Séverin Naudet (Etalab) "Data.gouv.fr sera un guichet unique d'accès aux données publiques"
L'organisme public en charge de mettre en oeuvre l'open data à la française lancera en décembre une première version du portail officiel des données publiques. Son directeur détaille ses projets.
JDN. Quelle est la mission de l'Etalab ?
Séverin Naudet. Etalab a pour mission de mettre à disposition largement et librement les données publiques, ce que les anglo-saxons appellent l'open data. Etalab coordonne donc, sous l'autorité du Premier ministre, l'ensemble des administrations concernées et doit créer et mettre en ligne avant la fin de l'année la plate-forme Data.gouv.fr.
L'accès aux données publiques n'est pas quelque chose de nouveau...
La réutilisation de données publiques va au-delà du simple accès à l'information. C'est un nouvel usage amené par Internet. En transposant une directive européenne de 2003, la France s'est illustrée en créant dès 2005 un droit de réutilisation des informations publiques.
En quoi cette mission est-elle nécessaire aujourd'hui plus qu'hier ?
La société et nos démocraties changent énormément, notamment avec les usages créés par Internet. Ces usages crée de nouvelles exigences, de nouveaux besoins qui appellent à renforcer la transparence. Cette transparence est un gain à la fois démocratique et économique. A Washington D.C., la mise à disposition en 2008 de quelques données publiques dans le cadre d'un concours d'applications a entraîné la création d'une cinquantaine de services pratiques à destination du grand public. Ces services et applications ont été développés par des entreprises privées qui ont investi 2 à 3 millions de dollars. L'ouverture des données contribue à créer de la richesse et de l'emploi. Elle permet également de réaliser des économies budgétaires pour la collectivité, ce qui aussi très important .
Pourquoi avoir attendu plus de cinq ans pour mettre en œuvre cette directive européenne ? Par manque de volonté politique ?
Les nouvelles technologies évoluent et l'open data tel qu'on le conçoit aujourd'hui n'est réalisable que depuis très peu de temps. Les américains ne se sont engagés dans l'Open Data à partir de 2009 et leur service s'est considérablement amélioré depuis. L'ouverture des données représente une tâche lourde et complexe notamment sur un plan technique. Par ailleurs, il est normal que l'adaptation de l'Etat à l'évolution des technologies et à leur fonctionnement s'inscrive dans la durée. Ce genre de projet nécessite un minimum de réflexion préalable et d'organisation.
La transparence des données publiques aura-t-elle des limites ?
L'ouverture des données publiques est encadrée par la loi. En France, le cadre est assez clair. Un certain nombre de données comme les données personnelles ne sont pas exploitables car il ne s'agit en aucun cas de ficher les gens. Les données publiées ne doivent par exemple pas porter atteinte au secret des affaires, au secret fiscal ou à la défense nationale.
Concrètement, comment se traduit le travail de l'Etalab ?
Etalab développe la plateforme data.gouv.fr depuis le mois de juillet. Elle sera en ligne en version beta au mois de décembre. Data.gouv.fr proposera un moteur de recherche permettant d'accéder aux différentes informations produites par l'administration. Il sera en quelque sorte un guichet unique des données publiques. Nous avons également un rôle d'échange permanent avec l'écosystème du web qui rassemble notamment les producteurs de données, les développeurs, les associations citoyennes, mais aussi les journalistes, chercheurs et étudiants qui seront amenés à utiliser ces données. Les différentes expériences internationales ont montré que ce type de projet rencontrait un réel succès à condition qu'il ait une visibilité forte, qu'une communauté d'utilisateurs s'empare de ces données et les réutilise.
Quand prévoyez-vous une version définitive du portail ?
Data.gouv.fr évoluera en version "beta" perpétuelle. Nous avons fait le choix d'une méthode de travail itérative et incrémentale. En clair, le développement se fait brique par brique, comme beaucoup de projets web qui ont rencontrés un certain succès. C'était la méthode de développement de Dailymotion par exemple [dont il a été dirigeant, ndlr]. Notre objectif étant d'enrichir en permanence cette plate-forme, je pense qu'il serait une erreur d'imaginer pouvoir un jour en proposer une version finale. Celle que nous proposerons en décembre n'aura donc rien à voir avec celle qui existera un an plus tard. Par exemple, nous ne seront pas en mesure de proposer dès le début de module de travail collaboratif. Il sera intégré dans le courant du premier semestre 2012.
Toutes ces données seront-elles gratuites ?
Il n'y aura pas de données payantes sur Data.gouv.fr. C'est un principe général clair qui a été établi par le Premier ministre. Depuis le mois de juillet dernier, la création de toute nouvelle redevance pour réutiliser une information publique est strictement encadrée. Certaines informations actuellement payantes pourraient avoir vocation à devenir gratuite. C'est par exemple le cas des questions des parlementaires posées au gouvernement, qui sont gratuites depuis le mois de juillet. Cependant, dans certains cas exceptionnels les redevances restent indispensables.
Lesquels ?
Tous ceux pour lesquelles ces redevances sont nécessaires au maintien d'un service public de qualité. Beaucoup de grands établissements publics comme le Louvre ou la Bibliothèque nationale de France fonctionnent en partie sur des ressources propres qui sont, entre autres, issues de la vente de leurs données. Dans l'année qui vient, toutes les administrations devront déclarer leurs bases de données payantes sur une liste établie par décret.
Gilles Babinet, président du Conseil national du numérique, déclarait récemment que la France a besoin d'une vision politique en matière d'Open data...
Je n'ai pas le souvenir que Gilles Babinet ait dit cela. J'ai beaucoup échangé avec lui et je suis très heureux qu'il fasse de l'open data l'une des thématiques prioritaires du CNN. Il a compris très tôt l'enjeu que représentent les données publiques. Nous échangeons beaucoup avec le CNN dans le cadre de leur groupe de travail dédié à l'open data.
La mise à disposition des données publiques sera exploitée par de jeunes entreprises innovantes, mais également par les géants du Web, plus visibles. Cela vous inquiète-t-il ?
Le problème posé ici est celui de la compétitivité des entreprises françaises. On a trop souvent créé des freins artificiels au développement de l'Economie numérique dans ce pays, or l'ouverture des données publiques est un moyen pour nos entrepreneurs de créer des services sans que cela nécessite un investissement. La vraie question est celle de la créativité, qui n'est pas le monopole des Américains. Je fais confiance à nos entrepreneurs pour cela.
Séverin Naudet, 35 ans, débute sa carrière dans l?industrie de la musique. Après une première expérience chez Virgin Music, il créé sa propre société de production. En 2004, il est nommé conseiller pour les industries culturelles et les médias auprès du Ministre de la Culture et de la Communication, Renaud Donnedieu de Vabres. En 2006, il rejoint les fondateurs de Dailymotion, site communautaire de partage de vidéos, dont il devient membre du comité exécutif puis vice-président. En mai 2007, il intègre le cabinet de François Fillon en tant que conseiller pour le multimédia. Durant près de 4 ans, il y pilotera les projets d'e-gouvernement, d'e-administration et de communication gouvernementale sur Internet. En février dernier, le premier ministre le nomme directeur d'Etalab.