Gautier Picquet (Udecam) "Arrêtons de râler contre Google et Facebook dans les médias et coupons leurs budgets si nécessaire"

Le nouveau patron de l'Udecam veut que l'association qui représente les agences médias apprenne à dire non aux Gafa. Il s'insurge contre la récente annonce de Google de supprimer les cookies tiers.

Gautier Picquet est patron de l'Udecam et de Publicis Media. © S. de P. Udecam

JDN. Vous êtes le nouveau président de l'Udecam, l'Union des entreprises de conseil et achat média. A quoi ressemble votre feuille de route pour cette nouvelle année 2020 ?

Gautier Picquet. Le principal chantier, c'est le sujet de la reprise de valeur de nos métiers. Les agences médias n'ont sans doute jamais été aussi utiles. Le digital a complexifié le paysage média, la data s'est ajoutée à l'équation et les investissements dont elles ont la charge ne cessent d'augmenter. Elles n'ont pourtant jamais été aussi mal payées et doivent composer avec un effritement de la confiance que leur témoignent les annonceurs. Comme le montre la répétition des appels d'offres. Pour rappeler le rôle de l'agence média et récupérer cette valeur perdue, il va nous falloir être "plus forts, tous ensemble". C'est le nom de la feuille de route que j'ai présentée lors de la dernière assemblée générale.

Etre plus fort, concrètement c'est quoi ?

Etre plus fort, c'est d'abord savoir dire non à un pitch parce que les conditions tarifaires sont irraisonnées ou parce qu'on sait qu'il est perdu d'avance, tout simplement parce que l'annonceur s'en sert comme prétexte à renégocier les honoraires de son agence historique. Le monde des agences médias rassemble plus de 5 000 collaborateurs auxquels il faut arrêter de faire accepter l'inacceptable. A commencer par des niveaux de rémunérations pas en ligne avec leurs compétences ou leur charge de travail.

Etre plus fort, c'est aussi se faire entendre sur les sujets d'actualité d'un marché qui n'en manque pas. Ils sont nombreux, qu'il s'agisse de l'hégémonie des Gafa, de la nouvelle loi audiovisuelle, de la loi sur les contenus haineux, du Pass Media ou de Trust ID. L'Udecam représente 99% des flux médias et près de 11 milliards d'euros investissements. Nous avons donc toute légitimité à alerter les instances publiques sur les nuisances que peuvent engendrer certains textes de loi et aider les sénateurs et les députés à comprendre leurs implications business.

Ça n'a manifestement pas été le cas avec la Cnil qui vient de publier son projet de recommandation sur les cookies. Comment comptez-vous y remédier ?

"Les six mois de concertation entre la Cnil et l'interprofession n'ont absolument servi à rien"

On voit effectivement que les six mois de concertation entre la Cnil et l'interprofession n'ont absolument servi à rien. C'est à se demander pourquoi les représentants de la Cnil ont assisté à toutes ces réunions de travail. Je suis en désapprobation avec ce projet, sur le fond comme sur la forme. Déjà, nous allons sans doute participer collectivement à la consultation publique, en y intégrant nos recommandations, sans trop d'espoir néanmoins vu qu'elles n'ont pas été prises en compte la première fois. Nous sommes également dans l'attente d'une réponse du conseil d'Etat suite au dépôt de notre plainte contre l'interprétation de la Cnil. Nous agirons ensuite en conséquence, qu'il s'agisse de donner une suite juridique ou non à cette affaire.

Il va aussi vous falloir être plus fort avec les Gafa et dépasser les déclarations d'intention…

Avoir une voix forte, c'est aussi savoir dire non. Et sanctionner les Gafa quand ils font des erreurs. En clair, qu'on arrête de râler contre Facebook et Google à coup de tribunes et qu'on leur coupe les budgets quand on estime qu'ils ont tort. Nous avons tout de même des moyens de pression financiers. En France, Google et Facebook captent respectivement près de 3,3 milliards et 1 milliard d'euros net dont la plupart transitent par nos mains. A nous de changer ça, s'il le faut.

Nous devons cesser d'être ces gentils bisounours nourris de la main du diable. Attention, cela ne veut pas dire être complètement fermé au dialogue. Il est important de construire. Je travaille en général très bien avec Google, mieux qu'avec Facebook d'ailleurs. Mais il faut aussi savoir dire non.

Faut-il dire non à la disparition des cookies tiers de Chrome d'ici deux ans, comme Google vient de l'annoncer ?

"L'annonce de Google sur les cookies tiers est clairement un abus de position dominante"

C'est une décision que je regrette sur la forme car elle a été prise depuis les Etats-Unis, sans concertation aucune. Nous venons tout juste d'avoir notre premier échange avec Google sur le sujet. C'est la preuve que Google est une entreprise qui pense d'abord à ses intérêts et veut imposer sa vision au reste du marché. Ce n'est pas une bonne décision non plus car c'est un frein à la transparence et au développement économique des médias. Annonceurs et médias sont clairement pris en otage par cette décision. Il est donc important de trouver d'autres solutions. Nous allons nous réunir avec l'Union des Marques et l'AACC pour voir la réaction la plus appropriée.

Et adresser une lettre ouverte à Google, comme l'ont fait vos homologues américains, l'ANA et les 4A's ?

Pourquoi pas. Nous allons également nous rapprocher de l'ANA et des 4A'S et, bien sûr, continuer les échanges avec Google. Une certitude, ce n'est pas au siège américain de ce dernier de décider de la composition du paysage publicitaire mondial, avec une annonce qui est dangereuse pour la libre-concurrence. Nous n'excluons d'ailleurs pas d'alerter les instances concernées, qu'il s'agisse de Bruxelles ou de la DGCRF. Il ne faut pas se leurrer, il s'agit d'un abus de position dominante pur et dur de la part d'un acteur qui enlève au reste du marché sa capacité à utiliser de la data.