Copie privée et licéité de la source, à quoi s'en tenir ?

La licéité de la source est-elle une condition d’application de l’exception pour copie privée en droit français ? Deux points de vue s’affrontent toujours.

La licéité de la source est-elle une condition d'application de l'exception pour copie privée en droit français ?  Deux points de vue s'affrontent : d'aucuns, répondant résolument dans l'affirmative, soutiennent que cela va de soi dans la mesure où un acte licite (la copie privée) ne pourrait en aucun cas se fonder sur un acte préalable illicite (source illicite) ; d'autres répondent par la négative en relevant que la loi ne pose pas cette condition et l'on ne saurait distinguer là où la loi ne distingue pas.

 

Ce débat est allé jusqu'à la Cour de cassation en 2006 (arrêt de la chambre criminelle du 30 mai 2006) dans l'affaire Aurélien D. où la Cour a demandé à la Cour de renvoi de statuer sur cette question.  Malheureusement, la Cour de renvoi (Cour d'appel d'Aix-en-Provence) a tranché le contentieux qui lui était soumis sur un autre fondement et a donc esquivé la question de la licéité de la source comme condition d'application de l'exception de la copie privée (arrêt du 5 septembre 2007).

 

Par un arrêt du 11 juillet dernier, le Conseil d'Etat a apporté sa contribution à cette question fort débattue.  Le Conseil était saisi d'un recours en annulation d'une décision prise par la Commission dite d'Albis (commission fixant les taux appliqués aux supports pour la rémunération pour copie privée) portant sur le taux appliqué à certain supports.  Ce recours a été formé par le Syndicat de l'Industrie de Matériels Audiovisuels Electroniques, ce dernier étant le représentant des principaux redevables de la rémunération pour la copie privée, laquelle est, rappelons-le, prélevée à partir des recettes des ventes de supports vierges.

 

Or, la Haute Juridiction a jugé que la rémunération pour copie privée a pour unique objet de compenser les ayants droit (auteurs, artistes-interprètes et producteurs) du fait de la perte de revenus engendrée par les actes de copie privée.  En particulier, il a indiqué que le fait par la Commission d'Albis d'avoir tenu compte, dans la fixation du taux applicable à certains supports, de leur usage à des fins de copies privées licites ou illicites, sans rechercher la part respective des usages licites et illicites, a entaché sa décision de nullité.

 

Or, le critère retenu par le Conseil pour caractériser les copies privées illicites est révélateur :

 

" ...par suite, [...] la détermination de la rémunération pour copie privée ne peut prendre en considération que les copies licites réalisées dans les conditions prévues par les articles L.122-5 et L.311-1 du code de la propriété intellectuelle précités, et notamment les copies réalisées à partir d'une source acquise licitement."  [nous soulignons]

 

En d'autres termes, à suivre le Conseil, la copie privée n'est pas compatible avec une copie effectuée à partir d'une source acquise illicitement.  C'est bien dire que la licéité de la source est bien une condition d'application de l'exception de copie privée (sauf éventuellement à faire une distinction subtile entre "une source acquise licitement" et "une source licite").

 

Sans préjuger du bien fondé de cette solution, il nous semble qu'elle pose surtout un problème quant à sa source (sans jeu de mots) ; en effet, l'on peut se demander s'il revient au Conseil d'Etat (juridiction administrative) de trancher une telle question qui est - par son essence même - une question de droit privé.  Si nous ne contestons évidemment pas la compétence du Conseil de s'être prononcé sur ce point dans le cadre du recours formé par le SIMAVELEC (car il s'agissait manifestement d'un recours de nature administrative), il nous semble inopportun d'y voir une réponse globale et définitive à la question de la licéité de la source comme condition d'application de l'exception pour copie privée en droit de la propriété littéraire et artistique.  A notre sens, une réponse définitive à cette question ne peut venir que du législateur ou, à défaut, de la Cour de cassation.