Plus leurs clients sont isolés, plus les marques doivent leur parler

Il est nécessaire pour les marques de communiquer à un moment où les Français n'ont jamais autant plébiscité leur implication et leur efficacité.

Boris Cyrulnik définit le moment que nous traversons, non pas comme une crise, qui suppose que, une fois passée, l’on retourne le plus vite possible à l’état antérieur, mais comme une catastrophe. Ce qu’il nous dit, c’est qu’après une catastrophe, la culture change. Bien sûr, il pense d’abord aux piliers historiques qui fondent une société, les religions, les grands équilibres entre les groupes socio-économiques, entre les communautés et, in fine, la hiérarchie des valeurs. Je ne veux donc surtout pas faire commerce ici de son propos, qui est très distancié de l’univers des marques. Pour autant, le mécanisme qui est à l’œuvre entre les gens et les marques obéit aux mêmes forces. La population, et pas seulement les malades, vit une véritable catastrophe dans sa vie quotidienne. Dans ces moments-là, le rapport aux choses change. Les entreprises-marques avec lesquelles ils vivent ne font pas exception. Avant la catastrophe, autant dire dans une autre ère, nous avions mesuré l’attachement aux marques. Pour un petit quart d’entre elles, il était certes très fort, mais près de huit sur dix – 77% – auraient pu disparaître du jour au lendemain, dans l’indifférence générale. Un immense désintérêt en somme. Les marques patrimoniales, auxquelles on doit pourtant l’essor économique de notre pays depuis des décennies, n’étaient pas les plus épargnées dans cette étude (Meaningful Brands/Havas). Et puis, il y a quelques jours, l’ancien monde s’est écroulé. Et c’est aux grandes entreprises localisées en France, qu’il a été demandé d’assurer la continuité de l’activité du pays. À celles qui le pouvaient, évidemment.

En tant que stratèges du marketing, nous avons voulu comprendre ce que cette situation hors normes changeait dans l’esprit des gens. Pour cela, nous avons lancé la semaine dernière une étude auprès de 1 100 personnes avec l’institut CSA (Havas). En voici les premières conclusions après seulement une quinzaine de jours de confinement. Pour être dans la vérité des gens, nous avons uniquement recueilli leurs citations spontanées, nous ne leur avons suggéré aucune liste de marques. Ce qui ressort tout d’abord, ce sont les marques qui ont montré leur utilité dans cette période, en s’imposant comme des protagonistes indispensables de l’approvisionnement alimentaire du pays. Dans un quotidien rythmé par les mesures de confinement, les Français citent les grandes enseignes de distribution alimentaire comme étant les marques qui leur sont le plus utiles. Carrefour est en tête des citations, suivie par Leclerc, Intermarché, Lidl, Auchan et System U. Il est frappant de noter que la grande distribution, il y a quelques semaines encore souffrait globalement d’un fort déficit d’image. Elle apparaît soudain comme une plate-forme logistique alimentaire à grande échelle irremplaçable pour nourrir la France. Cette bascule intervient au moment où une nouvelle génération de dirigeants s’est résolument orientée vers une transition du modèle vers plus de bio, plus de local et nous savons que ce n’est que le début. Les gens ont aussi identifié le fait que ces géants du commerce ont eu des initiatives salariales à l’égard des caissiers et des logisticiens mais ont également lancé de nouveaux services innovants adaptés à la situation : formules abonnements aux produits essentiels (Carrefour), priorisation du made in France*… Cette dynamique d’image aurait été inimaginable il y a quelques semaines. Si l’on regarde à moyen terme, il serait plus que dommage de ne pas la saisir pour renforcer durablement le lien avec les clients. Clients qui, de leur côté, demandent massivement, à 77 %, aux marques de continuer à faire de la publicité avec du sens dans cette période (source Kantar, mars 2020). La publicité est un signal que la vie ne s’arrête pas. Cela n’a jamais été si précieux. Sur ce critère d’utilité, au-delà de l’univers des grandes surfaces, seules trois marques sont citées naturellement par les Français : Amazon, Netflix et La Poste. Elles parviennent dans cette période à marquer les esprits avec leur implacable équation : grand choix et distribution pointue sur leurs secteurs respectifs.

Il y a ensuite les marques qui, grâce à des actions généreuses, aussi agiles que spectaculaires, renforcent leur lien avec le public au cœur de la catastrophe. Près d’un Français sur deux est capable de citer une initiative de marque ou d’entreprise qui l’a touché ces derniers jours, un score dynamisé par l’exposition l’esprit des gens en communication, une fois les retombes évaporées et les belles initiatives remplacées ou limitées par d’autres (et il faut s’en réjouir).

Quand on est un champion français et que l'on tient à bout de bras l'infrastructure du pays, il faut le faire savoir

Dans notre étude, nous avons aussi demandé aux gens quelles étaient les marques qui leur manquaient en ce moment, ce qui est le test d’un lien très fort. Nombre de lieux (restaurants, coiffeurs, cinéma) et activités (sport, bricolage, jardinage) manquent aux Français. Interrogés sur les marques pour lesquelles l’absence est la plus difficile, ils citent spontanément : Leroy Merlin, Fnac et Cultura. À noter également un taux de réponses élevé pour des marques de restauration rapide : McDonald’s et Burger King. Il pourrait paraître contre-intuitif de communiquer quand les lieux de vente physiques sont fermés, mais c’est évidemment l’inverse qu’il faut faire. Chacun de nous a été ému ces derniers jours en lisant ces ardoises dans les vitrines de petits commerçants : "Vous nous manquez déjà, on est impatients de vous retrouver." C’est la même chose à grande échelle. L’émotion qui naît du manque est aussi puissante que fragile. C’est le rôle de la communication de l’entretenir.

Et puis, il y a une surprise, celle qui concerne les marques que j’aimerais baptiser "anges gardiens", et qui n’apparaissent pas dans ce premier classement. Elles sont aussi efficaces que discrètes et ne doivent pourtant pas devenir invisibles dans le paysage. Car elles aussi, quand tout cela sera fini, auront de nouveau des parts de marché à défendre. Et d’autant plus que leurs nouveaux concurrents ne s’embarrassent pas toujours de responsabilités à l’égard du pays où ils opèrent. Ces anges gardiens, ce sont les grands groupes de télécommunication (Orange, SFR, Bouygues…), les énergéticiens (EDF, Engie,…), les marques de "service public" (Veolia, RATP, SNCF…) les services financiers (BNPP, Crédit Mutuel-CIC, Crédit Agricole…). Les Français se sont tellement habitués à leur efficacité qu’ils en oublient les incroyables prouesses. Quand on est un champion français et que l’on tient à bout de bras l’infrastructure du pays, il faut le faire savoir. C’est le moment où jamais de le communiquer et la condition pour sortir plus fort de cette situation. Ce que nous disons aujourd’hui nous fera préférer demain.

Si ces quelques faits et chiffres ont pu vous convaincre de l’importance stratégique pour les marques d’utiliser la communication à l’instant où chacun est isolé chez soi, il faut aussi se poser la question du choix des médias dans lesquels elles le font. Plus que jamais, en cette période (mais aussi après) il faut diffuser ces messages sur des marques media de référence, issues le plus souvent de la presse, de la télévision, de la radio. Ce sont elles qui font société. C’est vers elles que l’on se tourne quand tout explose autour, pour tenter de trouver un sens commun. Il n’y a qu’à regarder leurs audiences en ce moment. Ce sont ces grandes marques médias qui rémunèrent des journalistes, qui croisent et vérifient les informations. Elles encore qui confrontent les opinions avec rigueur pour oxygéner une démocratie qui n’est pas non plus à l’abri d’une embolie. Ce sont elles, enfin, qui vivent en grande partie de la publicité.

Comme souvent, les consommateurs comprennent tout, puisque seuls 8 % (Kantar, mars 2020) jugent que les marques devraient arrêter de communiquer pendant la catastrophe du Covid-19.

Brands&You est un suivi à chaud et en spontané des effets de la crise sanitaire sur le rapport que les Français entretiennent avec les marques. Brands&You éclaire les entreprises sur ce qui retient l’attention des Français aujourd’hui, dans un contexte inédit, marqué par un sentiment d’incertitude et d’anxiété, mais aussi par de nombreuses initiatives solidaires des citoyens, comme de la part des marques.

*Fabriqué en France

**"Qui a dit que les éléphants ne savaient pas danser ?"