De l’économie numérique à la République numérique

Tour d'horizon des principales innovations de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique (réutilisation des données publiques, encadrement des avis en ligne, analyse automatique des emails, mort numérique, droit à internet, droit à l'effacement de ses données...)

La loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique visait à mettre en place les outils juridiques propices à l’essor d’une économie numérique, en posant le principe que la « communication au public par voie électronique est libre ». En fixant un cadre au commerce électronique facilitant les échanges (contrat à distance, publicité par voie électronique, responsabilité des prestataires techniques, sécurité et lutte contre la cybercriminalité,…) la loi du 21 juin 2004, dite « LCEN », a atteint son objectif en favorisant un développement constant du commerce électronique en France (« Commerce électronique : l’irrésistible expansion », Rapport d'information n° 272 (2011-2012) de M. Joël BOURDIN, déposé le 18 janvier 2012, Senat.fr).

La loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, qui a fait l’objet d’une consultation publique inédite (Site de la consultation publique : République Numérique), vise à répondre à l’ambition du gouvernement de « donner une longueur d'avance à la France dans le domaine du numérique en favorisant une politique d'ouverture des données et des connaissances » et « d’adopter une approche progressiste du numérique, qui s'appuie sur les individus, pour renforcer leur pouvoir d'agir et leurs droits dans le monde numérique ». La loi propose « un cadre nouveau, qui combine soutien à l'innovation et aux nouveaux modèles économiques, ouverture élargie des données, protection renforcée des personnes, renforcement de la loyauté des plateformes et déploiement de l'accès au numérique » (Dossiers législatifs –Exposé des motifs - Loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, Legifrance). 

Le texte s’organise autour de trois axes : favoriser la circulation des données et du savoir ; œuvrer pour la protection des individus dans la société du numérique ; garantir l'accès au numérique pour tous.

(1) La circulation des données  


L’accès aux documents administratifs

Les articles L300-1 et s. du Code des relations entre le public et l'administration fixent les conditions d’accès aux documents achevés (dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions) produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission.  Certains documents restent non communicables (documents de la Cour des comptes, documents dont la consultation ou la communication porterait atteinte au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif, etc.).

Une mission de service public
La loi institue une mission de service public de la donnée destinée à faciliter sa réutilisation. L’article L. 321-1 du Code des relations entre le public et l'administration prévoit que ces données peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d'autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus. La loi fixe des limites et conditions à cette réutilisation. Ainsi, par exemple, ne sont pas considérées comme des informations publiques les informations sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle ou les informations comportant des données à caractère personnel.

Obligations des administrations
Les administrations concernées ne peuvent pas ainsi opposer leurs droits sur les bases de données, protégées par le code de la propriété intellectuelle, pour faire obstacle à la réutilisation du contenu des bases que ces administrations publient. La réutilisation des informations publiques reste soumise à la condition que ces dernières ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées. Les administrations qui produisent ou détiennent des informations publiques tiennent à la disposition des usagers un répertoire des principaux documents dans lesquels ces informations figurent. Elles publient chaque année une version mise à jour de ce répertoire. Elles rendent publics les conditions de réutilisation des informations publiques. 

Gratuité et redevance
Par principe, la réutilisation d'informations publiques est gratuite. Toutefois, les administrations concernées peuvent établir une redevance de réutilisation lorsqu'elles sont tenues de couvrir par des recettes propres une part substantielle des coûts liés à l'accomplissement de leurs missions de service public. La réutilisation d'informations publiques peut en effet donner lieu à l'établissement d'une licence, obligatoire lorsque la réutilisation est soumise au paiement d'une redevance.  

(2) La circulation du savoir

Mise à disposition gratuite des écrits scientifiques
Le texte vise également à favoriser la circulation du savoir, en prévoyant que lorsqu'un écrit scientifique issu d'une activité de recherche financée au moins pour moitié par des fonds publics (dotations de l'Etat, des collectivités territoriales ou des établissements publics, etc.) est publié dans un périodique paraissant au moins une fois par an, son auteur dispose, même après avoir accordé des droits exclusifs à un éditeur, du droit de mettre à disposition gratuitement dans un format ouvert, par voie numérique, sous réserve de l'accord des éventuels coauteurs, la version finale de son manuscrit acceptée pour publication, dès lors que l'éditeur met lui-même celle-ci gratuitement à disposition par voie numérique ou, à défaut, à l'expiration d'un délai courant à compter de la date de la première publication.

En ce cas, l'éditeur d'un écrit scientifique ne peut limiter la réutilisation des données de la recherche rendues publiques dans le cadre de sa publication. Ce nouveau dispositif légal est d’ordre public. Toute clause contraire dans un contrat d’édition, par exemple, serait réputée non écrite.

(3) La protection des individus dans la société du numérique

La loi du 7 octobre 2016 renforce les droits des citoyens dans cette République numérique et  leur en octroie de nouveaux.

Renforcement de la neutralité sur internet
La loi renforce le principe de la neutralité posée par l'ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011 relative aux communications électroniques, en ajoutant des obligations s'imposant aux exploitants de réseaux ouverts au public et aux fournisseurs de services de communications électroniques, sous le contrôle renforcé de l'ARCEP. Le but poursuivi est de garantir un internet libre et ouvert sans pour autant brider les capacités d'innovation de l'ensemble des acteurs du numérique.

Droit de récupérer ses données et de les transférer
Le consommateur dispose désormais en toutes circonstances d'un droit de récupération de l'ensemble de ses données.

Des obligations nouvelles pour les sites de référencement ou de classement

La loi introduit un nouvel acteur sur internet : l'opérateur de plateforme en ligne qui est toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur : (i) le classement ou le référencement, au moyen d'algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ; (ii) ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service. Ces plateformes ont désormais une obligation de loyauté à destination des consommateurs qui concerne leurs conditions générales d'utilisation, ou encore leurs modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne. Elles devront faire apparaître clairement l'existence éventuelle d'une relation contractuelle ou de liens capitalistiques avec les personnes référencées, l'existence éventuelle d'une rémunération des personnes référencées et le cas échéant l'impact de celle-ci sur le classement des contenus et des services.

Des obligations nouvelles pour les sites diffusant des avis
Le texte régule les avis en ligne. Toute personne physique ou morale dont l'activité consiste, à titre principal ou accessoire, à collecter, à modérer ou à diffuser des avis en ligne provenant de consommateurs est tenue de délivrer aux utilisateurs une information loyale, claire et transparente sur les modalités de publication et de traitement des avis mis en ligne. Ils doivent désormais préciser ces avis font ou non l'objet d'un contrôle et, si tel est le cas, ils indiquent les caractéristiques principales du contrôle mis en œuvre.

Le droit à la libre disposition de ses données
Le texte adopté renforce le droit de l'individu de décider de contrôler l'usage qui est fait de ses données à caractère personnel. L’article 1 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 est désormais ainsi rédigé : « Toute personne dispose du droit de décider et de contrôler les usages qui sont faits des données à caractère personnel la concernant. » Parmi les mesures adoptées à cette fin, désormais, dans un souci de faciliter l’exercice de ce droit, si le responsable de traitement a collecté par voie électronique des données à caractère personnel, il permet à toute personne d'exercer par voie électronique les droits d'information, d'opposition, d'accès, et de rectification.

La loi élargit la mission de la CNIL préventive (tout responsable de traitement ou sous-traitant peut demander à la CNIL à bénéficier d'un accompagnement à la mise en conformité des traitements de données à caractère personnel) et de sanction (lorsque le responsable d'un traitement ne respecte pas les obligations découlant de la présente loi, le président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés peut le mettre en demeure de faire cesser le manquement constaté dans un délai qu'il fixe. En cas d'extrême urgence, ce délai peut être ramené à vingt-quatre heures).

Le droit à l'effacement des données pour les mineurs.
De nouvelles obligations s’imposent au responsable de traitement qui est désormais tenu d'effacer dans les meilleurs délais les données à caractère personnel qui ont été collectées lorsque la personne concernée était mineure au moment de la collecte.

La mort numérique
Toute personne, de son vivant, a le droit désormais d’organiser les conditions de conservation et de communication de ses données à caractère personnel après son décès. La personne pourra transmettre des directives sur le sort de ses données à caractère personnel à la CNIL ou à un responsable de traitement et pourra désigner une personne chargée de leur exécution. Les prestataires sur internet devront informer l'utilisateur du sort de ses données à son décès et lui permettre de choisir de les communiquer ou non à un tiers qu'il désigne.

Renforcement du secret des correspondances et encadrement de l’analyse des échanges

Tout fournisseur de services de communication au public en ligne mettant à disposition de contenus, services ou applications, ainsi que les membres de leur personnel, sont tenus de respecter le secret des correspondances. Le secret couvre le contenu de la correspondance, l'identité des correspondants ainsi que, le cas échéant, l'intitulé du message et les documents joints à la correspondance. Le texte ne fait que rappeler que ce secret s’impose également sur internet. Il permet le traitement automatisé d'analyse, à des fins d'affichage, de tri ou d'acheminement des correspondances, ou de détection de contenus non sollicités ou de programmes informatiques malveillants, du contenu de la correspondance en ligne, de l'identité des correspondants. En revanche, le traitement automatisé d'analyse, à des fins publicitaires, statistiques ou d'amélioration du service apporté à l'utilisateur, du contenu de la correspondance en ligne, de l'identité des correspondants ainsi que, le cas échéant, de l'intitulé ou des documents joints est interdit, sauf si le consentement exprès de l'utilisateur est recueilli à une périodicité fixée par voie réglementaire, qui ne peut être supérieure à un an. Le consentement est spécifique à chaque traitement.

Droit d’information sur le traitement automatisé de son dossier
L’article L311-3-1 du Code des relations entre le public et l'administration impose désormais qu’une décision individuelle prise sur le fondement d'un traitement algorithmique comporte une mention explicite en informant l'intéressé.

(4) L’accès au numérique pour tous et la facilitation de l’usage du numérique

Enfin, la loi du 7 octobre 2016 prévoit un ensemble de mesures destinées à renforcer notamment le pouvoir des collectivités pour améliorer l’accès au numérique.

Faciliter les échanges et les paiements
Afin d’encourager et favoriser l’usage du numérique dans cette nouvelle République, le code des postes et des communications électroniques prévoit désormais que l'envoi recommandé électronique est équivalent à l'envoi par lettre recommandée, dès lors qu'il satisfait aux exigences de l'article 44 du règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014. Le texte facilite également le développement de services de paiement par SMS.

Droit à internet
Désormais, en cas de non-paiement des factures, la fourniture d'énergie et d'eau, un service téléphonique et un service d'accès à internet sont maintenus jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d'aide au fonds de solidarité pour le logement.


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La loi du 7 octobre 2016 prévoit de nombreux décrets avant son application dans sa totalité et des dates d’entrée en vigueur différentes suivant les mesures concernées. Nul doute qu’elle devrait changer le paysage à venir des activités en ligne particulièrement en raison du renforcement des droits des consommateurs et des citoyens.