s'émeuve de la diffusion, sur des sites de partage de vidéos comme YouTube, de vidéos d'émissions ou de films dont elle est producteur ou ayant-droit.
Les programmes qu'elle diffuse tout au long de l'année constituent l'actif essentiel d'une chaîne de télévision. Il peut alors paraître a priori logique qu'une entreprise comme TF1 défende sa propriété et s'émeuve de la diffusion, sur des sites de partage de vidéos comme YouTube, de dizaines de vidéos d'émissions ou de films dont elle est producteur ou ayant-droit, enregistrées par des internautes et mises en ligne sans l'autorisation de la première chaîne française. Non seulement ces diffusions viennent diminuer l'audience de la chaîne, mais elles entrent également en concurrence avec les services de télévision à la demande, qui se développent progressivement sur le web.
C'est précisément pour s'opposer au partage (voire
au "piratage") sur YouTube de vidéos lui appartenant que TF1 a engagé
en 2008 une action contre cette dernière. TF1 invoquait à l'appui de ses
demandes des procès-verbaux de constats d'huissier, qui démontraient qu'il
était possible de visionner sur YouTube certaines séries télévisées diffusées
sur TF1, comme "Heroes" ou "Grey's Anatomy", de même que
certaines émissions de télévision (comme des extraits du journal de 20 heures)
ou encore des films dont TF1 ou ses filiales étaient coproductrices, évidemment
sans son autorisation. TF1 réclamait la bagatelle de 28 millions d'euros à la
société de Google.
Le jugement rendu le 29 mai 2012 par le Tribunal de
grande instance de Paris dans cette affaire est dense et lourd d'enseignements
pour TF1, qui n'a obtenu gain de cause sur aucun des fondements qu'elle
invoquait. Les motifs qui ont conduit les juges parisiens à débouter TF1 et à
la condamner à payer de substantielles indemnités de procédure à YouTube
peuvent schématiquement être résumés de la manière suivante.
En premier
lieu, TF1 a semblé avoir agi quelque peu à la légère, en se contentant de
verser au débat plusieurs procès-verbaux de constat d'huissiers, sans,
semble-t-il, prendre la peine de lister précisément les programmes sur lesquels
elle prétendait disposer de droits de propriété. TF1 et ses filiales n'ont pas démontré
de manière suffisamment convaincante qu'elles étaient bien titulaires des
droits de propriété intellectuelle qu'elles invoquaient.
Par exemple, s'agissant des droits de producteur de
programmes audiovisuels (évoqués à l'article L. 216-1 du Code de la propriété intellectuelle), le jugement indique que "TF1
ne peut se dispenser d'établir précisément, émission par émission ou programme
par programme, ce qu'elle a diffusé, d'en donner les références afin de pouvoir
vérifier s'il s'agit d'émissions ayant été diffusées par elle et à quelle date,
afin d'établir la recevabilité de ses demandes". Il a notamment été
reproché à TF1 de s'être plainte de la diffusion sur YouTube d'épisodes de
séries télévisées qui n'étaient pas encore passés à l'antenne, de sorte qu'elle
ne détenait aucun droit sur ces derniers.
De même, s'agissant des droits de la société TF1
Vidéo sur certains programmes qu'elle distribue, le tribunal a relevé que la
demanderesse ne rapportait pas la preuve qu'elle bénéficiait d'une exclusivité
lui permettant de se plaindre d'une violation de ses prétendus droits de
producteur de vidéogrammes au sens de l'article L. 215-1 du Code de la propriété intellectuelle.
TF1 échoue donc dans son action notamment parce
qu'elle n'a pas apporté la preuve des droits prétendument violés, ce qui est
pourtant la base de tout procès, surtout en matière de propriété
intellectuelle.
En second
lieu, et c'est probablement l'apport le plus intéressant du jugement, TF1
s'est heurtée au fameux régime de responsabilité des prestataires d'hébergement
qui, selon le tribunal, doit s'appliquer pleinement à YouTube. Contrairement à
ce qui a été jugé récemment à propos d'eBay, les juges parisiens ont considéré
que le site de partage de vidéos était un pur hébergeur. Ainsi, le fait que
YouTube, non seulement classe ou propose des vidéos à ses visiteurs, mais
perçoive une rémunération au titre de la publicité diffusée sur le site, n'était
pas de nature à lui faire perdre ce statut car, selon le jugement, "la LCEN [loi pour la confiance dans
l'économie numérique du 21 juin 2004] n'a pas interdit aux hébergeurs de gagner
de l'argent en vendant des espaces publicitaires", ce qui a d'ailleurs
déjà été jugé par la Cour de cassation.
Il est intéressant de comparer ce jugement aux
arrêts rendus par la Cour de cassation le 3 mai 2012 dans les affaires
relatives à eBay et à Christian Dior. Alors que la Cour suprême a considéré
qu'eBay jouait un "rôle actif" en offrant une assistance à ses
visiteurs pour rédiger une annonce ou en proposant aux internautes d'enchérir
sur tel objet, YouTube, de son côté, ne jouerait qu'un "rôle passif",
faute d'organiser le contenu du site ou de contrôler le contenu des vidéos
postées.
Pourtant, la différence entre YouTube et eBay est
en pratique assez subtile. Alors qu'eBay promeut des annonces, YouTube promeut
des vidéos, les contenus étant, dans les deux cas, produits par les
internautes, sans réel contrôle des sociétés qui exploitent les sites en
question.
Dans l'affaire TF1, les juges ont considéré que
YouTube était bien un hébergeur et que TF1 ne démontrait pas qu'elle avait
manqué à ses obligations légales. Plus exactement, il a pu être valablement
reproché à YouTube de n'avoir pas supprimé des vidéos de manière suffisamment
rapide, mais TF1 ayant échoué dans la démonstration de la titularité des droits
qu'elle invoquait, elle n'était pas recevable à s'en plaindre…
Il est à peu près certain que l'affaire n'en restera
pas là et que le litige se poursuivra devant la Cour d'appel de Paris. Non
seulement l'enjeu est trop important pour la chaîne la plus regardée de France,
mais le débat relatif à la qualification d'hébergeur est encore trop vivace
pour se contenter de ce jugement très libéral vis-à-vis des sites de partage de
vidéos.