Pourquoi la décision de Chrome de supprimer les cookies tiers révolutionne la publicité numérique

Google Chrome, le navigateur leader sur le marché, a annoncé qu'il ne supportera plus les cookies tiers d'ici deux ans. Cette décision oblige le marché publicitaire dans son ensemble à redéfinir son mode de fonctionnement pour maintenir une solution alternative aux walled gardens.

Dans un post publié le 14 Janvier, les ingénieurs travaillant sur Chromium, le moteur du navigateur Chrome de Google, ont annoncé que les cookies tiers ne seront plus supportés par le logiciel à l’horizon 2022. Cette annonce a fait l’effet d’une bombe sur le marché de la publicité numérique, pour plusieurs raisons : 

  • Les cookies tiers sont le principal mécanisme de stockage des identifiants utilisés pour gérer la distribution des campagnes (frequency capping), la qualification des audiences et leur ciblage, ainsi que pour mesurer la performance des investissements marketing 
  • Safari et Firefox ont mis en place des mesures de restriction de l’accès aux cookies tiers en 2018 et 2019, avec des conséquences dramatiques pour les marques (l’impossibilité de s’adresser efficacement à environ un tiers de leur audience) et surtout pour les éditeurs (une diminution de l’ordre de 40 à 60% des eCPM auprès des utilisateurs de ces navigateurs)
  • Chrome dispose d'une part de marché d'environ 60% en France (63% dans le monde, selon StatCounter), ce qui rend la décision de Google encore plus impactante que celles prises par Safari et Firefox (30% de part de marché cumulée)

Après cette décision, le marché publicitaire dans son ensemble se retrouve donc dans la position du fou qui repeint son plafond et à qui on dit “accroches-toi au pinceau, j’enlève l’échelle” ! Enfin, dans son ensemble, pas tout à fait : les médias disposant d’une couverture massive, d’utilisateurs logués via leur adresse email, de capacités de qualification de leurs besoins, de leurs intérêts et de leurs critères socio-démographiques et d’outils technologiques pour diffuser et optimiser des campagnes à leur attention, seront moins impactés que les autres. Suivez mon regard…

Pour les autres, la liste des dommages collatéraux directement liés à la disparition des identifiants stockés sur les cookies tiers est longue et douloureuse : 

  • Plus de capping des campagnes sur plusieurs sites
  • Plus de bases de données de profils tiers (3rd party data)
  • Plus de ciblage des audiences par les DSP ou de retargeting
  • Plus d’analyse de la couverture sur cible
  • Plus d’attribution “post view” 

Dans sa grande bonté et pour maintenir un écosystème publicitaire en bonne santé (sic) (ou pour éviter à Google de s’attirer les foudres des autorités de la concurrence), Chrome va proposer des solutions alternatives à l’utilisation d’un identifiant personnel pour répondre aux besoin des annonceurs en matière d’attribution et de personnalisation. Peu de détails sont disponibles pour l’instant, mais les récents développement réalisés sur la "Privacy Sandbox" de Chrome pointent vers une approche par “cohortes” et une analyse réalisée dans le navigateur afin d’éviter le partage d’informations individuelles avec l’écosystème. Il y a de fortes chances que la performance et la précision de ces solutions alternatives soient inférieures à ce qu’on peut faire à partir d’une identification précise des consommateurs. Ce changement risque donc risque de pousser les marques à investir encore plus sur les médias qui vendent au CPC, et qui auront toujours les moyens de proposer ce genre de ciblage et de mesure...suivez encore mon regard...

A quoi ressemblera le marché de la publicité numérique en 2023 ? A la publicité de 1995, à savoir un univers de communication sans données, sans ciblage et sans mesure ? Ou bien à une autoroute à 3 voies (Google, Amazon et Facebook) entre les marques et les quelques éditeurs qui auront survécus grâce aux miettes laissés sur la table par ces “trillion dollar companies” ? Ni l’un ni l’autre, espérons. Il existe en effet une troisième voie dans laquelle un ou plusieurs identifiants partagés, générés par les éditeurs, compris par les plateformes ad tech et bâtis sur le contentement des internautes, deviennent la monnaie d’échange de la publicité numérique. Ces identifiants existent déjà mais doivent faire la preuve qu’ils peuvent atteindre la taille critique et s’imposer comme des alternatives crédibles aux cookies tiers. La bonne nouvelle pour l’industrie, c’est que nous n’avons plus le choix. Le statu quo n’est pas une option : dans deux ans, nous devons avoir fait la migration vers un nouveau modèle d’identification des internautes qui permettant au web, en dehors des “walled gardens”, de prospérer. Top départ !