Fabrice Le Parc (CEO de Smartdate) "Personne ne veut refinancer une société dont les actionnaires n'ont pas d'intérêts communs"

Créé en 2010, le site de rencontres Smartdate a fermé malgré 5,5 millions d'euros levés en deux fois. En conflit avec ses actionnaires, son fondateur, Fabrice Le Parc, tire le bilan et évoque son nouveau projet.

JDN. Un mot sur la fermeture de Smartdate, quel bilan en tirez-vous ? Pensez-vous vous être trompé en voulant grandir trop vite ?

Rétrospectivement, c'est toujours simple de dire qu'on aurait mieux fait de faire autrement, et tous les produits seraient des succès ! Pour réussir dans le dating, il faut grossir vite. Je n'avais pas l'ambition de créer un petit business au bout de 6 ans, et j'ai toujours été clair là-dessus. Mais attaquer d'emblée le marché US a été très coûteux : d'une part les affiliés fraudent beaucoup et il est très facile de frauder les paiements ou se faire rembourser des transactions sur sa carte bancaire. Alors que tout semblait se développer très vite aux US, nous y avons en fait perdu beaucoup d'argent. Ce marché nécessite plus de patience et d'y aller avec un produit très abouti, comme celui que Smartdate a finalisé en juin. Vente Privée a été bien avisée de s'adosser à Amex, pour pouvoir espérer y réussir. 
Le site continuera peut-être de tourner en gratuit si je peux le financer par la pub, et si mes actionnaires sont d'accord. C'est vraiment un excellent produit web et mobile. 

N'y avait-il pas d'autres alternatives à envisager comme la revente de la société ou votre remplacement en tant que CEO par exemple ?
Personne ne veut racheter ou refinancer une société dont les actionnaires n'ont pas d'intérêts communs. Notre nouvelle version était excellente mais nous avions besoin de plus de financement pour notre développement. Les investisseurs existants ne souhaitaient pas réinvestir et le dating est très peu prisé par les investisseurs. C'est un modèle peu glamoureux qui ne les valorise pas. Le dating peut rapporter beaucoup mais avec d'importants investissements. 
Sur la question de mon remplacement, d'une part personne ne me l'a demandé, j'estimais être la personne la plus à même de trouver une solution, et d'autre part nous n'avions pas le temps de trouver la bonne personne. Je ne voulais pas non plus fuir mes responsabilités, et je pensais pouvoir rétablir le dialogue avec mes investisseurs. 

Quels sont vos rapports avec vos anciens investisseurs (360° Capital Partners et des business angels, dont les cofondateurs de Priceminister, Pierre Kosciuscko-Morizet et Pierre Krings) ?
Il n'y en a aucun. Ca m'a beaucoup affecté, car je les appréciais vraiment, au point que j'ai eu de graves ennuis de santé. Je tiens toujours beaucoup à Smartdate, c'est une société que j'ai lancé seul et sans contacts. Mais pour être fidèle à moi-même, je vais dire par une boutade que le coût du système médical américain m'a vite remis sur pied ! En affaires, il ne faut jamais rompre les discussions jusqu'à trouver une solution. Avec la pression, tout est sur-interprété. Mes anciens investisseurs ont mal pris le fait que je veuille lancer un autre projet. Mais en vérité, je passe encore aujourd'hui la plupart de mon temps à gérer Smartdate, seul, ce qui n'est pas simple. 

Mais je ne pouvais pas psychologiquement rester seul dans un bureau alors que l'activité était en stand-by. Soit je démissionais en laissant les choses en plan, soit je tenais le choc en préparant la suite et en travaillant sur quelque chose de positif. 
Enfin, je suis parti vivre aux Etats-Unis car mon partenaire y habite. Je comprends que ce soient des facteurs humains qui intéressent peu des financiers, mais ils sont réels. 
Ils avaient le pouvoir de me remplacer, comme tout entrepreneur ou VC le sait. 
Je continuerai d'essayer de renouer contact, je ne suis pas rancunier malgré ce que certains d'eux ont dit ! Je suis aussi responsable de l'image que je véhicule, aussi loin soit-elle de la réalité. 
Quand vous êtes CEO, jeune et ambitieux, vous marchez sur une "thin line" où vous devez avoir l'air sûr de vous. Vous devez prendre des décisions radicales, tout en créant de l'empathie auprès de gens qui n'ont aucune idée de vos doutes ou de vos problèmes personnels. 

Vous préparez donc le lancement de SquareChic, votre nouvelle start-up, expliquez-nous son concept.
Plutot que d'être en frontal sur les discounters (Groupon et ses milliers de clones), j'ai voulu rentrer sur ce marché non par le discount mais par l'upgrade. 
Que ce soit dans des restaurants, des spas, des hotels... Vous payez un repas, et l'autre vous est offert ("2 for 1 deals"), ou vous passez trois nuits en plein tarif et la quatrième vous est offerte. 
Ce concept est très puissant car il permet aux marchands de ne pas afficher de discount (c'est un concept très efficace pour les plus prestigieux), de ne pas devoir de commission à Squarechic (ils doivent attendre 60 jours pour être réglés par Groupons), et aux clients de ne pas être limités à un menu fixe par exemple. 
Tout sera sur mobile, avec une forte composante de géo-localisation pour inciter à l'impulsion d'achat. J'ai choisi ce modèle car il nécessite très peu d'investissement avant la "proof of concept". Il n'y aura donc pas de levée de fonds avant cette étape.

Pourquoi être parti aux Etats-Unis ? Est-il plus facile de réussir là bas lorsque l'on est un entrepreneur du web ?
Oui, clairement. Le networking est incomparable. Les investisseurs sont beaucoup plus informés qu'en France (j'ai déjà eu des propositions alors que nous n'avons pas encore lancé la béta). Tout va trois fois plus vite (rendez-vous, deals, etc..).  Les réussites web encensées par notre presse seraient des sociétés de taille modeste ici, à la seule exception de Vente Privée. Même s'il y a bien pire que Paris pour être entrepreneur, vous avez beaucoup plus de chances de réaliser de grandes choses en étant basé à New York ou en Californie. 

Les gens ne travaillent pas "pour" vous mais "avec" vous. Ils feront tout pour trouver rapidement une solution à un problème. A New York, la ville est tellement agressive que vous sentez que vous n'avez pas d'autre choix que de réussir. Mais attention, les salaires (surtout des ingénieurs) sont au moins deux fois plus élevés qu'en France. C'est aussi une force de Squarechic, car nous n'avons pas besoin d'employés au départ. Notre force de vente sera indépendante et nous travaillons avec des ingénieurs offshore. 

Cette interview a été réalisée par e-mail