Stratégie digitale des établissements financiers : Make or Buy ?

La stratégie du "Make or Buy" est au cœur des réflexions des Banques et Assurances qui doivent accélérer leur mutation digitale. D'autres industries qui connaissent la disruption pourraient également venir jouer dans la cour de la distribution des services financiers

La Coopétition fait le buzz et le leitmotiv actuel des établissements financiers est de "s'allier avec les Fintech plutôt qu'en faire des concurrents". 

Goliath a-t-il peur de David ? Assistons-nous à une nouvelle représentation du Leviathan de Hobbes : chaque banque décidant de passer un contrat avec des Fintech, afin d'abandonner une part de son pouvoir au profit d'une autorité commune, le client ? L'actualité concernant l'avenir des établissements financiers regorge de propos apaisants ! : "Les banques ne souhaitent pas tuer les Fintech mais collaborer avec elles pour faire évoluer leur modèle" ou encore "Les fintech n'ont pas l'intention de remplacer les banques mais simplement de participer à l'évolution du système".

Plus sérieusement, cela doit obliger les banques à se poser la question du traditionnel "Make or Buy ?" pour assurer leur transition digitale.

BUY - Une stratégie "payante" ?

En regardant les choses dans une logique court-termiste, on pourrait considérer que cette coopétition répond aux souhaits des banques d'acheter des idées et des hommes qui vont plus vite et plus loin que leurs ressources internes.

La Fintech adossée à la Banque classique est certainement le meilleur moyen de se doter à court terme de nouveaux canaux/modes de distribution et d'essayer tant bien que mal de conserver une relation client en "direct". Les fintech sont positionnées sur certains pans d'activités bancaires (crédit, paiement, gestion patrimoniale, épargne, etc.). La fintech globale qui proposera tous les produits financiers au travers d'API et de partenariats avec une multitude d'acteurs financiers existants est potentiellement envisageable mais elle n'est pas encore née. Se désengager volontairement de la distribution de certains produits nécessairement voués à la désintermédiation est peut-être la stratégie payante. Cela peut permettre aux banquiers et assureurs de se concentrer sur les offres de services à valeur ajoutée et profiter de ce flux de nouveaux clients apporté par les fintech pour faire de l'up/cross-selling sur des produits qu'ils continuent de distribuer en direct.

En se positionnant à plus long terme, on peut y voir une autre stratégie qui peut s'avérer pertinente. Les modèles de distribution bancaire et de relation client en direct sont révolus. Les banques et les assurances distribueront de moins en moins de produits financiers en direct, c'est une certitude. Solution : s'orienter vers un autre business model en devenant via des fintech captives et filialisées, une plateforme de distribution en marque blanche qui vend ses propres produits mais aussi ceux de ses concurrents habituels.

Pour autant, de multiples questions se posent : tous les établissements financiers sont-ils capables d'intégrer et de faire grandir ce modèle ? Que faire de la fintech incubée et financée qui devient un géant ? 

a href=Une fintech a dans ses gènes le besoin de conquérir le monde. Les établissements financiers ont-ils réellement la capacité à les accompagner dans leur développement international ? Les mutualistes n'ont pas réussi jusqu'à présent leurs propres développements à l'international. Pourquoi réussiraient-ils celui d'une start-up incubée ? Les banques et assurances déjà dotées de réseaux internationaux ont des organisations en silos et des processus top-down qui s’accommodent mal avec une agilité transversale et une focalisation sur l'expérience client. Toutes ont une vision Produit quand une fintech pense Client. Bref, si la stratégie est potentiellement gagnante, le chemin qui y mène est particulièrement sinueux et semé d’embûches de toutes sortes (organisation, conflits internes, stratégie d'investissement et de désengagement, etc.).

MAKE - Une stratégie "As Been" ?

A priori, les établissements financiers ont tout pour "faire" en interne: la relation client (pour un temps encore), la confiance des clients dans la sécurité des opérations effectuées, des données client à ne plus savoir qu'en faire, des moyens financiers, des ressources pour faire, etc.

Pourquoi alors ne pas lancer ses propres plateformes "disruptives" de crédits peer-to-peer, de Barter (échanges de biens et services inter-entreprises) ou encore de « Banque Augmentée » qui offriraient à ses clients de nouvelles expériences relationnelles ? Peur de cannibaliser son activité actuelle ? Remontées amères d'initiatives mal nées qui n'ont pas encore fait leurs preuves comme la banque en ligne posée à côté du réseau de distribution physique ? Choix difficile à exposer en interne ? Il est vrai qu'expliquer à ses collaborateurs que l'on sacrifie à terme tout un pan d'activité pour survivre n'a jamais été une stratégie payante ni un moyen de motiver ses troupes dans l'avenir de l'entreprise et dans la sauvegarde durable des emplois. Où tout simplement, cette habitude de se comporter en suiveur plutôt qu’en leader ? Ce qu'il manque peut-être pour réussir, c'est cette capacité qu'ont ceux qui n'ont plus d'autres alternatives que de se transformer radicalement ("Do or Die Challenge"), à savoir : mobiliser toutes les énergies pour imaginer de nouvelles activités, produits et services sortant totalement du cadre habituel tout en capitalisant sur leurs forces. Cette force, c'est une relation de confiance (certes ébranlée pendant un temps) et un réseau de proximité sans égal qui rappellent quotidiennement aux clients que les banques sont présentes dans leur vie de tous les jours. En faisant un parallèle pour imager : les "Doctissimo" et autres sites de santé en ligne sont fortement consultés et peuvent conduire à l'automédication mais pour autant, quand nous avons des problèmes de santé, nous finissons toujours par aller consulter un médecin !.

Et si le danger venait d'ailleurs ?

Le danger s'appelle-t-il Fintech ou viendra-t-il d'autres industries qui voient/ont vu leurs business models totalement modifiés par l'arrivée d'un "disrupteur" et qui n'ont d'autres alternatives que de proposer des services innovants sortant de leurs activités principales ?

La force d'un pure-player digital n'est pas le produit mais l'expérience client et le service qu'il offre. La distribution d'un produit n'est plus la chasse gardée d'une industrie spécifique (à la différence de sa fabrication et de sa gestion). Pourquoi ne pas imaginer un jour voir Marriott ou Accor, qui subissent tous les jours la concurrence d’AirBnB, lancer un service de P2P de devises entre particuliers comme le fait un Weeleo ? Après tout, n'ont-ils pas tous les jours des milliers de clients étrangers et globe-trotteurs qui séjournent dans leurs hôtels avec des devises plein les poches à échanger ? Un vrai service innovant offert par les chaines hôtelières à ces clients voyageurs !

Pourquoi ne pas imaginer qu'un DHL qui a des clients PME partout dans le monde lance son propre Kantox (référence à la plateforme d'échange de devises pour les entreprises) ou sa plateforme de Crowdlending pour PME (crédit P2P entre entreprises) sur le modèle du Lending Club ?

Le danger ne vient pas des nouveaux entrants mais de la capacité interne d'une entreprise à se remettre en question pour conserver ses clients en leur proposant des services innovants sortant du cadre habituel de la relation avec son conseiller financier. Les nouveaux entrants sont des aiguillons qui doivent obliger les banques à penser autrement. Comme mentionné précédemment, le "digital winner" est celui qui intègre dans son quotidien ce qu'attend réellement un consommateur en termes d'expérience digitale et de simplicité d'usage. Demain Amazon distribuera peut-être (voire certainement) des produits d'assurance et des services bancaires, en s'appuyant sur la simplicité de son processus et la puissance de sa marketplace pour servir d'intermédiaire (rémunéré) entre le consommateur et les institutions financières traditionnelles.

En revanche, Amazon ne sera certainement jamais un établissement bancaire ou un assureur. Les banques et assurances continueront d’assurer la gestion de leurs produits (crédits, assurances vie, etc) qui seront distribués par d’autres. Peut-être que demain, nos banques auront une marketplace de vente de véhicules d'occasion aux particuliers en même temps qu'elles proposeront le financement et non pas l'inverse comme le font aujourd'hui les concessionnaires automobiles ou Le Bon Coin qui vendent des voitures et accessoirement des crédits !